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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

7 octobre 2005 5 07 /10 /octobre /2005 00:00

Vendredi, 7 octobre 2005   

      Avantd'écrireTalisman amoureux pour mon ami Louis je ne partageais avec personne mon amour pour la tendresse sauvage et démesurée de Louis-Ferdinand Céline à l'égard des humains, des gens de la vie tout simplement. Lorsque nous nous sommes rencontrés Louis avait ajouté à son prénom déjà familier le surnom de Bardamu et il était accompagné d'un chat noir et blanc nommé Monsier Céline.

      Tout d'abord nous n'avons parlé que d'écriture et de poésie mais aussitôt nous avons dérivé vers les hommes en souffrance au bord de l'océan qui habitaient nos cités d'enfance.

      Avant d'écrire Talisman amoureux pour mon ami Louis, je ne partageais avec personne mon étrange amour pour les hommes en souffrance et leur mort différée d'à peine quelques grains de sable. Après avoir beaucoup voyagé entre Eros et Thanatos, je cherchais surtout à fuir le second en me saoulant aux alambics d'absinthe du premier.

      Mais toujours l'océan avec ses hommes en souffrance...

     La scène primordiale n'a eu lieu que sur les rives d'un lac et pourtant le navire aux trois mats gravé sur la tombe de Céline au cimetière du Haut-Meudon y était.

      C'était un jeune moineau pris par un fil de pêche invisible et se débattant comme un fou au creux de l'herbe fraîche du soir. Lorsque j'ai ouvert mes mains dans la boule d'or du soleil couchant après avoir sectionné le fil avec mes dents j'ai eu le sentiment que je venais d'inventer la vie. Rien que ça !...

      Et la tendresse sauvage et démesurée de mon ami Louis à l'égard des humains en souffrance a rencontré la mienne un après-midi d'été sur le chemin brûlant de lumière et de silence qui nous menait en grimpant fort au cimetière du Haut-Meudon avec quatre cailloux ronds et doux d'océan dans la poche.

      Je venais d'achever l'écriture de Talisman amoureux et nous nous tenions la main comme deux enfants en regardant la longue coque de granit gris s'éloigner fendant l'écume verte de nos rêves. C'est à ce moment que traversant la boule d'or du soleil qui nous éblouissait nous forçant à cligner des yeux et mouillait nos paumes serrées un jeune moineau s'est posé à nos pieds et s'est mis à picorer joyeux et fugace l'air de rien.

      Alors nous sommes repartis tranquilles vers les boucles langoureuses de la Seine où certainement la péniche des morts ne nous avait pas attendus quatre cailloux d'océan rose et gris quatre cailloux ronds et doux déposés là tel un talisman amoureux.

Jeudi, 18août 2005 En montant par la Route des Gardes Il y avait un diable malin Qui nous souriait par mégarde Assis sur le bord du chemin...

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6 octobre 2005 4 06 /10 /octobre /2005 00:00

Jeudi, 5 octobre 2005

Article écrit par Sigrid le 5 octobre 2005 après la lecture de Moolaade 

      Quel est ce beau visage au cœur de ton poème ?

      Moolaade.
      La femme a cessé d’attendre au seuil de la demeure. Le visage est creusé, ocre et bleuté d'une lumière unique, le front ombré de noir par la peine quotidienne à vaincre l’horreur de l’excision, la femme est la maison refuge enfin pour des fillettes.

      La femme au visage bleuté sous son regard penché n’attend pas, elle agit et, aux creux profonds autour de sa bouche pleine comme un fruit de l’été, elle sait que, de ce côté de la mer, la souffrance qui tue les petites filles n’aura, un jour une nuit, plus lieu, acte de résistance qui dessine son visage si beau, Moolaade…

      De l'autre côté de la mer, au seuil des roches, contre des fils barbelés tendus rouges du sang martyr, les hommes abordent l'espoir assassiné par le déchaînement de l'armée des rempants, émissaires de l’ordre auquel K porta un temps l’ultime résistance...

       Jamais ultime encore...

Le visage de la femme, bleuté sous la coiffure rouge, devient notre pensée, Moolade.

     

      De nos rencontres fugaces...un seul regard croisé traversé parfois... sourdent toujours des mots...des histoires... de l'amitié.

      De nos rencontres fugaces ici ailleurs partout sur macadam city blues nous avons extrait un jus sucré et doux tendre salive ocre rouge de nos désordres et joies mises en commun.Tu me réponds et je t'invite à inventer d'autres voyages... d'autres visages illuminés par le sourire des gens d'ici d'ailleurs de partout sur macadam city blues.D'autres amitiés.

      De notre rencontre à Longwy dont j'ai parlé dans un autre fragment du Journal, entre mes amies Cécile Oumhani, Dominique Godfard et moi lors du Salon Les Ailes du Livre avec Nora Hamdi une jeune écrivaine de banlieue à l'occasion de l'écriture de son premier livre Des poupées et des anges publié aux Ed. Au Diable Vauvert en 2004, est sorti un texte à deux voix dont voici quelques lignes.

      Un texte dédié aux jeunes filles des banlieues dont la force et la passion de vivre m'éblouissent.

                                                           ANges ou POupées

      "Bloc 123B. Chirine claque la porte de l'appartement. Visage fermé, passe devant moi. Je ne peux pas m'empêcher de la regarder. Elle a l'attitude d'une star. Sa façon de se répandre, sa démarche, ses manières,, tout est calculé pour qu'elle se fasse remarquer. De longs cheveux châtains, d'interminables sourcils fins, d'émouvants yeux verts mélancoliques. Son jean se confond avec ses jambes. Son chemisier laisse apparaître son soutien-Gorge. Talons très hautes. Port droit, visage presque hautain. Elle est très belle. Elle le sait. Droit devant moi, elle passe, me frôle, m'effleure. Son arrogance est pleine de grâce, de classe, de glace." Des poupées et des anges

      Trois filles dans un appartement de banlieue tels qu'on les imagine à la périphérie proche de la grande cité, trois filles dans un appartement à l'intérieur d'un des blocks, un appartement comme tout le monde en a là-dedans, trop étroit où on vit les uns sur les autres mais qui a l'air convenable, même presque propre. On vit là et on attend autre chose peut-être.

      On attend... Trois filles et une famille d'origine maghrébine où il n'y a pas de père ou de frère islamiste pour terroriser tout ce qui a l'allure d'une femme dans les parages.

      Pas de "petits voyous" niquant leur mère ou leur soeur à longueur de palier et de halls, d'escaliers et de parkings même si ce ne sont que des mots.

      Pas de dealers de ci ou de ça fonçant et sautant en marche d'une voiture volée à l'autre dans les passages entre les blocks.

      Pas d'obsédés du sexe, de la haine, du viol en série au fond des sous-sols et des chaufferies, des partouzes géantes et de la mort évidemment pour finir...

      Enfin rien de ce qui fait écrire et causer les journaliste au sujet de ces "banlieues dangereuses en raison d'une forte concentration d'immigrés..." On se demande bien de qui ou sans doute de "quoi", puisque tout leur sert d'objet d'écriture, ils parlent...

      Pour le coup on y est, Chirine comme Lya, les deux héroïnes de cette histoire où les poupées et les anges se disputent le jeu à la place des... méchants garçons terriblement incontrôlés et menaçants pour le bien-être public, Chirine et Lya racontent de l'intérieur la vie qui dérape aussi parfois dans une famille d'origine maghrébine aujourd'hui quelque part en banlieue.

      Chirine et Lya, deux gamines qui pourraient aussi bien vivre ailleurs mais le contexte de "la banlieue", exaspère le désir de se révolter contre un espace familial qui ne suit pas l'évolution d'une société dont les différences disloquent de plus en plus fort le corps rongé, usé, écartelé.

        Deux filles dans une famille ordinaire, où " mon père grogne, s'énerve, marque le terrain, hurle parfois, se parle à lui-même, fait les questions et les réponses."Et où la mère "a lâché prise."

         L'histoire de ces gamines dans la Cité, c'est une histoire vraie, n'est-ce pas ?

      Et voici ce qu'en dit Nora : Lorsque j'ai écrit ce roman je voulais montrer que l'on peut écrire une histoire en s'appelant Nora Hamdi, nom d'origine algérienne sans pour autant parler de religion. Ce livre est ma vision sur ce que peuvent être certains destins de la vie, ce n'est pas autobiographique.

Pour accéder à l'histoire, la raconter, ce qui donne le côté intime c'est que je passe par moi, me mets à la place des personnages principaux, les mets en situation dans notre réalité, notre quotidien. Je passe par des moments de violence comme par des moments d'amour et c'est peut-être pour cela que ça semble vrai.Je fais mon travail de romancière.

Au-delà de sa pauvre origine sociale qu'elle n'aime franchement pas, Chirine prend conscience à travers d'abord le regard de son père qui petite la voit déjà comme une poupée, puis plus tard par la télé et la pub, du monde de la consommation dans lequel nous vivons. Elle est certaine que sa beauté est une porte de sortie pour elle.

Pour Lya, avec son caractère lucide, c'est en imitant la violence de son père, en pratiquant un sport de combat qu'elle va vite comprendre qu'il vaut mieux savoir se défendre dans ce monde-là si elle souhaite ne pas être prise pour une poupée.

      Inès la plus petite attend devant le bocal où son poisson rouge ronge son os d'ennui, et devant sa poupée géante, de grandir et de devenir une fille très jolie elle aussi pour retourner en tout sens le problème qu'agitent ses soeurs telle une marionnette de chiffon muette : comment quitter la banlieue ou bien comment y vivre et entrer dans la vie, la vraie, celle des autres, des gens qui... des gens que... des gens quoi ! 

A suivre...

Quelques signes... et un regard croisé vite fait comme une main ouverte...                                                                                 Et si vous désirez comme Sigrid et comme Nora, participer à travers vos mots, vos images ou vos histoires participer à l'aventure rebelle et mirage des Diables bleus, alors écrivez nous un p'tit mot...                                                                                                                            

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5 octobre 2005 3 05 /10 /octobre /2005 00:00

Moolaade

Moolaadé. Quelques gouttes de sueur un peu ocre au creux des mains quand je t’écris face à l’immense faux d’argent des exciseuses qui sont des femmes dont le corps coupé vaut celui des hommes sur la place du village où a lieu l’assemblée des sages. Celui qui annonce l’un après l’autre le nom des sages ne racontera jamais aucune histoire. Le village de N’gouma ne possède pas de conteur à l’intérieur de ses flancs ouverts où ne bat aucun tambour de fête.

 

                    Sur la place du village de N’gouma la termitière rouge cimentée de salive veille à ce que les corps informes et identiques qui l’habitent ne connaissent pas leur histoire. Leur histoire qui réveillerait leurs désirs flamboyants. Celui qui annonce un à un le nom des sages est un mauvais bouffon qui a eu la langue brûlée par le soleil d’Afrique. Ni les arbres ni les tambours ne lui ont confié la mémoire des histoires du village de N’gouma. Le village de N’gouma dont la mémoire s’est tue ne s’exprime plus que par la bouche des sages cimentée des mots poussière du passé et par le couteau au manche de plastique rouge des exciseuses.

  Moolaadé. Toi seul peut faire revenir les mots des histoires à l’intérieur du corps blessé des femmes. Moolaadé. Sang sueur et sperme mêlés coulent entre les pieds des femmes en direction de la termitière.

        Moolaadé. Le ruisseau creuse dans la poussière ocre de ma terre d’Afrique une scarification qui rendra toutes les autres blessures inutiles. Le ruisseau du sang des femmes est entré à l’intérieur du corps cimenté de la termitière et a commencé à noyer un à un les êtres informes et identiques.

        Moolaadé. Sur la place du village de N’gouma l’assemblée du conseil des sages et des exciseuses regarde le corps de Fatou trembler sous les coups de fouet sans que sa bouche ne prononce le mot pour rompre le Moolaadé. Sous le tissus de couleur mauve aux dessins géométriques et jaunes la peau fine de Fatou reconnaît la lente montée de la douleur née de la lame sur son sexe d’enfant.

          Moolaadé. Moolaadé. Le parfum de son grain de café vert et mouillé remonte à ses lèvres maintenant… maintenant…

            Moolaadé. A l’intérieur du cabinet du docteur Nam Fatou est assise à nouveau au creux d’un vaste fauteuil de paille tressée sous les yeux graves et malicieux de l’homme qui la regarde. Le regard du docteur Nam ressemble à ses mains que Fatou aime bien observer car elles la rassurent. Le regard du docteur Nam est mouvant comme un gros chat toujours prêt à changer de trajectoire.

 

           - Alors monsieur le docteur Nam… elle interroge Fatou les deux mains enfoncées entre ses cuisses à l’intérieur du tissus de couleur mauve aux dessins géométriques jaunes et cannelle…

           - Alors Fatou… d’abord ne m’appelez pas monsieur le docteur… Nam… docteur Nam… cela me va bien… il a dit le docteur Nam avec ses petits yeux qui sautaient d’un bout de la pièce à l’autre.

 

                  - Alors docteur Nam… elle a répété Fatou sa salive séchant sur sa langue et dans sa gorge comme dans la chaleur rêche de N’gouma quand le jour se fend en deux à l’intérieur des graines de café noires.

 

                  - Alors Fatou… c’est que… ça risque de ne pas être simple… je vais vous parler franchement… Les petits yeux vifs du docteur Nam sont entrés en collision avec les puits d’ombre tiède de Fatou qui attendaient.

           - Alors docteur Nam… elle a interrompu Fatou les lèvres brûlantes comme la poussière ocre rouge de N’gouma… les deux mains agrippées au rebord en bambous verts du bureau… alors c’est que ça ne marche pas…

 

          - Non Fatou… il a dit tranquille le docteur Nam en posant ses deux mains à plat sur celles de Fatou… Ça n’est pas que ça ne marche pas… c’est que… ça risque de prendre du temps… beaucoup de temps…

           Fatou a avalé un petit rire dans sa gorge qui ressemblait à une grenouille en train de dénicher une somptueuse mare d’eau verte au centre des terres asséchées que le fleuve déserte quatre mois par an.

           - Oh ! docteur Nam… ça n’fait rien… ça n’fait rien du tout si c’est long… Maintenant que j’suis ici ça n’fait rien… elle a répété Fatou en pensant à sa copine Suah qui l’attendait dans la chambre du foyer Sonacotra où il y a autant de portes que d’arbres sur la rive du fleuve qui traverse le village de N’gouma.

 

                  - D’accord Fatou… alors si ça n’fait rien on y va !… Mais ça sera long Fatou… deux ans peut-être trois… Les mains du docteur Nam ont serré doucement celles de Fatou qui tremblaient.

 

                 - C’est une très vieille blessure Fatou… une blessure que le corps d’une petite fille ne pourra jamais oublier… mais que le corps d’une femme va apprendre à réparer pour elle…

 

                 - A réparer pour elle… elle a répété Fatou l’air songeur avec le petit rire grenouille au fond de sa gorge joyeux.

 

                - Pour elle Fatou… voilà pourquoi ça sera long… il y a si longtemps Fatou… mais je serai avec vous…

  Moolaadé. A l’intérieur des mains su docteur Nam les mains de Fatou comme la graine noire au cœur de sa fleur blanche.

Moolaadé. Quelques gouttes de sueur un peu ocre au creux des mains quand on l’écrit. Moolaadé. Droit d’asile fragile. Ma terre d’Afrique est nue sous la peau fraîche des pieds des femmes.

Moolaadé. Moolaadé. La termitière rouge de N’gouma est cimentée de salive. Elle pèse lourd sur moi.

Moolaadé. Lorsque Fatou dénouera le cordon de laine tressé devant le seuil de la cour des femmes le corps des fillettes aux robes de cotonnades claires n’aura plus besoin du droit d’asile à l’intérieur du corps des femmes. Il s’y déploiera tout entier dans la lenteur rouge de ma terre d’Afrique. Il s’y déploiera comme le parfum tendre de leur grain de café vert.

Moolaadé. Comme ta chair est douce. Et comme le rire des fillettes revenant sans crainte du fleuve nues et s’accroupissant pour uriner entre leurs pieds est éclatant.

Moolaadé. L’homme qui vend des cuvettes en plastique multicolores et des bouilloires vert pomme a été lynché pour avoir interrompu le rituel des coups que la femme reçoit de son mari. La femme a refusé de prononcer le mot faisant cesser la protection du Moolaadé. Moolaadé. Droit d’asile fragile. Le sang d’une graine de café vert nourrira une dernière fois ma terre rouge d’Afrique. Moolaadé ! Moolaadé !

Moolaadé n’a rien pu pour l’homme qui vend des cuvettes en plastique multicolores. Moolaadé habite à l’intérieur de la cour des femmes aux petites maisons construites en rond. Il habite la douceur blanche du ventre des petites maisons sous la peau. Il ne protège pas les hommes de leurs lois.

 

 

                     Moolaadé. Je t’écris avec le sexe rouge des fillettes où j’ai plongé mes doigts. Droit d’asile fragile. Coupé. Cousu. Coupé. Cousu.

           Au-delà du seuil et des cordelettes tressées le sexe rouge des fillettes cesse d’être en danger sous la cuisson lente du soleil. En danger d’entrer dans l’espèce des hommes dominants qui n’ont aucun devenir. Mes graines de café vert… leur parfum suave me monte aux lèvres.

Moolaadé. Tu es plus puissant qu’eux par le refus des femmes at par leurs épousailles avec l’exil. L’exil est un mot écrit à l’intérieur du corps des femmes telle une histoire venue de loin. Un seul mot a suffi pour dire qui elles sont. Moolaadé !

Un seul mot Moolaadé pour les détacher du silence et qu’elles se mettent enfin à raconter leur histoire.

Un seul mot Moolaadé pour dénouer les cordelettes de laine tressées sur le seuil des demeures des femmes et pour que cesse le rite des donneuses de vie et des donneuses de mort.

Assise au bord du fleuve la grande déesse terre sur laquelle les volcans ont posé leur couverture de lave écarlate pour la protéger du crissement froid des nuits indigo du désert a pris la parole :

 

Moolaadé. Sur ma terre rouge d’Afrique je te retrouve. Droit d’asile déposé au creux de mes mains de poussière ocre rouge. C’est d’ici que tu es venu Moolaadé et jamais plus les termitières géantes cimentées de salive ne pèseront lourd sur moi.

Moolaadé ! Moolaadé ! Jamais plus je ne serai la mère ogresse vêtue du grand tissu écarlate des exciseuses. Jamais plus je ne serai la mère ogresse offrant la graine de café vert des fillettes au couteau des exciseuses. De mon corps de terre rouge sont sortis les grands reptiles qui se sont mis en marche lentement en direction de toutes les termitières géantes cimentées de salive au rythme sauvage de leurs pattes dont les doigts peints par la poussière ocre qui farde tout ici ont effacé la douleur de mon attente.

Moolaadé. Je te confie aux mains des femmes réunies à l’intérieur des cours rondes tracées par les maisons d’argile blanche sur ma terre rouge d’Afrique.

 

Moolaadé. A l’intérieur des cours rondes les femmes te versent de l’eau des bassines en plastique multicolores au ventre des jarres d’argile rouge qui te gardent un moment dans leur fraîcheur accueillante avant de t’offrir tel un ruisseau ouvrant tous les chemins possible en direction du fleuve qui s’en va bien au-delà du village de N’gouma.

Moolaadé. Tu es ma fleur de café blanche qui grandit à l’intérieur de la graine noire souveraine. Elles ont le même corps qui nourrit les grands parfums du monde où je reconnais mon désir bien-aimé. Le désir du corps bien-aimé de Fatou remontant à la nage nu l’eau du fleuve vers la rive où les graines de café vert se laissent caresser par le chant des conteurs de ma terre rouge d’Afrique.

Moolaadé ! Moolaadé ! Tu nous a enfin ouvert la porte des histoires.

 

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4 octobre 2005 2 04 /10 /octobre /2005 00:00

L'autobus des broussesVendredi, 23 septembre 2005

Autobus des brousses tu frottes encore

Tes pneus caoutchouc ta carcasse d'os

Contre nos peaux de guerriers tirés au sort

Carapace métal vieux rhinocéros

Rousse la savanne de nos vies dortoirs

Ce soir c'est décidé on va t'incendier

Tes petits dieux nains foncent dans le noir

Le sort de ton corps au nôtre est lié

Au milieu des places des totems féroces

D'acier où s'allument verres de couleurs

Remplacent les fétiches de bois et et d'os

Que nous gavions de mets aux fortes senteurs

Les feuilles de tabac pour eux embrasées

Rendent sur les trottoirs les combats fugaces

Dans la brume chaude les guetteurs tenaces

Au pied du baobab vont nous dépouiller

Autobus des brousses tu traînes sans peur

Ta carlingue rouillée d'ancien baroudeur

Parmi nos mains nos pieds nos tam-tams vainqueurs

Animal fatal Nos armes encartées

A chaque arrêt on a des grands feus l'odeur

On aimerait bien t'imaginer carosse

Par trois éléphants tirée douce ta bosse

Nous comme des rois on monterait dessus

Les riches trafiquants les marchands cossus

Frottant de la lampe le ventre dodu

Semblable au leur verraient le génie moqueur

Grimper avec nous complice resquilleur

Sur le toit nos paniers nos calebasses

Nos épices nos balots de tissus

Sous nos boubous imprimés les jeans effacent

Dans le black de la chair de trop sales traces

Les baskets des talons secs ont pris la place

Rhinocéros tu t'amènes pour tes noces

Les totems de béton font un beau négoce

Foudre et mêche ici on achète féroce

Autobus des brousses tu traces moqueur

Sur nous un trait une écarlate frontière

Dans la banlieue brasier et rouge la terre

Bientôt va survenir la lente colère

Tu ne perds rien on court facile compère

Quand tu nous largues c'est la savanne rousse

Ici sur macadam rien d'autre ne pousse

Que notre jeune joie et nos rires fiers

L'arbre baobab est un saule pleureur

Et la laverie un ghetto idéal

Tam-tam les tambours fatal animal

Frappent avec fureur les mots des conteurs

Autobus des brousses t'es un vrai farceur

Chevaux sauvages tassés à l'intérieur

Nos crinières nos sabots notre splendeur

Nos galops fous d'océans immense espace

Nos savanes lourdes d'écume mouillée

Rousses et vertes nos métisses enfances

De la banlieue nous sommes débarbouillés

Du sel sur du feu aux abattoirs voraces

Rentrer chez soi Banlieue c'est tout une affaire

Tam-tam avec vous partager notre enfer

Et nos étés bleus qui emmènent la danse

Si vous voulez boire à nos courants-d'air

Autobus des brousses notre bétaillère

Attention ghetto ! écarlate frontière

Fatal animal se dresse ta carcasse

Totem modernité rouge termitière.

Et maintenant à vous de nous donner quelques p'tits mots... si vous voulez.

Et bienvenue chez les Diables bleus !

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3 octobre 2005 1 03 /10 /octobre /2005 00:00
Journal d'une fille de banlieue suite
Cette histoire s'est passée le 27 août 2005
Une fille qui écrit sans papier
      Gare du Nord. Vous connaisez ?
      Un lieu de passage vers tous les horizons ou blues macadam tangue sur sa savane rouge prête à s'enfoncer dans la Seine. Un coup brusque et c'est le noir allumé de milliers de vers luisants jaunes qui font de l'obscurité un tamis pour les boues d'or.
     
      Gare du Nord...
       Des rails bleu-gris qui coupent des tranches de jour SDF gardés par des vigiles bleu-noir et des chiens noirs d'ennui qui tentent de rentrer dans le sol béton que la machine qui brosse crache et cafouille vient de cirer. Mais il ne connaît pas la formule le chien et le sol y n's'ouvre pas.
      Gare du Nord.
 
      Une bande de rats anthracite poil hirsute par l'atmosphère collé petits yeux clignotant jaune et museau fendu les dents en avant fonce sur les quais macadam béton avec déchets papiers d'argent... épluchures d'orange vers un crouton qui est l'crouton d'la soirée.
      Une bande de rats gras rigolards avec pour objectif le crouton et hop ! vite fait pendant qu'y en a un qui surveille les alentours récupèrent la mise que les clochards du coin auront pas et hop ! marche arrière derrière en l'air et queue pareil retournent sans trompette dans leur trou à rats.
      Gare du Nord. Vous connaissez ?
     
      Une fille sans papier écrit sur tout et sur rien sur macadam barbare avec odeurs de pisse et sueur des rats plus celles des détergents bulles de couleurs dans un petit bocal avec une paille fendue au bout comme le museau des rats et hop ! ça s'envolait fantaisie et musette mais là c'est au ras du sol qu'on est.
      Une fille sans papier écrit après que la machine laveuse... suceuse... frotteuse ait viré plus loin que les vigiles bleu-noir et les chiens qui seront chiens toute leur vie les mégots cramés... les tickets de métro avec de la banlieue plein le dos... les bouteilles plastique sans les petits bateaux et l'océan dedans et les journaux qui ne servent qu'une fois des bouts de son histoire sur le quai 36 direction Pontoise ou peut-être c'est plus loin encore...
      Gare du Nord. Vous connaissez ?
      Des horizons qui tanguent le blues des rails. Des vigiles qui ont perdu la formule des chiens automates. Des rats drôles dodus qui guettent le ronde des machines d'eau savonneuse et l'crouton du soir !
     
      Gare du Nord.
      Une fille qui écrit sans papier sur un des lieux les plus insensés au bout des faubourgs devenus banlieues et cet accent grave dans leur gorge qui est une question d'atmosphère sans doute et d'atmosphères la Gare du Nord elle en manque pas ça non !
Gare du Nord
Si on avait le temps là tout de suite je pourrais vous en donner des quantités de ces atmosphères-là bien à elle et pas que d'aujourd'hui seulement. Pour sûr que je pourrais... j'y fais colis en transit depuis que j'ai commencé à inventer des gares un peu partout dans l'enfance déjà je les voyais drôlement me serrer de tout près et je savais que leurs trains c'était moi. Pas autrement. Les rails ils se tiraient ailleurs avec des nuages d'aventures et de boniments et ça m'faisait du rêve bon marché avant de dev'nir un épouvantail cauchemard au parapluie orange à trous.
      Gare du Nord.
     
      Si on avait du temps j'vous mettrais au parfum de mes sarabandes y'a un bout d'années d'ça... Enfin ça sera sans doute pour une autr' fois car on n'en a pas fini avec l'arbre aux histoire... vous savez le baobab ? Bon aujourd'hui le temps on n'la pas trop vu que la fille qui écrit sans papier sur macadam blues restera pas nous attendre jusqu'à c'qu'il fasse nuit vraiment nuit après que le dernier train de nuit ait troué la peau silence du hall et de la verrière pour s'enfoncer direction le Faubourg Saint-Denis là où y a les filles tout contre le string des trottoirs dénudés.
      Et je voudrais vous entretenir ici de cette histoire dont le museau grogne en soufflant avec des vibrations de partout comme une grosse locomotive à vapeur telle qu'il me l'aurait dite mon grand-père cheminot sur le réseau Nord et telle qu'elle craque sous ma pelure de vents à chaque fois que l'odeur froise des quais macadam me prend à la gorge.
      Gare du Nord. Vous connaissez ?
      A suivre...
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1 octobre 2005 6 01 /10 /octobre /2005 00:00

Journal d'une fille de banlieue

Suite et fin du journal d'une fille de banlieue à partir du livre de Leïla Sebbar Journal de mes Algéries en France, Ed. Bleu autour, 2005.

Une écriture des banlieues métisses, ça existe ?

L’image qu’on a donné depuis toujours des Noirs, des Arabes, ici, dans les médias, aux gens qui lisent les journaux, à la police aussi, est une image de gens étrangers, différents, dangereux et… primaires pour ne pas dire primitifs. Cette façon d’intervenir le plus souvent lors des contrôles d’identité uniquement à l’égard des populations qui ont un faciès bien repérable renvoie à certaines théories que nous connaissons. Je lis dans Journal de mes Algéries en France page 66 « Dana S. Hale (Zoos humains) rappelle les mises en scène de l’« indigène » lors de ces multiples exhibitions, depuis l’Exposition de 1889 à Paris jusqu’à celles de Marseille (1922), Strasbourg (1924)… et dans bien d’autres villes françaises et européennes. »

      « Est-ce qu’il existe une écriture, une littérature de la banlieue ? » se demandait Christiane Chaulet Achour lors du colloque à la Faculté de Cergy-Pontoise auquel j’ai participé au mois de février 2005.

 

          J’arrive à la station Nation, là où se trouve le lieu dans lequel je travaille, c'est-à-dire que j'écris. Un peu avant de sortir de la rame je lis dans Journal de mes Algéries en France page 40 : « On détruit l’usine (Renault), et la mémoire des chibanis d’aujourd’hui, jeunes ouvriers de l’automobile française dans les années 50, 60, 70…, sera effacée de ce territoire industriel parisien promis à l’art officiel contemporain. »

  Beaucoup témoignent aujourd’hui de ce que les « immigrés » ont apporté à notre culture, à notre héritage social et humain, cela s’est fait, cela se fera. Mais dans le domaine du romanesque, du créatif, il nous appartient d’aller au-delà et de faire entrer Maghrébins et Africains comme personnages de nos histoires, de nos peintures, ici, où ils demeurent comme nous désormais, et non plus comme des formes d’un exotisme désuet.

       Lundi, 18 avril 2005

     « 15 novembre »

       (…- « MK2 Bibliothèque. Retour sur l’île Seguin, un film de Mehdi Lallaoui, et une exposition de photos de Gilles Larvor (Agence Vu) avec qui j’ai travaillé pour Val-Nord, fragments de banlieue (Au nom de la mémoire,1998). Mehdi, avec la complicité de Gilles et des ouvriers de l’île qu’ils appelaient « l’île au diable », poursuit sa mission de passeur de mémoire : immigrations successives, bidonvilles, banlieues, Kabyles du Pacifique, usines, 17 octobre 1961…

      Infatigable efficace, il rend hommage aux oubliés. Ces hommes de l’île Seguin, ces chibanis que de jeunes immigrés du Maghreb (pas leurs fils) remplaceront pour détruire la forteresse, veulent dans leur île un musée pour eux, pour leurs camarades, et raconter cette Babel mythologique du travail. Ils ne l’auront pas. » p. 94 du Journal de mes Algéries en France

      Mon premier souvenir d’une œuvre de création née de la réalité quotidienne des ouvriers immigrés maghrébins en France a été cinématographique lorsque j’avais environ quinze ans. Il s’agit d’un film passé à la télé aux trop célèbres « Dossiers de l’écran », réalisé il me semble par un réalisateur d’origine marocaine, intitulé Mektoub. Ce film qui montrait, un des premiers et sans doute des seuls à l’époque, l’arrivée d’un ouvrier maghrébin à Paris et sa longue galère du bidonville de Nanterre pour se loger tant bien que mal, à la quête du travail sur les chantiers où il trouvera une place comme grutier pour finir et où il se tuera « sans doute » en tombant de la grue m’avait à l’époque profondément marquée.

 

          Non pas pour ce qu’il dessinait avec beaucoup de dignité d’une réalité de boue, de pauvreté, de mépris, et de regard pourtant parfois si joyeux et si ouvert de ces femmes et de ces hommes, toutes choses que je connaissais au quotidien de ma banlieue. Mais pour la réaction des « téléspectateurs » dont la plupart s’étaient mis en colère, affirmant que tout cela, ce que nous voyons se passer autour de nous chaque jour, n’était qu’un mensonge.

 

               Notre existence au milieu de ce qu’on appelait pudiquement « les cabanes », des chantiers jamais achevés, des terrains vagues, des usines de choucroute au bas desquelles hurlaient les porcs qu’on égorgeait, des chiffons brûlant nuit et jour dégageant une superbe fumée noire, ces cités qui précédaient de peu « Les Bosquets » à Montfermeil dont plusieurs barres ont implosé récemment parmi celles où j’ai vécu sans doute et où a été tourné le film Wesh wehs ?, et les 4.000 à la Courneuve paraissait à tous « ces gens », les autres, ceux qui vivaient ailleurs, être un mythe inventé de toutes pièces.

 

       « 16 décembre »

      (…) « La Courneuve. Les 4000. Fatima et ses amies algériennes au square. Elles habitaient la barre « Renoir » ? Je ne l’ai pas su. Il y a vingt ans, assises sur le banc vert, non loin des bavardages et des gestes des femmes, mères, filles, sœurs, cousines, voisines, je les écoutais. Se rappelleraient-elles aujourd’hui la barre « Renoir » disparue (un 8 juin 2000 à 13 heures 30, le « Paquebot » a implosé, Debussy en 1986, Ravel et Pressov en 2002) ?" p. 128 du Journal de mes Algéries en France

      Je me souviens dans mon raisonnement encore enfantin m’être dit alors que ce film était utile puisqu’il témoignait de manière si forte et si digne, qu’il provoquait des réactions de refus, de ce qu’on avait décidé par ailleurs de ne pas voir.

        « 8 et 9 décembre »

       (…) « J’ai feuilleté le journal Histoires d’Elles, n°14, juillet-août 1979. J’étais allée à Longwy avec Dominique Doan et Catherine Leguay. Les enfants de Longwy, déguisés en sidérurgistes et en Lorraines, avaient marché pour que « vive Longwy », « le pays haut ». Une petite fille algérienne d’Aubervilliers avait passé trois jours dans une famille lorraine, une maison avec un jardin, « là où j’habite c’est tout des blocs ». Elle a emporté un maillot blancs LONGWY VIVRA, bleu outre-mer. Une belle double page dans le journal avec « les flammes de l’espoir ». Longwy en décembre 2004 ? Si je ne vais pas en Algérie l’année prochaine, j’irai à Longwy. » p. 127 du Journal de mes Algéries en France

       Longwy, novembre 2004.

 

       La Lorraine est pour moi une région qui porte des souvenirs cruels et douloureux. Ceux de mes années de pension. Une lettre sous le paillasson au début de l’été 2004 nous invitant, Dominique Godfard qui a publié dans nos éditions Et plus si affinités, et moi pour mon récent récit-conte Squatt d’encre rouge, à participer au Salon de Longwy – il porte un beau nom ce Salon, Les ailes du livre – au mois de novembre. Je n’aurais jamais songé retourner un jour en Lorraine, bien que le nom de Longwy soit symbole d’une désastreuse faillite de la mémoire ouvrière justement.

         Il s’y est passé tant de choses pour des familles entières d’ouvriers français et maghrébins, l’histoire de ces gens y a été si forte, si ardente et douloureuse elle aussi dans sa fin brutale, qu’on redoute le vide blanc et consommé d’aujourd’hui. Je range l’invitation avec la ferme intention de ne pas donner suite. Donner suite à quoi ?… De toute façon je n’aime pas les Salons et ne les fais que par absolue nécessité éditoriale. Alors Longwy, certainement pas.

      Trois mois plus tard les femmes de l’association qui organisent en bénévoles chaque année cette manifestation, obstinées et résolues à tout pour que Les ailes du livre continuent d’exister et d’accueillir leur quotas d’écrivains venus de régions du monde très disparates reviennent à la charge. Mon amie Cécile Oumhani est invitée à son tour pour son dernier roman Un jardin à la Marsa. D. Godfard et elle s’acharnent à me convaincre…

 

       Nous nous retrouvons toutes les trois un matin de novembre dans le hall venté de la Gare de l’Est avec valises de bouquins destination Charleville-Mézières, la ville que Rimbaud détestait – comme je le comprends ! – où dix minutes de changement nous sont accordées avant de monter dans un train omnibus pour Longwy. Quatre heures de voyages avec heureusement pas mal de discussions et de rires pour digérer ces voyages en train que mon organisme ne peut plus du tout supporter. Longwy ! l’ancienne mégapole de la sidérurgie lorraine, au ventre béant, hagard, dévasté.

      Longwy… Accueil chaleureux dès la sortie de la gare qui ne se démentira pas durant tout notre week-end. Nous nous retrouvons à une dizaine d’écrivains parmi lesquels nous avons retrouvé en cours de route l’ami Anouar Benmalek.

       Parmi les autres écrivains, la rencontre qui m’éblouit de Jean Markal, vieux romancier d’une juvénile présence et d’une gouaille bon-enfant dont j’ai lu également tous les livres ou presque du Cycle du Graal qui touche au plus profond de la mémoire celte familiale éparpillée.

       Et puis discrète et d’une beauté que sa jeunesse rend encore plus touchante, une jeune femme que Cécile me dit aussitôt être sûre d’avoir déjà rencontrée. Nous apprendrons au cours de notre séjour qu’il s’agit d’une des anciennes élèves de collège de Cécile, Nora Hamdi, qui vient d’écrire son premier roman Des poupées et des anges, dont je parlerai avec elle dans le numéro de la revue dont je parlerai peut-être un jour si les diables me prêtent vie... intitulé Ecrire pourquoi ?

 

         Longwy… Novembre 2004…

 

         Lieu insoupçonné de rencontres pour nous qui écrivons. Chaleur de la présence des gens autour de nous, la plupart, je l’apprendrai au cours de la discussion, cégétistes et anciens de l’époque des combats ouvriers pour que « VIVE LONGWY », recyclés dans le culturel ? L’histoire de la ville nous est racontée avec passion, l’échec de sa lutte pour survivre en tant que capitale de la sidérurgie, des nombres affolants se succèdent à nos oreilles dont je ne retiendrai précisément que le côté gigantesque puis… désiroire.

      Tant d’ouvriers dans le bassin lorrain en telle année, puis la décision de fermer peu à peu les hauts fourneaux que je voyais brûler la nuit de mon boxe de pensionnaire. La décrue humaine qui rend la ville à ce que nous en verrons le dimanche matin dans un froid glacial avant de nous rendre au Salon, ce qu’on peut appeler son amère nostalgie.

       Et je songe aujourd’hui à la superbe chanson de Bernard Lavilliers Les mains d’or, lorsque me reviennent les mots de la personne qui nous contait l’histoire de sa ville désormais endormie : « Ici en France, on ne préserve pas la mémoire ouvrière comme en Belgique. Les Belges font visiter les anciennes galeries de mine avec de petits wagonnets au bord desquels les gens peuvent regarder et écouter ce qui s’est vécu là durant des années pour des centaines d’ouvriers chaque jour. Nous, on a bien du mal à les empêcher de couler du béton dans les puits et de les remplir avec les ordures… »

 

          Oui. Avec des ordures… « Je voudrais travailler encore… travailler encore… forger l’acier rouge avec mes mains d’or… » chante Lavilliers obstinément.

      Tu as raison Leïla, il faut aller à Longwy et te faire raconter par ceux qui la connaissent la dure et forte existence des gens. Il faut l’écrire dans tes livres et ne pas laisser les déchets de nos sociétés industrielles combler d’oubli nos mémoires.

 

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30 septembre 2005 5 30 /09 /septembre /2005 00:00

Vendredi, 30 septembre 2005

Moolaade

      Le superbe dernier film de Sembene Ousmane Moolaade sorti dans les salles parisiennes au printemps 2005 est un poème en même temps qu’une œuvre picturale à lui seul. Comme toute véritable création elle inspire à celles et ceux qui en sont témoins et en reçoivent la sensibilité magique l’envie à leur tour de raconter… Voici un extrait de l’histoire née de ce que j’ai reçu de ce film qui m’a permis de rencontrer une autre face de l’Afrique que celle que je croyais connaître.

      Mais tout d’abord quelques mots au sujet du réalisateur Sembéné Ousmane pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas.

     

Moolaade Un film de Sembene Ousmane, Sénégal, 2002.

Synopsis

      Il y a sept ans, Collé Ardo, mère excisée, a soustrait son unique fille de la Purification (l’excision).

      Ayant entendu parler de cet acte de résistance, lors du nouveau septennat, quatre fillettes se réfugient chez elle et lui demandent le Moolaade qui signifie " droit d’asile " en langue Peul.

Le village est en ébullition, deux valeurs s’affrontent : la Salinde (antique tradition de l’excision) et le Moolaade.

A propos du film

      " L’excision est pratiquée dans 38 des états de l’Union Africaine. Quelle que soit la méthode employée (classique ou moderne), exciser est une atteinte à la dignité et à l’intégrité de la femme. Je dédie Moolaade aux mères, femmes qui luttent pour abolir cet héritage d’une époque révolue. "

      L’Aîné des anciens, Sembene Ousmane

      Le réalisateur Sembene Ousmane est né en 1923, à Ziguinchor, au Sénégal. Mobilisé par l’armée coloniale française dans les Tirailleurs sénégalais en 1942, il s’embarque clandestinement en 1946 pour la France.

      Il y exerce des petits boulots et en 1956, se met à écrire son premier roman Le docker noir. En 1960, il publie son plus beau livre Les Bouts de bois de Dieu. Il s’intéresse au cinéma et réfléchit à une démarche plus grand-public, comme il dit " politique, polémique et populaire ".

      A 38 ans, il entreprend des études de cinéma au studio Gorki à Moscou. En 1962, il réalise son premier fil, un court métrage Borom Sarret, le bonhomme charrette. En 1964, un deuxième court métrage Niaye, primé au Festival de Locarno. En 1966, il réalise La Noire de… et offre à son pays le premier long métrage " négro-africain " du continent.

      Suivent de nombreux films qui sont des témoignages de la société africaine contemporaine, parmi lesquels Le mandat en 1968, Xala en 1974, Ceedo en 1976, Camp de Thiaroye en 1988 et Guelwaar en 1992. En 1999, il rend hommage à la femme avec Faat Kiné, premier film de son triptyque Héroïsme au quotidien, Moolaade en est le second et le troisième volet, La confrérie des rats est en cours d’écriture.

Ces informations sont tirées du site de Clap Noir : www.clapnoir.org

       Moolaade

     

      En langue peul " droit d’asile ".

      Moolaade. Moolaade. La termitière rouge de N’gouma est cimentée de salive. Elle pèse lourd sur moi.

      Moolaade. Des petits êtres par milliers l’habitent de leur corps informe et identique. Leur corps repu des demeures mangées a rendu le corps des autres impuissant. Cette fois-ci il n’y a pas d’histoire à raconter car tout se passe à l’intérieur. A l’intérieur de mes jours et de mes nuits.

      Il n’y a que ce mot : Moolaade ! Moolaade ! Fatou marche de son pas lent d’Africaine le long de la rue Mouffetard qui monte sous ses fines sandales roses rendant la peau entre ses doigts de pieds plus tendre que de la soie sur le cou.

      - Tu as des doigts de pieds parfum café Fatou !… elle lui dit chaque jour en riant sa copine Suah pendant qu’elle lui masse doucement les chevilles et la peau en dessous après leurs heures de démarches sur le corps de la ville araignée.

      Droit d’asile fragile entre les pattes de l’araignée pour Fatou et pour Suah comme pour toutes les filles qui arrivent d’Afrique. Fatou sent bien qu’ici rien ne la protège du regard que les hommes posent sur elle. Un regard identique qui mange aussi à l’intérieur. Il y a ici d’immenses termitières cimentées de désirs humides qui rendent chaque pas plus fou et plus inquiétant.

      Moolaade. Ici tu n’es plus à l’abri de toi-même. Après tant de pas dans la ville elles étaient allongées toutes les deux sur le lit bas de la chambre qu’elles partageaient au foyer Sonacotra d’une cité de banlieue pleine de gens comme elles… pleine de gens venus d’Afrique.

      Moolaade. Ma terre ocre rouge d’Afrique sous les pieds frais des femmes qui vont chercher l’eau au fleuve dans les cuvettes en plastique multicolores.

      - Vrai Fatou !… tes pieds sont plus tendres que le coton des pagnes de N’gouma… On n’dirait pas que tu as tant marché…

      - Vrai Fatou !… tu as un grain de café vert entre les cuisses qui sent bon !… qui sent bon !… elle lui disait sa mère en riant avant. Avant…

      Moolaade. Quelques gouttes de sueur un peu ocres au creux de mes mains quand elle arrive vers moi depuis le bas de la rue Mouffetard qui monte. Du plus profond de ma poussière ocre rouge d’Afrique je la regarde avec fierté. Malgré le corps identique des milliers d’êtres qui habitent la termitière cimentée de salive elle est toute seule au milieu de la rue en bas la tête droite et dressée dans son tissus de coton mauve où des motifs géométriques jaunes et cannelle étincellent et battent contre ses flancs.

     Moolaade. Tes pieds sont tendres comme les fleurs blanches du café sur lesquelles tu marches en montant vers moi.

      Moolaade. Droit d’asile fragile. La fleur de café blanche grandit à l’intérieur de la graine noire souveraine. Elles ont toutes les deux le même corps qui nourrit les grands parfums du monde.

      Moolaade. Ta graine de café fendue était si douce avant. Avant… Moolaade. Droit d’asile fragile pour un corps de fillette à l’intérieur d’un corps de femme. Tes maisons d’argile cuites au soleil tout en haut sont blanches comme les pagnes de la circoncision. Moolaade.

      Moolaade. La termitière rouge de N’gouma est cimentée de salive. Je voudrais la secouer de moi. Le village de N’gouma appartient aux femmes. Ce sont elles qui apportent l’eau du fleuve dans les cuvettes en plastique multicolores. Ce sont elles qui couvrent doucement les enfants de mousse et de fleurs de coton dans l’eau des cuvettes en plastique rouges jaunes vertes orange. Ce sont elles qui pétrissent les galettes avec des gestes lents et joyeux en puisant l’eau des calebasses peintes de couleurs vives. Le village de N’gouma appartient aux femmes. Ce sont elles qui font les gestes amples de la vie.

      Moolaade. Les hommes ont mis les exciseuses vêtues de rouge de leur côté en leur donnant le pouvoir de couper le corps des femmes et de recoudre la blessure pour un seul. Il n’y a pas d’amants ni de femmes adultères à l’intérieur de la chair ocre du village de N’gouma.

      Moolaade. Il y a une bassine de fer blanc au creux de laquelle la première épouse l’aînée lave doucement le sang coagulé de la blessure décousue entre les cuisses de la deuxième épouse la préférée. Moolaade. Comme ta chair était douce avant. Avant… Comme était tendre le parfum vert de ton grain de café.

      Moolaade. Droit d’asile fragile cordon de laine tressé à dix centimètres de hauteur. Je t’écris et elles demeurent devant toi en robe rouge sur le seuil arrêtées.

      Moolaade. Je t’écris avec des couteaux au manche de plastique rouge jetés sur un drap blanc entre les pieds drapés de terre des exciseuses. Le pouvoir des hommes s’écoule et suit le galbe parfait de leurs cuisses sous leur longue tunique d’écarlate.

      Je t’écris avec la lenteur et le rythme rouge de l’Afrique à l’intérieur de la peau des gros reptiles dont les chasseurs blancs ouvrent le ventre à la machette. Leur chair mêlée à de petits piments écrasée est agréable sur la langue.

      Je t’écris de dedans leur chair sous leur ventre là où leurs pattes aux doigts peints par la poussière ocre qui farde tout ici font rouler des bouteilles vides parmi des cuvettes en plastique multicolores à côté de l’étalage du marchand. Les enfants poussent sa charrette qu’il tire semblable à un bourricot quand il vient s’installer entre la termitière cimentée de salive et la mosquée à l’intérieur de laquelle les hommes assoient leur vérité. La mosquée qui est une termitière aussi.

      Moolaade. Je t’écris au-delà du cordon de laine tressé devant le seuil de la cour des femmes car je suis celle qui n’a pas cessé d’attendre.

      Moolaade. Fatou marche de son pas lent d’Africaine le long de la rue Mouffetard qui monte vers le cabinet du docteur Nam. Le docteur Nam c’est tout une histoire ça encore ! Mais à quoi bon la raconter ici ? Le docteur Nam est un homme qui habite ici à l’intérieur de la termitière depuis longtemps. Et c’est ce qui compte pour Fatou qui n’a pas de temps à nettoyer avec les mots.

      - Si c’est un homme alors ça ira… Elle a dit Fatou en répétant le nom qu’elle porte à l’intérieur de sa bouche depuis qu’elle a quitté le village de N’gouma.

      - Docteur Nam… Docteur Nam…

      Moolaade. C’est un mot qui sonne comme l’eau offerte dans les calebasses peintes de motifs géométriques entre la lenteur rouge des termitières sacrées qui se sont posées là pareil à des palais et qu’aucun prince revenu de l’exil n’a encore détruites. La plus grande juste en face du seuil de la cour où les fillettes qui ont échappé aux mains des exciseuses ont revêtu des vêtements tout différents. De petites robes de cotonnades claires aux tons joyeux.

      Moolaade. Moolaade. La termitière rouge de N’gouma est cimentée de salive. Je voudrais la secouer de moi. La plus grande des termitières marque l’interdiction d’enfreindre le rite sacré du

      Moolaade. Moolaade. Le droit d’asile qu’offrent les femmes à qui vient se réfugier à l’intérieur de la cour ronde formée par les maisons d’argile blanche cuite au soleil. Une joute a eu lieu entre la plus grande des termitières et la mosquée au sommet de laquelle un œuf d’autruche blanc et rond veille sur le lieu où la vertu des hommes s’asseoit. La mosquée est une termitière aussi. Aucune des deux n’a gagné malgré la force de dévoration qui les a conçues. Aucune des deux ne connaît le mot qui arrête le Moolaade.

     Moolaade. Une odeur douce comme ta graine de café vert me monte aux lèvres pendant que tu soulèves le long tissus de couleur vive qui habille ton corps d’enfant chauffé par ta course dans ma poussière ocre rouge et que tu t’accroupis pour uriner soigneuse entre tes pieds. Avant… C’était avant… Ensuite un petit caillot de sang me séparera aussi de l’eau de ton corps. Nous ne serons plus jamais complices.

      Moolaade. Fatou s’est arrêtée à la hauteur de la porte du docteur Nam car ici il faut des portes pour qu’on n’entre pas dans la maison des hommes. A l’intérieur du foyer Sonacotra c’est pareil. Il y a des portes partout alors qu’on habite à cinq ou six la même chambre pêle-mêle avec les valises au-dessus de l’armoire et sous les lits. A l’intérieur du foyer Sonacotra il n’y a pas même un petit coin où on peut s’accroupir et sentir son corps posé là contre la terre ocre rouge entre ses doigts de pieds.

      - Fatou ! Fatou ! … tes doigts de pieds parfum café sont si jolis… tous les hommes doivent en être amoureux !… Voilà ce qu’elle dit chaque soir sa copine Suah en lui massant doucement les chevilles et chaque doigt de pied un par un parce que Fatou ne s’habitue pas à la morsure noire de l’asphalte où ça ne se fait pas de marcher pieds nus. Ici les fines sandales roses brûlent ses talons. Ici je ne sentirai plus la douceur de sa peau soyeuse se frotter contre la poussière ocre rouge d’Afrique.

      Moolaade. Fatou lit sur la plaque clouée au milieu de la porte du cabinet du docteur Nam : " Docteur Nam. Chirurgie réparatrice des organes génitaux féminins. " Au milieu de tous ces mots alignés comme les cuvettes en plastique multicolores Fatou en a saisi un aussitôt qu’elle pétrit au creux de ses mains le mêlant à quelques gouttes de sueur un peu ocre.

      - Oui… c’est vrai… elle murmure Fatou en appuyant d’un doigt décidé sur la sonnette… si je suis venue jusque-là c’est bien pour être réparée…

      - Réparée… comme une chose qu’on a cassée alors ?… Non… elle murmure Fatou le doigt toujours appuyé sur la sonnette du cabinet du docteur Nam… Non… pas comme une chose… Non… réparée comme quelqu’un qu’on a blessé il y a longtemps…

       Moolaade. Ta graine de café fendue était si douce avant. Avant… Moolaade. Droit d’asile fragile pour les fillettes qui ont couru jusqu’à la cour ronde des femmes que les maisons d’argile blanche protègent des secrets anciens de la termitière rouge cimentée de salive et des rites absurdes de la mosquée qui tourne sur elle-même en colimaçon vers le ciel nu. La mosquée est une termitière aussi.

      Moolaade. Sur ma terre ocre d’Afrique les talons doux et légers des fillettes impriment un chemin qui refuse d’écarter d’elles leurs désirs. A dix centimètres au-dessus de ma terre ocre d’Afrique le seuil de la cour ronde où les femmes versent l’eau des cuvettes en plastique multicolores dans de grandes jarres d’argile vivantes comme des ventres est relié aux autres demeures par une cordelette de laine tressée.

      Moolaade. Ma terre ocre d’Afrique vit en moi aussi insouciante et légère que toutes les terres où s’écrit l’histoire des êtres qui marchent sur la trace de leurs désirs.

A suivre…

Texte écrit du 22 mars au 1er avril 2005

 

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30 septembre 2005 5 30 /09 /septembre /2005 00:00

Mains d'ouvriers

Sentinelles des fonderies

Mains orgues de berbarie

Dépouillées de la danse des petits singes

Et des sous de cuivre

Qui roulent dans la poussière bleue

Par les rigoles de lave cerise

Ouvertes comme une plaie

A l'intérieur des paumes

Mains sillons de terre rose

Mains crevasses langées d'oripeaux

De moissons et d'abeilles sauvages

Labours de doigts livrés

A la houle des crinières

Mains caresses qui roulent

Sur les hanches des meules

Et mettent en boule les mésanges

Mains charbonnières

Fabriquant des nids de paille rousse

Pour les hommes blessés

Et les chevaux qui marchent sous la terre

Mains de femmes penchées

Qui glanent des escarbilles de verre

Afin de nous garder de l'hiver

Et de l'ennui

Mains farandoles et rondes folles

Sur le tambour creux des ruches troncs

Reines aux poignets d'écume

Battant le sable comme le coeur vert des vagues

Au-dessus de nous 

A suivre...

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29 septembre 2005 4 29 /09 /septembre /2005 00:00

Suite du " Journal d’une fille de banlieue

" Lundi, 26 septembre 2005, fin de matinée dans l’autobus des brousses…

      Trois églantines rouges suite…

      Tam-tam-ra ta ta tam !… C’est l’autobus des brousses… le 154… le nôtre… il est à l’approche… celui qui nous prend du côté de la station " Lacépède " en face des Studios Eclair où la ville d’Epinay fait son cinéma petite star des banlieues rouge comme terre et feu qui incendie ses tours centre ville en plein ciel avec des artifices qui éclatent comme ça entre les pattes des mômes…

      Ici c’est un monde d’artifices comme vous savez… faut gratter des allumettes grandeur baobabs sur des boîtes géantes qui sont des maisons il paraît et alors ça nous étincelle des morceaux de plâtras dessus qui ressemblent à des galaxies foraines tourbillons… manèges… fêtes et tout le reste qu’on aura pas sinon… Les galaxies béton on peut les toucher alors que les autres… c’est aussi derrière les vitrines y a pas d’doute… les vitrines des bouffons qui vendent des pépites d’la planète Mars comme les bouts d’or des rivières !…

      C’est nous autres les chercheurs d’or… l’or des déserts on l’a plein les paluches… pour de vrai l’or du vent… Ici y’a que quand ça explose avec les maboules de couleurs jaune… bleues… rouges tintamarres et farandoles que ça existe la vie et c’est pas du météorite de lune à côté des terriers des renards… ici les blocks y mettent 25 étages à fricoter avec le ciel alors… Nous on habite des blocks baobabs… attention mirages !…

      Tam-tam-ra ta ta tam !… l’autobus casse bitume qu’il croque entre ses pneus caoutchouc nous ramasse après avoir bloqué des quatre fers d’étincelles en plein sentier poussière ocre de brousse… à peine une trace… Il nous ramasse l’autobus d’Afrique comme une poignée de cerises dont le jus a pas fini de couler par ici… Une jolie tache de sang dans le sable blanc frais tombée de la lune des banlieues météores. Une jolie tache de sang qui arrange bien les barbouilleurs de pages blanches tombées de la lune pour emballer vite fait les banlieues météores… Ça ouais !…

      Tam-tam-ra ta ta… ! l’autobus… le 154… vous le connaissez bien maintenant vu que c’est premièrement l’animal totem de l’histoire et que vous avez son image dans vos yeux tout comme nous pour la raison qu’on l’a empaillé photo l’autobus d’Afrique !

      Ra ta ta ta !… l’autobus… l’autre là-bas zig-zag fourmilières et termitières grains de sable vivants qui grouillent dans des hauteurs et s’éboulent… zig-zag il suit la piste avec les ballots et les paniers sur le toit ficelles de partout brinquebalent se couvrent de poussière rose qui leur colle et sa tôle de partout elle s’enfonce…

      Boum ! Boum !… et encore et encore… les sacs de toile bourrés d’épices ouverts déchirés des traînes de cumin et de paprika derrière lui avec dedans les talons qui enfoncent des gerçures comme des lézardes…

      Boum ! Boum !… et encore… et lui qui grince couine au milieu de l’incroyable brume rouge et feu qui met dans la bouche des poignées d’argile sèche. Alors avec la salive des éléphants blancs qui ont leur place aussi dans les banlieues de par ici vu qu’ils sont nos dieux païens à nous autres ça fait la terre d’Afrique dressée rebelle sortie des mains des femmes comme un totem nouveau.

      Tam-tam-ra ta ta tam !… l’autobus… le nôtre… le 154 c’est celui avec le chauffeur blakc parfois qui a les dread locks et les petites perles jaunes au bout… Le chauffeur black il attend et déjà assise sur la banquette en rond je suis très loin de la violence crue des petits jours étroits passés ici à n’rien voir du monde qui s’ouvre comme un sexe de fillette… Un grain de café vert fendu et sa fleur blanc-crème à l’intérieur. Des milliers de graines de café vert fendues dans les mains des hommes que leur odeur poivrée rend fous…

      L’autobus d’Afrique… au fond sur la banquette en rond comme pour une cérémonie du contage y a les trois jeunes blacks et moi assis avec les trois églantines rouges qui sont un morceau de savane écarlate jetée là entre nous. Elle sa peau très noire comme le chocolat amer du goûter je ne la vois pas. Celle que je vois c’est la silhouette aux épaules et aux reins lourds de Fatou debout dans son boubou blanc sur la place du village de N’Gouma face à la termitière que le soleil couvre de bave argentée et qui attendent l’une et l’autre le courroux des hommes et des exciseuses.

      Moolaadé… moolaadé… Fatou qui en nouant la cordelette de laine orange à quelques centimètres au-dessus de la terre rouge d’Afrique a séparé la cour des femmes où les jarres d’argile gardent l’eau du fleuve fraîche aux lèvres de la tradition ancestrale du rite de l’excision des jeunes filles la Salindé.

      Moolaadé… ça se passe là-bas en Afrique… le rire léger des fillettes courant nues vers le fleuve et jouant dans la boue ocre leurs corps grain de café vert fendu offert aux regards des petits dieux scintillant parmi les grandes herbes de la savane sèche. Ça se passe ici et son rire léger mêlé à celui des deux garçons qui la regardent auxquels elle tend la branche d’églantines rouges comme une promesse de douceur et de volupté.

      Et pendant que se déroule l’histoire l’autobus des brousses… le 154… il en a bientôt fini de son trajet cahotant crachotant… Tam-tam-ra ta ta tam !… direction Saint-Denis et puis après… après… Après c’est sans importance vu que l’histoire s’est arrêtée là avec les trois églantines de sang qu’elle a posées en partant sur la banquette ronde du goûter où je suis demeurée assise avec ce cadeau de braise et d’aube soleil tout à côté de moi.

      Moolaadé… trois églantines rouges et les mains de Fatou dénouant la cordelette de laine devant le corps libre des fillettes vêtues de robes de cotonnades claires et fleuries.

      Tam ! tam ! ra ta ta tam !… Non il n’y a pas dans les banlieues que des filles au corps effrayé par le rituel du feu et de la déchirure… Non il n’y a pas dans les banlieues que des garçons aux doigts coupants ou aux poings armés de mèches et de poudre…

      La langue des banlieues parfois je la comprends et parfois pas. C’t’une langue qui emporte sa porte avec elle et qui nous laisse des halls courants-d’air où n’s’arrête même plus la houle macadam blues des trottoirs. Elle entre… elle entre et elle nous rentre dedans et nous colle son écume réglisse nostalgie plein la bouche. C’est tout ce qui nous reste à boire d’elle… c’est tout…

      Ouais… dans la langue des banlieues aucun de nous… aucun d’eux trois avec leur peau black ni de moi avec mon masque blanc aurait pu dire l’histoire. L’histoire du sang qui prend la couleur des fleurs vous comprenez ? Mais c’t’avec la langue du corps qu’on s’est tout dit parc’que la langue du corps c’est la même sur la terre rouge rouge et feu et au creux des nuits blues et blacks de par ici.

      Tam-tam-ra ta ta tam !… vous entendez ?… le chant du griot sur tambour banlieue… vous entendez ?… Non ?… Il chante sa ritournelle la nuit au pied des Blocks…

      - L’Afrique mon gars c’est pas une affair’ d’couleur de peau… Oh ! l’Afriq’ c’est pas une affair’ d’couleur’…

A suivre…

A voir absolument Moolaade, un film de Sembene Ousmane, Sénégal, 2002.

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28 septembre 2005 3 28 /09 /septembre /2005 00:00

Un p'tit bonjour et quelques mots de poésie pour vous donner envie de bondir bleu avec les écureuils roux de la fôrêt des mots parmi nous...

Les diables bleus

Entre deux aubes que traversent

Des chats marchands de perce-oreilles

Je ne cherche pas le sommeil

C'est l'heure où l'encre pleut à verse

Sous mon parapluie d'oreillers

Là les plumes jouent et folâtrent

Deux escargots nus devant l'âtre

Commencent à se réveiller

Ecrire en dormant imagine

Que les diables sont à la noce

Ouvrent la porte des carosses

Aux gueux ravis qui hallucinent

Des tas de boîtes à musique

Les chats tournent la manivelle

Les plumes font aux hirondelles

Des travestis d'un très grand chic

Sur mon lit un édredon rouge

Qui sait combien il faut tremper

Son rêve dans l'eau de l'été

Surtout que personne ne bouge !

Ecrit le 3 août 2005

A suivre...

Et maintenant à vous... on vous attend diablement...

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