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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

7 novembre 2005 1 07 /11 /novembre /2005 00:00
Deux nuits de banlieue et une petite voiture jaune
C
hronologie des évènements
 
Epinay-sur-Seine, la Cité d’Orgemont, rue de Marseille où habite mon ami Louis depuis des années et où je me rends pour trois jours et trois nuits par semaines.
 
Vendredi, 4 novembre 2005 vers 20 heures
Louis me téléphone pour me parler de l’ambiance dans la cité car depuis le début des évènements survenus dans les banlieues faisant suite à la mort de deux jeunes garçons électrocutés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois, nous sommes inquiets… Jusqu’ici à Epinay dans la cité tout est comme d’habitude, on y vit et on y retrouve l’atmosphère qu’on connaît et qu’on aime. Mais ce soir me dit Louis, il y a des policiers un peu partout, ils patrouillent en camionnettes comme ils ont coutume de le faire et c’est la veille du week-end…
De plus, Louis a eu la chance de pouvoir prendre le dernier bus, le 154 qui va de la Porte de Paris à Saint-Denis jusqu’à la Gare d’Enghein et qui s’arrête entre autre au Cygne d’Enghein, arrêt le plus proche de la cité où descendent ceux qui y habitent. Le chauffeur a annoncé aux passagers que « compte tenu de la situation, il n’y aurait plus de bus ce soir »…
En dépit de cette atmosphère tendue, la nuit de vendredi à samedi se déroule normalement dans la Cité d’Orgemont.
 
Samedi, 5 novembre 2005
 
Après avoir passé un après-midi à Paris nous rentrons Louis et moi par la Gare d’Enghein-les-Bains à Epinay et il n’y a toujours aucun bus à l’arrêt habituel. Plusieurs personnes attendent. Il est environ 20 heures… Depuis la gare jusqu’à la cité en marchant bien il y en a pour une demie-heure…
En traversant les rues d’Epinay on remarque rapidement une sorte de vide inhabituel pour un samedi soir. Deux camions de pompiers nous croisent, ils roulent lentement et sans la sirène.
Arrivée au début de la cité, la mesure est donnée aussitôt. Sur le parking à côté des arrêts de bus, trois camionnettes de police pleines stationnées attendent. La cité est déserte et rien de l’animation habituelle du samedi soir n’y subsiste. Les gens sont rares et se dépêchent de rentrer jetant un coup d’œil rapide vers les policiers. Rue de Marseille les fameux réverbères anti-casseurs sur les parkings sont tous éteints. Ceux qui nous éblouissent d’habitude et nous empêchent de dormir ! Les parkings forment là un grand espace obscur à traverser à pieds pour se rendre à son bloc.
Autre vision très agréable, les poubelles ont été retirées. Les sacs remplis d’ordures sont rangés précautionneusement par les habitants au pied des escaliers. D’ordinaire les containers où se mêlent toutes les sortes d’ordures car « ici » on ne fait pas le tri demeurent nuit et jours dehors au bas des escaliers attirant de nombreuses mouches et très certainement quelques rats…
Vers minuit les voitures de ceux qui sont allés en boîte ou sortis pour la soirée commencent à traverser la cité et les contrôles juste en bas de l’immeuble où nous habitons… on se demande bien pourquoi là justement… avec camionnettes de police garées en double file interdisant la circulation aux gens qui rentrent chez eux durent plus d’un quart d’heure par véhicule. Ils sont systématiques et s’adressent en particuliers aux voitures dont les occupants sont jeunes et de couleur. Certains font demi tour et prennent un autre chemin pour rentrer chez eux. En dépit des barrages qui durent assez longtemps, avec vociférations et démarrage final des voitures en trombe pour nous empêcher de dormir l’atmosphère demeure calme jusqu’à environ trois heures du matin.
A partir de cette heure de la nuit à peu près on imagine ce qu’on veut. Dans le noir absolu commencent un peu plus loin ce que nous pensons être des tirs de guns avec grosses balles de caoutchouc qu’utilisent les policiers dans la cité ou de grenades lacrymogènes d’après le bruit que nous entendons. Il y a également des explosions répétées. Bruits de verre cassé et quelque temps plus tard le bruit de la pompe à incendie. Les pompiers sont venus sans klaxonner. Les affrontements que nous ne pouvons voir de notre fenêtre durent environ deux heures.
Le lendemain matin tout à repris son allure habituelle et la cité retrouve sa vie animée et joyeuse du dimanche matin avec les familles partant faire leurs courses les gens flânant sur les trottoirs et discutant dans la rue avec nonchalance. Seul le terre-plein en forme de cercle où les jeunes se réunissent toujours est encore vide mais ça ne durera pas.
 
 
Dimanche,6 novembre 2005
 
A notre retour vers 19 heures
toujours aucun bus… les gens se sont organisés. Ils rentrent à pieds comme nous ou bien on vient les chercher en voiture… Les camionnettes de police sont là en faction mais ce soir personne n’y prend garde. L’atmosphère de la cité est détendue agréable comme chaque soir lorsqu’on y rentre.
En arrivant en bas de chez nous je constate avec plaisir que les jeunes garçons qui se retrouvent juste en face de l’escalier à côté de la cabine téléphonique pour discuter et jouer entre eux au ballon à d’autres jeux sont là à nouveau et qu’ils parlent entre eux comme chaque week-end en riant et en se bousculant.
Jusqu’à minuit tout semble calme et soudain des voitures freinent brutalement juste sous nos fenêtres. Ce sont des voitures banalisées plutôt petites desquelles sortent des policiers qui interpellent trois des jeunes garçons restés sur le trottoir. Mis face au rideau métallique de la boutique ils sont longuement fouillés par plusieurs policiers qui visiblement ne trouvent rien sur eux. Ils n’ont ni sacoches ni rien que je puisse voir. Les voitures ne cessent pas d’arriver. Au moins une dizaine en quelques secondes. Les policiers en descendent très excités en courant tandis que sur les parkings toujours obscurs d’autres voitures patrouillent lentement avec des policiers munis de torches marchant à côté d’elles.
Les trois camionnettes de police les rejoignent et coupent entièrement le passage rue de Marseille. En tout pour arrêter trois gamins ils sont environ une centaine de flics… armés et très actifs. Les trois garçons sont embarqués menottés chacun dans une voiture tandis que d’autres voitures qui tentent de passer font rapidement demi-tour devant le barrage. Une d’elle qui essaie quand même de traverser est aussitôt arrêtée et sommée de se garer. Le contrôle durera au moins une demie heure…
Après le départ des voitures, le calme semble s’installer un peu et puis nous sommes réveillés par un bruit incroyable au-dessus de nos têtes… Il nous faut un moment pour réaliser qu’il s’agit d’un hélicoptère qui passe en rase motte juste au-dessus des blocks où tout le monde dort vers deux heures du mat et tourne autour de la cité durant au moins une demie heure.
Ravis de pouvoir à nouveau nous endormir après son départ, nous sommeillons tranquilles environ deux heures et c’est un nouveau réveil vers 5 heures par des tirs et des jets de projectiles ainsi que des cris et des explosions… En même temps la cité se réveille et les gens se lèvent sans avoir dormi pour aller bosser. Les premières lumières s’allument aux étages des blocks et les gens descendent ahuris de manque de sommeil le visage fermé et pris par l’imposture qui leur est faite dans un masque de pierre douloureux. Sur les trottoirs des silhouettes se hâtent alors que tout près les tirs et les explosions continuent.
On a remis les sacs remplis d’ordures dans les poubelles. Notre réveil suivant aura lieu dans une heure par les camions poubelles cette fois-ci.
 Article écrit suite à deux nuits de banlieues pour en parler autrement que ceux qui regardent tout ça de dehors.
 
Une petite voiture jaune
Aux jeunes de la cité d’Orgemont
 
      Le 154… l’autobus des brousses vous vous souvenez… eh bien ! il nous a largués notre animal plein à ras bord de sa soupe des banlieues et brinquebalant d’un arrêt à l’autre comme un énorme hippopotame. Il est plus là pour personne à partir de 7 heures du soir et encore… il rentre au dépôt avec son chauffeur black ou bien un autre et nous on se débrouille pour rapatrier nos habitacles sur Macadam city blues comme on peut… gare aux culs de jattes !
      A peine sortis de la gare l’ami Louis et moi ce dimanche à sept heures donc on jette un coup d’œil au cas où les évènements auraient évolué en notre faveur et que la savane rouge s’ouvre sur notre autobus des brousses le 154… et puis on prend nos pieds comme d’habitude pour se rentrer tout doucement.
      Sur le trottoir en face de nous un nain déboule à toute vitesse avec une trottinette il se faufile entre les gens et on se regarde ahuris tandis que lui tellement habile qu’il est déjà loin et qu’on le voit plus. Alors en éclatant de rire on se demande si c’est un rêve ou bien si c’est dans ce monde-là qu’on vit qui n’cesse pas de nous faire des niches… Lui le nain il l’a résolu le problème des transports en commun !
      Tout doucement donc on y va pas pressés d’y arriver vous pensez à la cité des diables avec ses paquets de sacs poubelles sagement ils les ont alignés les gens déjà habitués aux mouches de l’été et au museau rose des rats alors là… au pied des escaliers où les containers plastique vert et bleu ils restent toute la journée pour le décor du paysage c’est très joli…
      Et pour l’odeur aussi c’est Macadam océan avec poisson pourri épluchures d’oignons et de fruits trop mûrs mais on en a l’habitude n’est-ce pas ?… Vu qu’on vit là nous autres on a forcément l’habitude des odeurs… Mais ce soir on l’sait bien l’ami Louis et moi qu’il s’agira pas seulement d’odeurs vu que les chasseurs attendent planqués sous leur armure de tôle et qu’ils préparent sûrement un autre coup fumant du genre de celui qui… sûr que les deux jeunes qui se sont réfugiés dans le transfo EDF y z’étaient poursuivis par personne… C’que vous en pensez ?…
      Bon… ils y sont comme hier soir et personne les voit avec le pain du boulanger marocain à la main qui sent drôlement bon et qui a le sourire qu’on partage lui aussi il habite dans la cité et il sait comme nous autres qu’on en a drôlement assez d’en entendre dire des choses… vous comprenez ?
Des cités j’en ai connu plein de passage c’est vrai mais quand même à force d’y rencontrer des gens venus d’ailleurs et de se frotter avec eux ça aide à comprendre ce que c’est que l’existence pour de vrai. L’existence quand on entend le mandole jouer dans l’escalier et qu’on sent la chaude et forte odeur du piment pour les plats de poisson ou de légumes frits d’Afrique elle a des couleurs de la savane rouge et du vert émeraude des lagons et ça te donne des espaces incroyables au coeur de Macadam city blues.
      Ouais des cités j’en ai connu plein et pas des lieux de la grande richesse… Aubervilliers… Montfermeil… Clichy-sous-Bois… Sevran… Gennevilliers… et maintenant c’est Epinay mais ça n’change rien au fait que quand tu rentres dans ton block parmi les gens qui habitent d’autres blocks un peu plus loin tu te sens chez toi. Non l’endroit par ici y n’change rien et l’atmosphère d’une cité ça a pas à voir avec celle de la cité d’à côté c’est comme ça ! L’atmosphère ouais… l’atmosphère elle te prend et tu habites à l’intérieur d’elle et elle te le fait à l’émotion rapide si tu as le cœur qui s’ouvre facile au contact des gens.
      Moi l’atmosphère de la Cité d’Orgemont elle m’a pris à la gorge et toute la semaine je me disais que si ça pétais pas comme dans tant de cités de la banlieue c’était qu’on avait vraiment la baraka parce que les jeunes ici ils sont fiers et ils supporteront pas longtemps qu’on les traite… Et pourtant y avait un grand calme pareil à celui de la savane à l’aube quand les choses elles sont encore légères et joueuses au creux de l’air qui n’brûle pas la peau avec les oiseaux colibris qui volent par ci par là…
      Ouais y avait un grand calme dans la savane à l’aube avant que les chasseurs d’éléphants n’rapliquent avec leurs cars et leurs armures de tôles vous comprenez ?…
L’ami Louis et moi on les a croisés et on a fait comme tout l’monde on n’les a pas regardés mais on savait bien qu’ils étaient là avec leurs armes leurs guns leurs grenades lacrymo à faire s’étouffer un troupeau entier d’éléphants blancs et leurs indifférence incrustée tatouage à l’intérieur de la carte magnétique du crâne surtout tu n’réfléchis pas tu fonces et tu remets de l’ordre là d’dans !
      En arrivant juste en bas de l’escalier à côté des sacs poubelles bien rangés que les matous du vieux type du rez-de-chaussée avaient à peine commencé à grignoter mais seulement un peu afin de pas déranger on a vu que les jeunes étaient là aussi installés comme d’habitude contre la laverie qui est leur camp de base en à l’endroit où y a des bancs béton en rond pour la causerie. Manque seulement l’arbre baobab ou le fromager mais en revanche la cabine téléphonique sert de totem pour planquer dessus les ballons des petits les voitures électriques ou les godasses même que tu peux plus avoir accès sans rompre le cercle.
      Ils étaient là en train de taper dans le ballon de foot improvisé de crier des trucs qui les faisaient se défoncer de rire et de palabrer à tue tête avec des coups de poing pour marquer l’amitié qu’on n’trahit pas comme celle des chefs de guerre. Ils étaient là et leur présence plus celles des gens qui entraient dans l’épicerie arabe en s’interpellant ou qui appelaient les gosses pour le pain et les petits mômes qui couraient le sac à la main ou le vélo à moitié il a les roues qui partent dans tous les sens ça nous a refait l’atmosphère de la cité des beaux jours de l’été.
      Les beaux jours de l’été où les petits mômes se baignaient nus et noirs réglisse dans les jets d’eau du casino d’Enghein comme s’il s’agissait de marigots et où leurs cris de plaisir nous faisaient la fête. Ouais l’atmosphère de la cité on l’avait dans les tripes y’a pas à dire !
       Et juste avant de rentrer on a remarqué perchée en haut de la cabine téléphonique une petite voiture électrique jaune qui avait l’air d’attendre que l’enfance ça soit à nouveau de l’insouciance et des courses poursuites dans les terrains vagues… que l’enfance ça soit… vous comprenez ? Et pas la mort qui survient en douce comme une imposture à l’intérieur d’un transformateur EDF mais cette fois-ci ça n’était pas un jeu.
 
A suivre…
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4 novembre 2005 5 04 /11 /novembre /2005 00:00
      Aujourd’hui après une semaine au bord de l’océan vert émeraude et turquoise nous voici à peine de retour dans notre banlieue sur Macadam city blues que nous le voyons s’enflammer de partout et que les mots aussi le couvrent de braises.
      Mais la banlieue dans laquelle nous vivons… la nôtre à nous toutes et tous qui y sommes nés qui y avons grandi… la banlieue elle n’est pas ce qu’on en dit… non pas du tout… Ce quartier d’Orgemont à Epinay par exemple… d’y habiter plusieurs jours par semaine me fait ressentir combien on n’a pas le droit de parler des lieux où on n’a jamais mis les pieds sauf pour quelque promenade de convenance avec bataillon de gardes du corps…
      Ces quartiers nous avons depuis notre enfance appris à y cohabiter avec le plus difficile qui est de ne pas avoir peur des autres… et ceux qui y viennent aujourd’hui avec armes et gros bagages ils ont eux une sacrée frousse !
      Alors voici quelques mots pour parler encore de ce que c’est qu’être de l’autre côté de la marge rouge.
 
Lundi, 14 mars 2004
 
      Il y a peu de temps la psy. que je fréquente depuis quelques années me disait en faisant allusion à mes rencontres en rupture avec une vie bien tranquille : “ vous n’avez rien à craindre, vous êtes ancrée… ” J’ai éclaté de rire en lui répercutant : “ ça oui et dans les deux sens du terme ! ” Tant c’est bien vrai que l’encre m’a ancrée au port d’une écriture que l’enfance m’avait déjà offerte comme un gros bouquet de mots couverts de perles d’eaux vives.
       Depuis mon enfance je me suis sentie habiter ce lieu “ de l’autre côté de la marge rouge ”. Double imposture : y être et ne pas y être… 
      Y être d’abord parce que la différence te désigne de l’extérieur, elle te marque au front de son fameux caillou jeté par d’autres… ton “ étrangeté ” s’affiche rouge ! Et puis ne pas y être car par le hasard de ton état tu appartiens aux êtres dits “ dominants ”.
      Race blanche religion catholique fille aînée d’une famille normalement composée de deux individus mariés aux revenus confortables petits bourgeois paisibles en temps de paix… Rien à déclarer à la douane du cahier d’écriture.
      Bonne élève en français douée d’une imagination débordant comme la mousse de la lessiveuse oubliée sur le feu ce matin-là… Alors pourquoi donc avoir choisi ou m’être laissée tenter par cette écriture des marges et des ratures celle qu’on ne lit que bien des années plus tard un fois le reste du cahier tombé en poussières ?
 
      Parce qu’il y a des tas de façons d’écrire vous comprenez ?
      Quand j’écris j’ai la peau noire ou bien quelque chose comme ça…
 
       Je me sens quoi que je veuille y faire appartenir plus que jamais à cet univers périphérique ce monde où naît un art brut… acéré… cruel et tendre de désespoir et de révolte et qui n’a aucun chemin pour s’accomplir si ce n’est la violence des mots et désormais puisqu’on lui a ôté les mots en les ridiculisant en les manipulant… celle des gestes.
 
      D’abord on m’a volé le jardin. Les fleurs et les mots du jardin posés comme des papillons au bord de mon enfance. Les gros livres au dos rouge cartonné poudré d’or enfermés dans l’armoire qu’on ouvrait avec un rituel précieux gardaient l’ordre des histoires et des images. Ensuite on me les a volés aussi.
      Comme Frida la Mexicaine qui revendiquait son indiennité mes racines ont été coupées laissant place à des pieds qui m’ont permis d’aller ailleurs sur la terre conquérir d’autres espaces où bitume et béton allaient faire naître un désir créatif qui n’aurait pas le choix des armes. Les mots des poèmes peuvent se glisser en douce au creux de n’importe quelle main ouverte.
 
      Je crois que ma place aujourd’hui comme celle de tous les  créateurs qui ont la nostalgie d’un lien originel entre les êtres et les choses est dans la rue… sur un parking… au milieu des friches des terrains vagues et à la terrasse ou au comptoir d’un bistrot parmi les gens… en jean et en baskets rouges à les écouter à les regarder à les sentir et à gribouiller quelques notes et quelques signes dans un petit carnet.
 
De l’autre côté de la marge rouge.
      D’ailleurs de mon cahier d’écriture il ne subsiste que la marge. C’est là où nous pouvons tenter de parler avec les gamins et les gamines des cités que nous n’approchons plus tellement ils nous font peur parce qu’ils ont eux bien d’autres vérités dans le ventre que les nôtres.
      Lorsque je repense à la cave vigie de Jean Sénac je sais que cette “ culture populaire ” nous anime et nous porte parce que d’une manière toute informelle nous en sommes les dépositaires. Les voyeurs et les voyants. C’est en regardant les mains d’un ouvrier bouffées par l’acide des machines que j’avais croisé dans une cité où il  rentrait chaque soir dormir que j’ai écrit dans ma tête les premiers mots du poème A mains nues.
      Cette rencontre entre mon regard errant et ses mains brûlées par les signaux d’une vie tue s’est faite par hasard. Ce hasard qui fait aussi la poésie. Je n’écris pas pour qu’on me reconnaisse mais pour qu’on nous rende ce qu’on nous a volé. Notre simple humanité.
      Les mots du jardin et des livres au dos rouge cartonné surgissent en palimpseste sous ceux d’une langue métisse qui est celle que je revendique aujourd’hui.
 
Samedi, 3 avril 2004
 
      C’est marrant quand même… Pourquoi ces mots Mon cœur comme une fleur de grenadier me reviennent-ils si souvent alors que mes poèmes parlent une langue plutôt hard plutôt béton et goudron ? Parce que… sur et au travers de béton et goudron naissent des fleurs de couleurs sorties des bombes d’aéro-solitude… des fleurs de craie… des fleurs de papier arraché et recollé par-dessus… des fleurs de fil de fer ou de bas nylon…
      L’imagination ne se limite pas moins que jamais aujourd’hui vous comprenez ? Elle crée ses jardins partout parce que l’être a besoin de retrouver ses quelques brins d’herbe verte ses arbres ses fleurs ses fruits où qu’il soit… Sinon l’être il crève ou il devient fou. 
      Ecrire par ces temps où explosion rime avec tous les mots que nous aimons : création invention imagination illusion… C’est absurde non ?
 
      “ Ils ” c’est-à-dire les dingues qui nous cernent n’ont rien trouvé de mieux que de nous réduire en bouillie pour les chats afin de satisfaire à leur passion du non sens… Et nous continuons à mitonner nos bouquets printaniers et à griffonner des poèmes avec le même plaisir enfantin que nous le faisions il y a… vingt ans et plus. Sans nous demander un instant : “ mais à quoi ça sert ? ”
      Bon… c’est notre façon de traquer le moindre recoin de bonheur-plaisir dans un kaléidoscope aux facettes d’ombre peut-être.
 
      Vrai je me sens de moins en moins apte à écrire pour des êtres humains sursaturés de mots (TV., bouquins… pubs… informations ressassées jusque dans les ascenseurs…), et si indifférents à une écriture nouvelle… à une poésie du quotidien qui les happerait aux tripes et les contraindrait encore à faire le mur des habituelles paroles béton qu’on leur offre chaque jour avec garantie de vide et de bruit associés.
      Les petits dieux païens les mots sont épatés devant la beauté d’une rose rouge ou d’un soleil orange offert sur un plateau d’océan bleu cuivré. Ils s’émerveillent et en même temps ils se mettent à l’ouvrage pour préparer un palais de nacre à la reine des roses et un habit de satin brumeux au soleil joyau.
      Rien de ce qui leur a été donné avec une telle bonté ne reste sans éveiller en eux le désir du don en retour. Et c’est ainsi que le monde dans sa splendeur rouge veinée d’orange se reflète en eux comme dans un miroir reconnaissant.
      C’est à travers le rouge de la rose et l’orange du soleil que nous pouvons encore nous autres rejoindre ces êtres humains dont nous nous sentons terriblement séparés.
 
      Séparés des dingues qui nous cernent chaque jour et qui nous tuent à grand feu depuis qu’on est nés. Et séparés aussi des “ autres ” à cause de notre passion pour une rose… Va comprendre ce qui s’est tramé là…
 
      Séparée mais si proche d’un ouvrier immigré maghrébin parmi d’autres qui m’offre ses mains nues en rentrant chez lui au détour d’un block… ses mains nues qui me touchent parce que comme l’a dit un ami  en parlant de son père qui a été maçon “ elles ont en elles les traces de la vie ”.
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28 octobre 2005 5 28 /10 /octobre /2005 00:00
Masque blanc
Mercredi, 14 septembre 2005
 
      A partir de demain les Diables bleus seront en expédition océane pour quelques jours à bord des grands navires corsaires qui les emporteront au large de nos jours quotidiens dans la Cité. Ils vous rapporteront des histoires merveilleuses et un gros sac de galets ronds et doux roses-gris comme nos rêves rassemblés au bord des grèves où les petites vagues vertes viennent les caresser.
      Si vous avez envie de nous faire un signe amical et poétique, on sera très heureux de le découvrir dès notre retour… Parlez-nous de vous…
Blanc blanc blanc c’est un masque blanc
Par on ne sait qui posé sur un banc
Qui donc l’a perdu ivre ou bien comment
Oublie-t-on son visage simplement
 
De craie de cire ou de plumes sauvages
Un homme seul peut offrir ce présage
Aux ciels aux fleuves à nous aux nuages
D’un long traîneau d’oiseaux sur son visage
 
Fou il joue au bord du fleuve qui passe
La pantomime et quelqu’un efface
De poudrerie ses traits Oh ! âme lasse
Blanc visage sous givre neige glace
 
Ne pourrait-on lui prêter des couleurs
Brûlants vulgaires au fond de nos cœurs
Braises lilas et céladons en fleurs
Blanc c’est un masque ignorant la rancœur
 
Et blanche l’argile aux mains qu’on étale
Sur le sang des rues le truand détale
Derrière le masque on trahit sans mal
L’ami qui était tombé des étoiles
 
Mime animé comme l’aube légère
D’un frisson blanc déjà son corps se terre
Sur le trottoir mendiants aux mains de verre
Sur leur visage bruit s’exaspère
 
Blanc blanc blanc c’est un masque blanc
Par on ne sait qui donné aux vivants
Pour que rien ne reste de leur serment
De vivre comme de joyeux amants
 
Solitude n’est souvent qu’illusion
De grande demeure humble dérision
Oh ! ne plus montrer de tant de passion
Un visage las taggé de questions
 
Blanc quand ils te volent jusqu’à ton nom
Que tu ne sais plus gardien d’horizon
Pour qui sont les mots et quelle oraison
Que tes lèvres en oublient leur chanson
 
Blanc Quoi de plus beau qu’un visage là
Pas de tragédie juste un cri sans voix
Un rire de fou que la poudre noie
Et cette douleur que nul ne saura
 
Blanc masque la lune au muet cortège
Blanc d’astres lointains blancs brasiers de neige
Colère des dieux qui se désagrège
Ecrits de craie silencieux manèges
 
Blanc le mime qui trouve sur un banc
Le visage offert de quelque passant
Lui prête son âme et surtout son sang
Oh ! son cœur son cœur le reconnaissant.
 
A bientôt…
 
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26 octobre 2005 3 26 /10 /octobre /2005 00:00
Paris, le 11 mars 2004
 Des mots des champs
 
 
      …Peut-être que je vous l’ai déjà raconté… écrire était mon territoire d’enfance… Recevoir les mots et les renvoyer telles des balles de caoutchouc mousse rouges et bleues juste après l’expérience liée aux livres à grosse couverture cartonnée… celle racontée plus ou moins dans la préface de mon premier récit-conte Par la queue des diables.
      Ecrire et donner des formes à mon imaginaire endiablé a toujours été me sauver de la vie. De la vie qu’on m’avait faite et qui était d’un jour à l’autre tout l’envers d’une fête.
 
      Mais à l’époque je ne savais pas que j’écrivais… bien que je n’aie pas cessé de tailler durant des années la même plume et d’allumer chaque soir une chandelle vive.
      Je n’en savais encore rien car j’écrivais à l’intérieur de moi avec de l’encre sanguine. Mon corps tout entier prenait acte. Et signait d’un sceau rouge muet.
      Pour que les mots viennent au jour du papier blanc il faudrait arracher le sceau et cela se ferait avec pas mal de souffrance. Puis avec joie.Vous comprenez ?
 
      L’enfance en dehors de ses coups de lance violence qui pour tout être sensible demeurent comme autant de foulards rouges et noirs noués autour de la gorge…
      L’enfance a été une sorte d’étang aux ombres vertes envoûtantes auprès duquel se dressaient des masses de roseaux coupant la lumière de leur lame et cerné de gros arbres penchés saules pleureurs gardiens de Mélancolie et aulnes du Roi des aulnes ou plutôt dans sa langue Der Erlkönig de Goethe certainement.
      Et je peux encore me réciter par cœur certains vers de ce poème en Allemand lus et murmurés avec une passion jusqu’alors inconnue de moi excepté pour Le dormeur du val de Rimbaud découvert, par quelle intervention enchantée, à l’âge de sept ans ?
 
“ Wer reiter so spät durch Nacht und Wind ? 
Es ist des Vater mit seinem Kind… ”
      Alors j’avais douze années à peine et j’allais à mon tour emportée derrière le cheval du père vers une certaine forme de mort rejoindre un pensionnat si éloigné de la maison et de la famille que j’avais crues jusqu’alors être les miennes.
      Et ces premiers vers qui sont venus au creux d’un de ces immenses désespoirs d’enfant que borde l’insensé me chercher et me dire tout bas qu’au fond de l’étang sous l’épaisseur des vases vertes s’étend un royaume secret… ces premiers vers m’ont ouvert le porte du château mystérieux des mots.
 
      Car ce sont bien les mots qui nous donnent à moi et à d’autres avec qui nous partageons la jouissance de l’écriture accès à cette lucidité tombée sur nous comme une traîne lumineuse des étoiles.
      Rimbaud se disait “ Voyant ” et sans ce “ Voir là ” pas de poésie… pas d’écriture même… pas de rythme qui court accompagnant la houle des mains sur des écorces d’arbres creux… pas d’écho dans l’oreill…, de sons qui se précisent à mesure qu’ils remontent à la surface et pas d’images crevant la peau des mots.
       Non… sans ce “ Voir là ” pas de poésie.
 
      Tout cela enfants nous l’avions pressenti déjà comme l’enfant poète de Jean Cocteau blessé au front par la pierre qui lui laisse une étoile de sang en mémoire de…
      En mémoire d’une première blessure qui a peut-être consisté simplement à naître et à n’être pas tout à fait semblable aux autres. Quelle différence ?… vous me direz puisqu’on ne peut pas la nommer…
      Et moi je vous répondrai que c’est justement à la poursuite de cette différence qui n’a pas eu de nom que je cours avec les mots depuis que la pierre m’a moi aussi frappée au front d’un insigne de sang.
      Ecrire passait par là alors qu’enfant plutôt joyeuse j’étais en proie à une mélancolie inexplicable et je n’ai fait que le cueillir comme un bouquet coloré.
 
      Nous avons été à cette époque – et avant nous Rimbaud déjà – des enfants des champs et des fourrés libres de courir pieds nus dans les ruisseaux fardés de mousse et de cailloux dorés… des enfants des chemins bordés de ces fleurs des champs qui étaient de vrais joyaux dans leur écrin d’herbe dont je faisais d’énormes et anarchistes bouquets sans savoir que je cueillais là des brassées de vie comme je glanerais ensuite des brassées de mots au creux d’autres sous-bois.
      Puis on nous a dispersés au centre des cités nouvelles où tout ce que nos corps avaient expérimenté de la liberté d’être dans un présent aux sensations multiples et puissantes nous a été soudain interdit.
      En songeant à tout ça je ne peux m’empêcher de revenir à quelques jours d’ici alors que je me promenais non loin de Paris dans une campagne que Colette n’aurait pas désavouée afin de renouer avec la terre dont j’ai un besoin animal et enfantin.
      J’avais eu envie de faire un de ces bouquets de fleurs sauvages qu’enfant je ramassais sur les talus et au pied des grands arbres comme un rite. Il en poussait alors des centaines d’espèces différentes et je les connaissais par leur nom qui déjà me racontait une histoire.
 
      Une fois fait avec un bonheur avide un gros bouquet de coucous et de jacinthes des bois et rejoint une petite route champêtre où devaient s’ébattre au matin des lapins je marchais d’un pas léger en songeant à Rimbaud : “ Les deux poings dans mes poches crevées… ” oui… “ Petit poucet rêveur ” pour sûr je l’étais avant de rencontrer le regard réprobateur d’un couple grisement vêtu se tenant debout à côté d’une voiture arrêtée par erreur sans doute en pleine campagne à l’heure de la soupe et des informations.
      Aussitôt je me suis sentie coupable de quelque forfait sans bien comprendre de quoi il s’agissait mais… la culpabilité vieille ogresse qui nous dévorera toutes et tous a des mamelles qui font le tour de la terre auxquelles nous buvons goulûment.
      J’ai avancé de quelques pas sur la route qui s’enfonçait dans une forêt de hêtres argentés et j’ai vu plantés de part et d’autre des talus où pendaient les branches des noisetiers mêlées aux aubépines encore en fleurs des panneaux sérieux et droits comme des hommes en armes.
      “ Il est interdit de cueillir des fleurs et de se promener dans les sous-bois… ”
 
      Aussitôt mon bouquet m’est apparu aussi incongru qu’une mauvaise réplique dite par un acteur sur la scène observée par des tas de spectateurs connaissant le texte par cœur.
      “ Interdit ”… voilà bien le mot avec lequel toute mon enfance a jonglé car ceux que l’on me posait je les transgressais déjà avec l’impression qu’aucun des rôles de la pièce ne serait jamais le mien. Vous comprenez ?
 
      Oui… beaucoup de femmes conjuguent très bien l’interdit c’est certain tellement il est impossible pour elles de se dire que le lieu d’où elles viennent n’est pas celui du père.
      Ce lieu “ Interdit ” et “ d’Interdits ” qu’elles hantent tels des spectres sans savoir que toutes les couleurs de la vie les habitent et les habillent… ce lieu qu’elles ont juste à traverser afin de se trouver de l’autre côté là où la page peut enfin s’étendre et s’étirer à l’infini.
      Cet espace réinvesti je l’ai appelé dans un poème “ l’autre côté de la marge rouge ” parce que c’est là où, dans nos cahiers d’enfants figuraient les corrections portées à l’encre rouge également.
      Cette marge nous l’avons d’un seul geste squattée de nos mots fous… nos mots incorrects… nous savions que c’était là notre domaine… notre territoire d’inconvenance d’indocilité.
      Et nous avons balayé tous les “ Interdits ” en les transformant en “ Inter-dits ” car au jeu de mots il faut savoir sauter par dessus bord et ne saute pas juste qui veut.
 
      Ces mots d’adolescence pour moi et pour toutes celles et tous ceux qui ont eu très tôt l’écriture en cadeau dans la marge rouge ils étaient là parsemant le talus sans pancartes. Il n’y avait qu’à les cueillir.
      Ils nous ont permis de traverser la haine la honte la culpabilité le mépris et la peur fichés dans le regard des autres… ces autres qui se sont appropriés une encre rouge couleur du sang qui étoilera toujours le front du poète.
 
Et je ne crois pas à d’autre vérité qu’à celle qui naît printanière et moqueuse comme un bouquet.                                                                   
  
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26 octobre 2005 3 26 /10 /octobre /2005 00:00
Mardi, 25 octobre 2005
Journal d’une fille qui écrit sans papier suite
 
 
      Gare du Nord. Gare du Nord… toujours plus vers le Nord dans la banlieue sur Macadam city blues…
 
     C’est à l’aube pour sûr quand tous les musiciens qui jouent sur la harpe des courants-d’air et l’accordéon aux touches comètes scotchées au creux de leurs doigts magiciens costumées en noir et en blanc accompagnées de petits singes qui font la manche dans leur casquette black pailletée rouge rouge que les rats sortent leur museau rose fendu de sous les rails où ils crèchent.
     Les rats ça a pas forcément besoin de grand-chose pour exister et ça fricotte gentil en tribu à peine carnivore au pied des blocks vu que l’espèce a évolué à cause des temps de disette dans ces quartiers-ci à l’intérieur des sacs poubelles en plastique bleu où les bouts de sandwichs jambon-beurre et les boîtes de soda leur font un déjeuner formidable.
      A l’aube pendant que les machines suceuses frotteuses lapeuses se poursuivent sous le jour violet doux qui givre la verrière en une transe archaïque les rats sortent de sous les rails gris bleu acier filant le suaire de la nuit joyeux lurons qui partent à la conquête de Macadam city blues. Traderidera…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      C’était au milieu de l’automne et je marchais sur le quai noir-cendres roses encore frôlant les hommes… femmes de ménage balais seaux odeurs de pisse et de café noir très noir mêlées aux machines lapant suçant mâchonnant les vieux bouts de mégots de la nuit rouge quand soudain elle est venue vers moi et je ne savais pas du tout d’où elle avait surgi.
      Jeune… très jeune… seize ans peut-être et une frimousse d’enfance pas amochée malgré les piercings au coin des sourcils avec des cheveux décolorés petites touffes blond clairs… très clairs… des ailes d’éphémères dans ses cheveux et puis des endroits teints de bleu outremer ébouriffés comme des vagues d’océan.
      Ses yeux aussi ils étaient de ce bleu-là qui te submerge et que tu n’peux plus refaire surface… du bleu d’ailleurs doux et léger du bleu pirouettes dans les champs de lin avec de la lavande égarée et des chardons qui grattent le ventre des piafs.
 
      - Dis… ma jolie… t’aurait pas un peu d’monnaie… j’dors dehors avec mon chien et y nous faudrait une couverture… la nôtre on s’l’est fait piquer dans un squatt… et y nous ont virés ensuite…
      Ses yeux… dedans il y avait tout… elle… moi… nous… l’enfance que j’avais laissée dans la nuit bleue de la banlieue… quelque part il y a longtemps… de la détresse et des ouragans de libellules qui tourbillonnaient… tourbillonnaient… Pfuitt… pfuitt…
      Une couverture… oui bien sûr… il faisait déjà pas chaud… Dans un squatt… A l’époque c’était dans les communautés qu’on atterrissait après s’être tirés de chez les parents… nos vieux… de drôles d’aventures… de la folie de la violence et des moments qu’on n’peut pas oublier vous savez ?…
      C’était au large des horizons où on avait embarqué un si beau jour… au hasard… c’était loin très loin de Macadam city blues…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Je la regardais… et ça me remontait de là-bas… il faudra que je le raconte un jour pour les mômes des cités peut-être… Elle avait l’air que j’aurais eu si la peur ne m’avait pas rongée au ventre… quinze ans… seize… tout au plus…
      Je la regardais… c’est une gamine comme elle que j’aurais eue… ouais… j’aurais bien aimé… enfin ça c’est ce que je croyais juste à ce moment du dernier train de nuit quand on se balance loin très loin de la réalité quotidienne…
      On se serait tenu la main léger léger quand ça fait mal et qu’on a pas de bouclier épouvantail avec écailles d’acier écarlates pour chasser les empoisonneuses de vie et les rangers qui écrabouillent la tête des rats…
      Je la regardais… qu’est-ce qu’ils avaient dans la tronche ses vieux ?… La laisser comme ça sur le trottoir avec un chien et pas de couverture… Moi j’avais pas connu ça mais les camarades à l’époque… on était insoumis… ça me remontait… et elle attendait que je lui réponde pour la couverture…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Ah oui !… la couverture… je fouillais mes poches… je savais plus… de la monnaie si j’en avais… et puis ça m’est revenu d’un coup… le repas de midi avec les gens qui voulaient qu’on parle de ce travail qu’ils auraient jamais plus… ils avaient tenu à payer pour nous au restau… Alors c’était forcé que le billet je ne l’avais pas entamé…
      Je lui ai tendu comme on donne ses billes à celui qui vient de perdre la partie dans la cour de récré pour le plaisir… seulement pour le plaisir…
      - Tiens… pour la couverture… y a peut-être assez…
 
      Le bleu pirouette de ses yeux s’est encore éclairci et elle est partie d’un grand rire en fourrant le billet dans la poche de son Jean… elle me regardait aussi avec l’étonnement qu’on a quand on galère un peu dans les tornades et que par hasard y a l’éclaircie…
      - Ouais ! toi alors t’es super chouette ma jolie !…
      Y avait le parfum du café noir très fort qui venait et sûrement c’était le dernier avant que le type ne ferme la guitoune pour aller dans les draps d’un lit d’eau tiède effacer les odeurs de sa vie… les odeurs de bitume gras chauffé par les pieds des gens qui marchent… les odeurs de friture et de marc dans les sacs plastique bleus toute la journée… et le parfum aussi parfois d’une femme passagère… Effacer les odeurs de sa vie dans des draps d’océan…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      - C’est quoi ton métier ?… elle m’a demandé en lâchant une grosse poignée de sucres qu’elle avait dans sa main au-dessus de la tasse de café noir tandis que le type la fixait de ses petits yeux ronds vides pas gentils du tout.
      Elle a tendu la main vers le sucre et il a retir é la boîte ronde métal pleine ou presque en grognant :
      - Eh ! ça suffit le sucre… t’en as pris assez pour aujourd’hui !…
      Avec l’air qu’on a quand dans un colloque où on s’endort à moitié pendant que les autres causent des temps et des temps j’ai attrapé la boîte ronde métal des mains du type qui la poussait en direction du bout du comptoir et je l’ai vidée au fond de sa musette sur laquelle y avait des tas de mots au feutre noir qui farandolaient.
      - Oh rien !… j’écris des chroniques… des histoires…
      J’ai reposé la boîte métal sur le comptoir et on a pouffé de rire et le type en haussant les épaules nous a tourné le dos en mâchant des choses entre ses dents qui grinçaient pareil à celles des rats et qu’on n’a pas entendues.
 
      Gare du Nord… Nord… toujours plus vers le Nord…
 
A suivre…
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25 octobre 2005 2 25 /10 /octobre /2005 00:00
  1. Lundi, 24 octobre 2005
Journal d’une fille de banlieue
La danse du baobab
 
      Y a des choses dont on n’aime pas parler je l’ai déjà dit… et puis quand même il faut en parler vu que sinon on se mord soi-même la queue… Alors des fois même si on n’aime pas il faut sortir du silence qui est pas forcément la bonne raison de la sagesse comme me le répétait ma grand-mère qui avait pour le dire jamais fréquenté les cités de banlieue ni les gens ailleurs très bien comme y faut.
        C’était une petite nouvelle que j’avais écrite et qui s’intitulait La danse du baobab. Une petite nouvelle qui avait à voir avec un corps blessé d’une femme qu’un homme frappe dans la nuit et qui n’sait pas se défendre… Alors elle entre dans une sorte de transe de la folie comme y peut sans doute y en avoir en Afrique quand on veut très fort faire sortir de son corps le mal qu’on vous a fait…
 
        Elle comme elle vivait auprès d’un grand fleuve y avait le battement du moteur des péniches qui ressemblait à celui de son cœur… C’était pas le tam-tam tambour d’Afrique c’était le tam-tam d’eau qui l’invitait qui l’envoûtait… Et les créatures de l’eau qui l’appelaient comme le font sans doute celles du feu et des arbres géants dans la savane rouge ailleurs…
      J’avais écrit ça comme on écrit quand on est poète sans obéir à une idée mais en communication avec les images qui venaient et qui dansaient sur la peau du fleuve et qui dansaient… et avec l’émotion des coups sur la peau du tambour de mon ventre de mes seins de mon cou qui résonnaient sous les poings de l’insensé et qui hurlaient…
      J’avais écrit ça et je croyais pas avoir de comptes à rendre à personne !
      Mais les poètes ont toujours des comptes à rendre à celles et à ceux qui en savent long sur les pourquoi et les comment que ça doit s’écrire un poème et les réalités subjectives qu’on a pas le doit de détourner de leur sens…
 
      Y a des choses dont on n’aime pas parler parce que ça renoue les liens serrés de la souffrance sur les poignets avec des lacets piqués aux godasses des militaires des flics et des truqueurs de vie.
      Y a des choses…
      Quelle idée j’ai eu alors que j’étais invitée à participer à un colloque à Montpellier sur les femmes et la Méditerranée ( j’aime pas les colloques… les gens qui prennent leur personne au sérieux ça me donne sommeil mais on était payé et pas trop mal alors j’y suis allée et j’ai tout de suite regretté sauf pour les canards qui se baladaient sympath sur l’eau des bassins et qui n’la ramenaient pas eux)… Ouais… quelle idée !
      Y avait des gens drôlement qualifiés pour causer sans s’arrêter durant des temps terribles du sujet à traiter et moi j’avais juste rien qu’un petit texte qui s’intitulait La danse des baobabs dans la tête et surtout dans le bas du ventre qui tanguait et qui faisait sa musique pas tranquille du tout.
      Je savais bien que j’étais là  pour causer d’autre chose et précisément je n’pouvais pas… C’était l’émotion et l’émotion ça mange à votre table souvent quand vous avez cette manie de faire le poète tout l’temps et que c’est devenu votre vie en quelque sorte.
      C’est une amie qui a lu quelques extraits du texte et bien sûr y a eu des réactions subjectives de la réalité qui se ramène toujours quand on lui a rien demandé. Y avait un type qui prétendait que « les baobabs… les baobabs ce sont des arbres qui poussent en Afrique et qu’on n’peut pas écrire n’importe quoi sur les baobabs… »
      Et puis une de ces personnes très qualifiées pour parler durant des temps terribles du sujet à traiter qui a affirmé que « les baobabs c’était de Michaux… »
      En moi le tam-tam de ma peau en fleurs de sang se précipitait et courait plus vite plus vite pour rattraper la naissance redoutable de la peur géante du baobab qui danse.
      Je ne pouvais pas leur dire avec d’autres mots que celle du baobab qu’un homme que j’aimais m’avait fracassée la figure et les seins en pleine nuit et que je n’avais su réagir qu’en fuyant au pays des baobabs qui dansent… Non… je n’ai pas pu leur dire car elles m’auraient méprisée elles qui jamais… certainement… ne se seraient laissé faire… Oui… certainement…
      Alors je ne leur ai rien dit. Ni que je n’avais jamais lu Michaux à cette époque-là ni que les baobabs dansent la nuit dans la savane rouge pour évoquer l’esprit des divinités refusant l’esclavage de leur peuple ni que les colloques ça me donne sommeil mais que j’avais besoin de fric alors… et surtout je ne leur ai pas parlé des canards du bassin rigolos et qui ne la ramenaient pas eux…
      Alors je ne leur ai rien dit et j’ai écrit le texte que j’ai intitulé Ba-ô-babs dans le train qui me ramenait vers Paris pour rendre à mon corps fragmenté un peu de la douceur de vivre qu’aujourd’hui grâce au petit compagnon j’ai retrouvé avec une très grande jubilation.
 
Ba-ô-babs
 A Louis
 
       Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! !
      Voilà comment moi je l'entends ce mot. Il carillonne à l'intérieur de mon estomac… de mon sexe… de ma gorge. Voilà comment il éclate et pousse… pousse… grandit… s'enverge et se dresse debout.
      Il est l'arbre au centre du monde. L'axe autour duquel je m'enroule lorsque ça se déchire dedans. L'écorce rêche où je me frotte et que j'enlace avec tout mon désir d'une danse sans fin au milieu de la clairière écriture.
 
      Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! !
      Oui c'est ça ! il est mon tango et ma caricature. Le pommier de l'île d'Avallon qui se dégueule de mon enfance pourrie. Pourrie par ceux qui prétendaient savoir comment les arbres font pour gémir leurs sons… leurs rythmes… leurs transes d'amour.
      Ils y prétendaient déjà comme à une pensée précise et froide bien organisée qu'ils nous jetaient dans les pieds. Une pensée mécanique et laborieusement remontée. Que Ba-ô-bab le grand maître de la forêt leur recrachait en pleine poire.
     
      Oui ! J'écris avec mon ventre… avec ma peau de lézard dont on pourrait faire de jolis sacs à mains… avec mes pieds sur des trottoirs à putes où la braise grésille sous les petites cuillères… avec mon sexe exquis qui lèche de longues lapées de pluie.
      J'écris avec la honte et la chaleur exsangue des cuisses des filles ouvertes et jouisseuses de macs… avec l'humus et les tas de feuilles rouges d'adolescence quand c'est la première fois. Avec le sperme symphonie… avec la bruyère… les hérissons et les mains coupées… le sang… le sang… le sang qui gicle des bombes d'aéro-solitudes.
      J'écris avec le sang noir qui nous bande cicatrices en pleines rues et ne nous coagule pas. Jamais. Ça nous talonne drôlement cette récolte de fruits archi-mûrs qui jute entre nos paumes de nettoyeuses de poubelles de plastique vertes. Les poubelles de plastique vertes sont bourrées d'idées et de chiens empoisonnés dont les cadavres puent.
      Ba-ô-babs !
      Dans la clairière des Ba-ô-babs qui dansent les corps nus commencent à suer leur poésie comme la savane sèche craque et comme la lave du volcan déchire d'incandescence les couloirs barbelés où piétinent les troupeaux de penseurs aux armures étincelantes.

      Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! !
      J'écris avec la rage au ras des dents et l'amour silence qui force l'écluse tout en bas. Comme la brûlure de cigarette chaque nuit sur le poignet d'une fille qui attend à l'arrêt du bus Cours de Vincennes qu'on lui découse ses certitudes de crâne rasé avec goudron et plumes pour mémoire. Devant les mâles et les femelles qui rient du même rire.
 
      J'écris comme je pissais hier à quatre pattes et comme je me hisse aujourd’hui sur la pointe des pieds au sommet de la Tour Soleil pour sentir ma peur hurler au moment où je plonge dans le vide et qu'un minuscule feuillet de papier blanc à côté de mon oreiller me récupère.
      Ba-ô-babs !
      J'écris cerise écrabouillée et chouette clouée le bec… cri de jouissance au pied du réverbère en plein allumage et main au cul sec des fillettes de 13 ans dans les trains de bidasses.
      J'écris bûcher de fleurs au cœur des Cités et coups de poing dans la gueule au troisième sous-sol pendant que des réflexions asexuées nous passent en rase-mottes au-dessus des chaires ma chère où nous réfléchissons sur la chair fraîche mais plus pour longtemps. Il faudrait faire vite. Ça sent le roussi !
 
      Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! Ba-ô-babs ! !
       Oui ! c'est ça je suis une femme et j'écris avec ma peau… avec mon cul… avec mon rire et mes dessous de soie du soir écarquillés sur les crépuscules d'une tendresse bleue mourante.
      Rien à foutre des milliers de mots au fronton des édifices du pareil au même. Si j'appareille c'est en plein élan d'abeilles… de ruches… de troncs et de miel me dégoulinant… m'envahissant… me ruisselant de désordre et de démesure.
 
      Bâ-ô-babs !
      C'est une très grande solitude - et voilà tout.
      Androgynement je l'ai fourrée sous l'édredon rouge de Vincent où il y avait déjà une oreille coupée… trois tubes jaune de chrome entamés… et le corps de Sien la putain de La Haye. C'est combien ?
      Non ! Je ne pense pas. Je dépense mon style et mes petits potins de concierge jusqu'à ce que j'entende craquer les jointures de mes pinceaux doigts… de mes ongles plumes et je me tire. Je mets les voiles. La sortie des artistes c'est par où ?
      Troisième sous-sol !
      Ah ! eux aussi ?
Août 2003
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22 octobre 2005 6 22 /10 /octobre /2005 00:00
Samedi, 22 octobre 2005
Zone de rêves
 
      Pourquoi… que je me disais en relisant le récit que l’écrivaine historienne d’art Hayden Herrera a consacré à la peintre mexicaine Frida Khalo pourquoi cette femme dont le regard à lui seul a le pouvoir de crever la toile de fond du temps est-elle si proche si intimement liée à ma vie et à cet acharnement quotidien qui est le mien pour vivre en écriture ou peut-être en poésie ?
 
      Dire que je lui ressemble ça serait faux… Moi je suis une fille des banlieues avec Jean et Baskets… rouge rouge et sang ! Rien à voir avec sa beauté incisive et prenante… son style incroyable et pas de pacotille… sa poésie et puis ses images… son talent fou de peintre ! Non… rien à voir et pourtant j’ai passé moi aussi vingt ans de ma drôle de vie à barbouiller…
      Et puis y a mais l’engagement de l’être entier dans un idéal… dans tout ce qui fait exister une personne à travers une passion à laquelle elle finit par se confondre.
 
      Frida comme Camille Claudel rayonnait de la lumière brute sortie d’un joyau noir. Elle flamboyait. C’est à elle… c’est à Camille que j’aurais aimé poser la question à laquelle chacune répondrait sans doute par un formidable éclat de rire. Pourquoi peindre ? Pourquoi sculpter ? Quelles drôles de questions non vu qu’on ne sait faire que ça !
      Est-ce qu’elles m’auraient aidées l’une et l’autre à répondre à mon étonnement de chaque jour et la nuit surtout : et moi pourquoi j’écris… pourquoi j’ai peint durant vingt ans… pourquoi je m’acharne à créer … ?
 
            Non… pour sûr… je ne suis ni comme Frida ni comme Camille mais le joyau noir il brille quelque part dans mes arpents en contrebande de petits mots… c’est ma Zone de rêves mon terrain vague où je me tire Jeans et Baskets à nouveau libre et plus de déguisements ! Rouge rouge toujours…
 
      Et puis il y’a les titres que donnait Frida à ses peintures comme ceux de Camille à ses sculptures… Dans son Journal et lorsque la fin de son existence approchait elle en a recopié certains et c’est pour finir un véritable poème.
“ La vida callada…            La vie muette…
dàdora de mundos…           offrande de mondes…
Venados heridos              Cerfs blessés
Ropas de Tehuana            Vêtements de Tehuana
Rayos, penas, Soles          Rayons, peines, Soleils
ritmos escondidos             rythmes cachés
“ la nina Mariana ”           “ la petite Mariana ”
frutos ya muy vivos          fruits déjà très vivants
la muerte se aleja -         la mort s’éloigne –

lineas, formas. nidos         lignes, formes, nids.

las manos construyen         les mains construisent
los ojos abiertos              les yeux ouverts
loes Diegos sentidos          les Diegos sentis
làgrimas enteras             chaudes larmes
Cosmidas verdades           Vérités cosmiques
que viven sin ruidos           qui vivent sans bruit
Arbol de la Esperanza        Arbre de l'espérance
mantente firme               sois solide."
 
      Et moi je les écrits à mon tour : “ offrande de mondes… la mort s’éloigne… Arbre de l’Espérance sois solide… ” et je ressens dans ma peau le désir d’écrire… la jubilation de l’albatros incandescent… l’engagement de l’être entier dans l’acte de créer et le plaisir qu’il y trouve.
Oui… nous autres les créatrices et créateurs nous sommes des êtres de jouissance et de jubilation ! Pas à dire c’est bien ça… Nous peignons… nous écrivons… nous gravons… nous composons… comme un enfant souffle sur un feu qu’il vient d’allumer et qui le réchauffe l’émerveille l’illumine et le dépasse.
 
       Le feu… il porte en lui la petite première braise du foyer est puis au fil d’une histoire de vie ça devient un gigantesque incendie que rien n’éteindra pas même la mort.
      “ La pelona ”, ainsi que la nommait Frida, “ la chauve ” qui “ s’éloigne ” pendant que “ les mains construisent ” et devant “ les yeux ouverts ”. La pelona ne résiste pas aux “ Vérités cosmiques qui existent sans bruit ” ni aux “ fruits déjà très vivants ”. Chacune de nos créations, chacun de nos mots sont un défi que nous lui lançons à la figure.
 
        Et enfin il y a dans la vie en fragments d’azur de Frida un autobus des brousses à sa façon qui me la fait copine la petite déesse au corps poudré d’or et de sang. L’immortelle divinité du Sud idole de terre rouge modelée par la main de la nourrice végétale et ensuite… la destinée…
      Le tramway où son corps d’adolescente se rompt en un jaillissement de pépites ardentes et froides comme l’oubli du temps d’enfance lui ouvre le monde des images et des rêves avec un fracas d’enfer. En implosant toute sa chair s’incarne couleurs. Incroyable soleil elle se retrouve là où elle n’aurait jamais mis les pieds sans doute…
       Frida… la beauté de Frida… la beauté du corps de Frida peint autant de fois qu’il le fallait pour refuser la déchirure… “ la colonne brisée ” le sarcophage de plâtre et d’acier la jambe coupée. Frida… le soleil et la lune embrassés.
      Ecrire comme on jette un caillou dans une vitre. Faire voler en éclats la paroi de verre qui nous sépare de la vie.
 
Jeans et Baskets rouge rouge toujours est ma zone de rêves…
   
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21 octobre 2005 5 21 /10 /octobre /2005 00:00
Octobre 2004
Frida
Pourquoi je peins ? Pourquoi j’écris ?
 
Biographie de Frida Khalo par Hayden Herrera
Ed. Anne Carrière, Pariss, 1996.
 
      Frida a enseigné à l’école d’arts plastiques “ La Esmeralda ” qui se trouvait située dans la ville de Coyoacàn où elle vivait à partir de 1943, et durant une période d’environ dix ans.
 
      “ Frida fit sensation lors de son arrivée dans l’établissement. Si certains élèves étaient admiratifs, d’autres, comme Fanny Rabel (qui s’appelait à l’époque Fanny Rabinovitch), se montrèrent d’emblée sceptique :
      C’est un vieux défaut des femmes que de ne pas faire confiance aux femmes. Donc, dans les premiers temps, quand on m’a dit que j’allais avoir une femme comme professeur, cette idée ne m’a pas plu. Je n’avais eu que des enseignants et des camarades hommes.
      Au Mexique, la gent masculine contrôlait presque tout, et il y avait très peu de filles à l’école. Mon professeur de paysagisme, Feliciano Pena, m’avait dit : “ Eh bien, j’ai vu cette fameuse Frida Khalo au bureau, et elle m’a regardé en me demandant : ‘Vous êtes prof ici ?’ 
      Je lui ai répondu : ‘Oui’. Puis elle a dit : ‘Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’enseignement ? Je ne connais rien à l’enseignement.’ Pena était très en colère et il m’a dit : ‘Comment peut-elle être prof si elle ne connaît rien à l’enseignement ?’ (…)
 
      Guillermo Monroy se souvient de Frida comme d’une personne “ fraternelle ”, d’un “ professeur extraordinaire ” et d’une “ camarade ”. “ Elle était comme une fleur qui marche. Elle nous disait de dessiner ce qui se trouvait chez nous – des pots d’argile, de l’artisanat, des meubles, des jouets, des Judas – donc nous ne nous sentions pas étrangers à l’école. ” (…)
      Elle bavarda un instant avec nous, après nous avoir très affectueusement félicités, et nous dit aussitôt avec animation :
      “ Bon, les enfants ! Au travail ! Je serai votre soi-disant professeur, je ne suis rien de tel, je ne veux qu’être votre amie, je n’ai jamais enseigné la peinture et je ne crois pas l’enseigner jamais, car j’en suis encore à apprendre.
      Il est certain que peindre, c’est ce qu’il y a de plus formidable, mais il est très difficile de le faire correctement, il faut peindre, apprendre parfaitement la technique, faire preuve d’une autodiscipline très stricte, et par-dessus tout avoir l’amour, éprouver un grand amour de la peinture.
      Je vais vous dire une fois pour toute que si ma petite expérience de peintre vous est utile d’une façon ou d’une autre, vous me le direz, et qu’avec moi vous peindrez tout ce que vous voudrez et tout ce que vous ressentirez.
      J’essaierai de vous comprendre de mon mieux. De temps en temps, je me permettrai quelques observations sur votre travail, mais aussi, je vous le demande, entre cuates que nous sommes, quand je vous montrerai mon travail, faites-en de même.
      Je ne vous retirerai jamais le crayon des mains pour vous corriger ; je veux que vous sachiez, chers enfants, qu’il n’existe pas, dans le monde entier, un seul professeur capable d’enseigner l’art. C’est réellement impossible. (…)
 
      Les anciens étudiants de Frida s’accordent à penser que ses cours étaient absolument anti-académiques. Elle ne leur imposait pas ses idées, mais laissait leur talent s’épanouir en fonction de leur tempérament tout en leur apprenant l’autocritique. Ses remarques étaient pénétrantes sans jamais être blessantes, et elle mêlait la louange au blâme en insistant sur le fait qu’elle n’exprimait qu’une opinion personnelle, donc susceptible d’être erronée. (…)
      “ La seule aide qu’elle nous apportait, c’était de nous stimuler, rien de plus, explique Arthuro Garcia Bustos, un autre de ses élèves. Elle ne disait pas même la moitié d’un mot sur la façon dont elle aurait peint, ou quoi que ce soit sur le style, contrairement au maestro Diego.
       Elle ne prétendait pas expliquer des choses théoriques. Mais elle s’enthousiasmait à nous voir. Elle disait : “ Comme tu as bien peint ça ! ” ou “ Cette partie ne rend pas bien du tout ”.
      Au fond, ce qu’elle nous a appris, c’est l’amour des gens et le goût de l’art populaire. Par exemple, elle disait :
      “ Regardez ce Judas ! Quelle merveille ! Regardez ces proportions ! Comme Picasso aimerait peindre quelque chose d’aussi expressif, d’aussi fort ! ” (…)
      Nous étions très jeunes, très simples, très malléables : l’un de nous n’avait que quatorze ans, un autre était paysan. Nous n’étions pas des intellectuels. Elle n’imposait rien. Frida disait :
      “ Peignez ce que vous voyez, ce que vous voulez. ” Nous peignions tous différemment, chacun suivant sa route. Nous ne peignions pas comme elle. Il y avait beaucoup de bavardages, de blagues, de convivialité. Elle ne nous faisait pas de cour magistral.
      Diego, au contraire, pouvait construire une théorie sur n’importe quoi en une minute. Mais elle, elle était instinctive, spontanée. Elle éprouvait du bonheur devant tout ce qui était beau. ” 
 
      Frida n’enseigne pas. Elle ne théorise pas. Elle ne réfléchit pas. Elle ressent toute l’émotion de la beauté du monde qui traverse son corps brisé par l’accident de tramway qui éparpille sa vie en fragments à l’âge de 17 ans.
      Frida commence à peindre après l’accident immobile sur son lit. Elle peint avec à partir de son corps explosé pour ne pas cesser de protester contre celle qu’elle appelle “ la pelona ” la vieille femme chauve qui la traque. La mort avec son verre de pulque à la main.
      Frida peint et écrit son Journal et ses poèmes pour rendre à son corps l’élan qui le porte à se nourrir d’“ alegria ” devant tout ce qui a fait racine dans sa terre mexicaine et dans les gens.
      Et lorsqu’elle peint son corps se réunifie, sa colonne brisée redevient le fil qui la relie à la chair vivante des plantes et des fruits et au lait maternel de sa nourrice végétale.
      Frida est communiste. Elle adhère au parti et lui est fidèle. Elle appartient à une forme de réalisme social qui veut croire que le monde peut être changé et que la justice passe par la révolte active. Dans la rue. Dans les usines. Dans le combat politique.
      Et pourtant… Parce qu’elle est une femme Frida peint dansRacines et dans bien d’autres toiles aussi son corps réuni par des racines qui sont ses propres veines couvertes de feuilles.
      Son corps allongé et emmêlé aux soubresauts de la terre fertilisée et fécondée par l’énergie commune à la femme et à l’univers qui l’entoure. Cette énergie de créer… “ d’enfanter le désir ”… un désir d’herbe de fleurs d’oiseaux et de déserts un désir posé là comme un arbre en pleine métamorphose.
      Un arbre qui ne finira pas d’accomplir toutes les mutations nécessaires à l’intérieur de son corps réconcilié avec sa jeunesse et sa passion. Un corps qui peint. Un corps qui écrit.
Pour Frida peindre c’est se redonner chaque jour la vie. Pour d’autres et pour moi écrire c’est cela aussi. C’est retirer des mains de la “ pelona ” une poignée de grains de sable de cerises rouges et de rires d’enfants qu’elle nous a volés.                           
       Ecrire pour faire se rejoindre les fragments du monde. Les éclats d’êtres et d’histoires qu’un tramway roulant à toute vitesse a éparpillés au milieu de la poussière d’or des mots.                                                   
 
Ecrire pour donner du sens à l’ab-sens à l’absence de tout ce de tous ceux du tant aimer.
A suivre...
   
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20 octobre 2005 4 20 /10 /octobre /2005 00:00
Jeudi, 20 octobre 2005
Un p'tit poème écrit en hommage à une femme de ménage black que j'ai croisée un jour dans l'ascenceur d'un immeuble bourgeois...Prénom Iris
Mardi, 11 mars 2003
 
Au cinquante troisième étage
En haut de la tour Arc-en-ciel
Comme un oiseau de pluie trop sage
Faisant reluire ses ailes
Une femme de ménage
Black Astique les nuages
Avec un chiffon de lumière
 
En plein cœur de la ville folle
Un chat fluorescent sans manières
Repêche à poil dans la gouttière
Des chenilles indigo qui farandolent
 
Au fond d'un vieux grenier rebelle
Deux souris grignotent des grimoires
Violette l'encre des histoires
Pourtant que l'aube de ces jours était belle
 
Bleus les escaliers de service
Dessous la peau du sable coquine
Qu'empruntent sans peur les artistes
A leurs pieds des désirs de lune taquine
 
Troisième étage un perroquet
Vert turquoise vient d'ouvrir sa cage
Plus de barreaux et plus de quais
Où vieillissent en vain les âmes sauvages
 
Jaune sont les murs de sa chambre
Elle habite un soleil artichaut
Où peu à peu les oripeaux
D'un amour geôlier abandonnent ses membres
 
Quoi de plus beau que les oranges
Allumées dans la cour de l'école
Quand les hirondelles échangent
Un sac de blé contre dix heures de vol
 
Rouge la terre de ma maison       
Rouge en plein cœur de la ville folle
Sans briques Sans parpaings Sans façons
Coquelicots m'ont fauché la parole
Les mots nous sont de tendres édredons
 
Iris Ah ! tiens c'est le prénom
Black de la femme de ménage
Qui astique toujours les nuages
Sur la terre rouge ensemble nous vivons.
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19 octobre 2005 3 19 /10 /octobre /2005 00:00

Mars 2005

Le soleil assassiné

Texte écrit à partir des films Le soleil assassiné de Abdelkrim Bahloul, et La porte du soleil de Yousri Nasrallah, d'après le roman de Elias Khoury.

      Deux films qui ont la particularité assez rare aujourd'hui de dire les choses et de les montrer telles qu'elles sont, hors d'une réalité tronquée qu'on voudrait, aussi bien concernant l'Algérie sous l'occupation française et la décolonisation ensuite avec une autre forme de monopolisation des pensées, que la Palestine depuis l'occupation sioniste, nous faire prendre pour de "l'histoire".

      Or "l'histoire" s'écrit avec les peuples qu'elle traverse et non pas hors d'eux, et à partir de concepts abstraits décidant de raconter la vie "des autres" tels des pions déplacés sur un échiquier pour satisfaire à toutes sortes de folies.

      D'un côté Jean Sénac, le soleil assassiné parce qu'il n'y a pas d'autre couleur possible dans un paysage où le barbouillage monochrome décolorait déjà les désirs, les rires et l'insouciance prônant l'invention post-révolutionnaire, soleil assassiné par un blanc hagard qui a ébloui pour longtemps les regards et les a aveuglés.

      Et de l'autre la Palestine où chaque vivant survivant à l'encerclement, puis à la traque et enfin à l'exil, devient un fragment d'une mémoire solaire qui continue d'éclairer ailleurs, tourné toujours, tourné sans cesse vers cette semblable monochromie effaçant d'une lumière de mirador la moindre ombre de différence qui dessine sur la terre un clair-obscur vivable.

      Il y a des images dont on sent qu'elles se fichent à l'intérieur de soi comme un cormoran qui plonge tout droit dans l'eau en flèche noire sur la trajectoire d'une carpe vive. Il y a des images sans fioritures autour qui vont lançant leur harpon rouge au plus intime dans le lieu du refus, de l'exprême vigilance.

      Il y a des images qui déterminent notre histoire bien des années après lorsqu'on s'en souvient encore. Ce ne seront jamais des souvenirs, ce sont pour toujours des clichés d'un présent qui se présente à le porte et frappe. Frappe comme si c'était la première fois. Frappe à la porte du soleil.

      La première image se rapportant à Jean Sénac que j'ai vue est celle de son soleil signature au bas d'une lettre avant même de regarder une photo de lui cela m'a suffit. "Et je signe d'un soleil..."

   Cet homme n'a jamais eu d'ombre derrière lui, voilà ce que je me suis dit ensuite lorsque j'ai lu ses correspondances qui fracassaient les pages de papier déjà un peu chiffonné par le temps et trouées d'appels comme le sont les poèmes trous de la fin d'une vie.

      Les poèmes au coeur troué de Sénac m'ont fait songer aussitôt, automatisme des images qui fusillent un négatif de cerveau à n'importe quel âge, au trou dans la poitrine de la sculpture de l'homme de bronze à Rotterdam que j'ai vue ou qui m'a happée lorsque j'avais douze ans. C'était une sculpture d'Ossip Zadkine je ne l'ai pas oubliée.

      Je l'ai déjà raconté mais l'image est là en reproduction incessante. Par ce trou d'homme né des mains du sculpteur Ossip Zadkine esplosait le soleil en créouscule de sang. Le sang de son coeur arraché.

      Et voilà que la scène se rejoue tout autre mais si proche au fond à travers ce soleil assassiné qui nous envoie comme un gros paquet en pleine figure une histoire de soleil algérien qui ne sait ce qu'il a fichu de l'ombre des hommes qu'il arrose de son lavis de feu. Droit sous le soleil propice là-bas à casser en poussières d'argile n'importe quel crâne, droit sous le soleil Sénac et ceux qui lui ressemblent.

      Les poètes d'Algérie et de Palestine sont debout devant cette porte à franchir "Bab as-schams", cette porte du soleil à passer pour retrouver leur ombre, celle qu'on leur a volée le jour où ils ont décidé qu'on n'existe pas en tant que poète si on n'est pas proche du coeur des femmes et des hommes. Si l'on n'est pas solidaire de leur destinée.

      Dans Le soleil assassiné, ceux qui retirent à Jean Sénac son émission à la radio de l'époque Poésie sur tous les fronts savent ce qu'ils font. Ils retirent à l'homme l'ombre fraternelle d'un jeune berger de Kabylie ou des Aurès gardant ses moutons le poste collé contre l'oreille.

      La simple et étincelante joie de la communication des mots des poèmes, des mots des gens, sans laquelle celui qui crée parmi les autres n'est plus rien.

      Isolez un poète et il deviendra fou, il en crèvera en plein soleil de sa solitude comme un chien sur le sommet de la dune la plus haute du désert, à quelques pas de la source inaccessible et de la fraîche ombre du puits.

      Jean Sénac au fond de sa cave vigie c'est l'Algérie qui retourne aux moisissures des cachots, à l'invention bouclée derrière les grilles du sens requis et imposé à tous. C'est le soleil à midi sur la figure des hommes enterrés vifs en plein désert. C'est la bouche brûlée du silence trou, du silence des esclaves.

      A suivre...

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