Déjà qu'il neige sur la lune suite...
Aujourd’hui ils ont décidé
Hier ils décidaient déjà
J’avais douze ans et j’écoutais la chanson de Lili Marlene dans le train de bidasses qui m’emportait
Ils avaient décidé de mon présent de mon uniforme bleu marine et des gouttes de givre clouées
Sur mes joues et tous les gars qui somnolaient dans les gares avant le petit trou
Qu’ils vous font dans la tête quand tu as vingt ans et que tu ne sais pas ce qu’ils veulent
Lui criaient de continuer à chanter de ne pas les laisser comme des chiens errants au milieu du charnier
Et les lettres qu’ils écrivaient à leur petite fiancée
Ressemblaient aux miennes qu’ils ont déchirées en flocons de papier blancs
J’en avais deux valises pleines que j’ai éparpillés dans les rues de Charleville sous les tilleuls au printemps
On ne marche pas sur les traces des poètes
La neige couvre d’oubli la peau des parchemins au mont de piété et bourre de fleurs de coton le cornet des gramophones
Hey Lili Marlene ! devant la caserne est‑ce que tu sais qui tu es dis est‑ce que tu le sais hein ?
Aujourd’hui ils ont décidé
Hier ils décidaient déjà
Que les poètes les vrais ça ne court pas les rues ni les trottoirs d’ailleurs comme des chiens
Et les mots pareils à des clarinettes poignardées sur la porte de la cellule suent des fleurs de sang de sperme et de salive
Quand le gardien au matin vient chercher celui qui se balade muet avec sa langue bien pendu
Et ses poèmes lucides et frais comme des jeunes filles s’écoulent en caillots de sel et de givre
Dans les caniveaux où les trains foncent en gargouillant
Vers les gares abandonnées leur ventre lubrique livré aux troupes de mendiants amateurs
Virés des boîtes de Jazz de St Germain par les proxénètes à la pelisse de hibou Arfang
Les gardes-barrière gardent l’absence et ma collection de vynils
J’en ai choisi quelques‑uns pour le musicien de l’armée rouge avant que l’huissier chauve
Vienne mettre la main sur les breloques de ma vie qui ne valent pas un kopek
Tout ça tient dans une charrette des quatre saisons que je déplace selon les indications fantasques du cadran solaire
Sitôt que je serai mort ils se les partageront et ils empêcheront les gamins de Bamako de jouer aux billes
Avec les lampes de mes vieux Teppaz
Maintenant c’est l’hiver et les rêveurs remontent la mécanique de l’orgue de barbarie
Au fond des cours de Berlin de Vladivostok de Tunis de Marseille
S’ils sont deux ou trois à savoir qu’il neige sur la lune ça suffit comme ça
Et que Janis était folle des color TV et des Mercedes Benz
J’avais dix‑sept ans et j’écoutais Ho ! you know that I need a man mais il était un peu tard
Tu survolais déjà Stinson Beach dans ta robe de plumes blanches il allait falloir du temps
Hier ils avaient décidé qu’on ne traverserait jamais le Colorado ensemble à bord de ta Porsche rose 356
Hey Janis ! ils ne se doutaient pas que tu prendrais la poudre d’escampette comme un lemming arctique
Paré au suicide collectif avec la bande des 27 moulés dedans leur combinaison de scène clignotante feu brun feu blanc
Bien sûr qu’on est les seuls nous autres à pouvoir changer de parure camouflage et à s’évanouir fumée
Quand on veut et les chasseurs de trophée ne retrouveront que les griffes tigresses
De nos ombres plantées dans l’enduit huileux des cachots d’Attica où on a pas fini
De se saouler à la vodka orange pour ne pas se souvenir qu’ils ont abattu George Jackson
Et Sam Melville avant le carnage final et cette fois ils ne se sont pas servi des matraques à Nègres
Pour cet après‑midi de chien où Mingus et sa contrebasse répétaient “ Remember Rockefeller and Attica… Remember… ”
Hey Janis ! avant de filer par la sortie des artistes de l’hôtel Landmark à LA est‑ce que tu savais qui tu étais ?
Est‑ce que tu le savais hein ?
A suivre...