Il y a des années j'aurais tout fait pour être peintre et j'ai peint durant vingt piges et je n'ai pas montré ça à grand monde... Ils y a des années que je voulais être écrivain et j'ai beaucoup écrit et j'ai un peu montré ça à pas grand monde... Aujourd'hui je ne sais pas bien ni ce que je veux ni ce que je suis et je n'ai plus envie de montrer ça à personne...
Pourtant c'était un temps où l'espoir portait chacun de nous vers un grand idéal partagé... et déjà j'étais une voyageuse solitaire... Je ne crois pas que ce poème ait jamais été publié alors voilà...
A Antonin et à Vincent... deux fous qui me font supporter ma folie...
“ Chacune des floraisons glacières de mon âme intérieure bave sur moi ”…
A.Artaud Oeuvres complètes I
“ Floraisons glacières ”
Trottoir cinglant théâtre à vif
Jupe entrouverte avant les trois coups
Voiture gyrophare bleu exploser le décor
Odeur de pneus chaude à vomir pas possible de ralentir
Freins miaulant écrasés le sable a grimpé sur les planches
Un type à quatre pattes cherche au pied d'un rosier
Son trousseau de clefs
Epine de glace dans le corps du rosier
Ville qui crépite et se déhanche
Maisons bidons juste pour rire
Murs fulgurants coups de poings écarlates
Achète ! c'est combien ?
Toute la cité est à vendre
C'est un théâtre gigantesque où les rats tiennent les chandelles
Et entretiennent les grimoires
De la lubricité géométrique
Moisissures sanglantes d'orchidées béton
Deux vieux regardent l'escalier en lambeaux
Qu'un balancier fracasse lentement
Poèmes implosés comme “ le cri de la vie ”
Dans une assiette d'encre
“ Vous me détestez parce que je ne vous ressemble pas ”
Un type fatigué a laissé son costume de lézard au vestiaire
Le garde-barrière habite une petite maison jaune
Dans les coulisses
Toit de chaume hérissé d'iris
Trottoir cinglant théâtre à vif
Masque de vieux clown
Exonérer sa tronche des rides du hibou
Se voir est proprement dégueulasse
Bas frontières entre ventre et parking
Arlequin à losanges noirs sur sexe blanc
Passer par ici repasser par là
Trou du souffleur à la fourrure louve
La douleur se marre comme un blouson noir
Camisole de glace au couteau flagrant
Bouquets de roses-haine dans des yeux enfants
Enfants barbares comptent leur fric dans les parkings
Le vieux clown joue sa vie sur le trottoir fragile
Les rats notent dans les grimoires
Que le trottoir est un théâtre
Trottoir frontière entre jupes rouges et bas noirs
Histrions purs comme l'épine de glace
Qui défend le garde-barrière des trains voraces
La porte de la maison est fendue sur des champs
De tulipes rougeoyantes
Des signaux d'alarme
Et des femmes courbées aux hanches larges
Le corps grand ouvert un type écarte les jambes
Au milieu de la ville en hurlant
Comme un soleil avorté
Trottoir cinglant théâtre à vif
Tournoiement des anges projecteurs soleils castrés
Dans la lueur de son visage
Pourriture des mots au fond des flaques d'eau vertes
Mangue-solitude dévorée par des yeux de jeunes loups
Qu'un sax incendie de silences
Trottoirs creusés par des galops de doigts
Bleus gyrophares allument
Leurs jambes comme des aiguillages
Les loges sont remplies de blousons-noirs
Qui protègent les artistes affamés des courants d'ère
Trottoir cinglant un ange a entrouvert ma peau
Avec une épine de glace et m'a faite rosier
Vous entendez bien rosier non pas rose
Et c'est pour cela que vous me détestez
J'ai griffé mes fleurs de glace
A la rampe de l'escalier
Chaque main posée sur elle
Sentira son cœur qui bat dans les décombres
La maison au toit d'iris mauves
Brille au fond des souterrains de ma mémoire
Je sais qu'il faut sautiller dans un champ de mines
Pour y parvenir
Un chien aux tendances suicidaires est assis
Au sommet d'un monticule d'escarbilles
Les rails coupent les champs de tulipes rougeoyantes
De scarifications qui fuient
L'homme au corps grand ouvert rayonne un soleil sanglant
A l'extrémité du sexe
Gouttes de sang dans les grimoires
C'est de nous tout ce qui restera
Moins qu'un costume de lézard
Trottoir cinglant Théâtre à vif
Pestilence des rues suant l'urine et les lilas
Des centaines de nez rouges se pointent
Dans l'herbe d'un terrain vague
“ Ça sent le rat crevé ”
Murmure la petite dame
Dans le trou du souffleur
“ Parlez pour vous ”
Ricane le vieux clown
A quatre pattes il caresse les feuilles
Avec ses mains illusionnistes
“ Nous sommes en pays de barbarie ”
Souffle la dame obstinément
Aux pieds ailés des anges incendiaires
Qui prennent leur envol
En froissant leurs ailes de tôle
Dans les poussières de mercure
Leurs dents s'enfoncent dans la viande crue des étoiles
Mastiquent les mots avalent les lettres
Déchiquètent les points-virgules et les lilas
Sur la scène du parking désert les rats achèvent
De réduire à néant les grimoires
Une épine de glace a percé le cœur du rosier
Son cœur de chair seulement
Car son cœur de rose a explosé
En mille cathédrales d'odeurs inhabitées
Le garde-barrière de la petite maison
Au toit d'iris a conservé
Secrètement quelques grimoires
Sûr qu'ils se souviennent
Que le dernier train est passé juste à l'heure
Où un type se faisait dans sa baignoire
Un mauvais sang d'encre
Deux vieux assis au cinquante quatrième étage
Dans l'escalier de la Tour Azur
Qui résonne de coups de canne et de hululements
Regardent quelques centaines de mètres plus bas
Un homme au corps grand ouvert leur faire signe
Que la répétition va commencer
Trottoir cinglant théâtre à vif
Des filles hiboux chassent en rase-bitume
L'asphalte rend gorge des mecs au sexe fric
Petite lampe du géomètre lubrique
Guide client pas regardant
Achète ! c'est combien ?
Toute femme est à vendre
C'est un bordel gigantesque
De triangles éphémères
Où les écureuils font les fous
Pas de murs qui résistent
A leurs griffes rouillées
Ils entrent un à un
Dans les bocaux de verre des épiciers
Et rapportent aux filles et aux poètes
Des poignées de berlingots acidulés
Et d'étoiles d'araignées
Incandescente indécence
Des trottoirs lucioles aux trésors dévoilés
Où j'ai traqué pour leur déplaire
Le corps de la rose et le cœur du rosier
La petite maison au toit d'iris
Est retournée se blottir
Dans son rectangle flamboyant
Il n'y a plus de refuge pour les enfants barbares
Sauf les grimoires ensorcelés
Où les anges noirs et blancs
Se glissent dans les coulisses
Enjambant la ligne rouge qui sépare
Les trottoirs-saltimbanques
Du ventre mou des honnêtes gens
Au milieu de la ville
Un type au corps grand ouvert comme un livre d'images
Tourne les pages vierges de l'été
Où tombent une à une les épines de glace
Des étoiles d'araignées.