Ce texte de Yurugu est en chantier vous l'aurez compris... C'est une histoire qui n'a pas fini de s'écrire par la bonne volonté du renard pâle et du devin qui l'accompagne... Ainsi vous verrez jour après jour se construire un récit conte alors si ça vous dit...
Le testament de Yurugu
Je ne veux pas habiter ce monde !
Vous qui vivez ici vous détruisez ce que nous avons construit depuis que le forgeron
Le premier ancêtre a jeté l’enclume et le bâton du voleur de feu
Qui ont fait jaillir les moissons et les fours pour cuire les outres à eau et à hydromel
Je veux rejoindre les femmes potières de Kalabougou
Je ne veux pas habiter ce monde !
Où vous avez brisé la force des masques pour en faire des fétiches de mort qui brillent noirs
Derrière les morceaux de verre qui vous servent de tombeaux
Alors que le nayma des arbres ne meurt jamais et qu’il nous regarde bienveillant
Je veux rejoindre la Yasigine la sœur des masques et son dege
Salut jeune fille à la parure de plumes rouges Salut !
Je ne veux pas habiter ce monde !
Où vous devenez plus nombreux que les insectes qui entourent nos greniers à mil
Et où nous sommes plus rares que la pluie remplissant les calebasses oubliées
Dans la cour de la ginna commune que les oiseaux décorent de scarabées iris et or
Je veux rejoindre les femmes rapportant les tiges de mil dans le panier Tazu
Tressé comme l’arche aux quatre coins déchirés
Je ne veux pas habiter ce monde !
Que vos gourous ne protègent pas des bouches avides qui crachent les liqueurs épaisses
Dévorant les animaux compagnons d’Amma et de sa femme la terre l’antilope le guépard
Et les fils du renard qui connaît notre destin et celui de nos rêves ont fui
Les portes de pierres grises et ocre sont encore ouvertes il est temps
Il est temps d’aller rejoindre les femmes auprès des manguiers et des tamariniers
Elles ont préparé au creux de la calebasse la bière de mil que Yurugu a bue
Il l’a vidée tout à fait Ah Yurugu !
De ton ivresse jaillissent des tribus d’hommes qui mâchent la chair d’Aya le caïman
Comme on chique du tabac Aya le dieu du fleuve abrité dans les boues fauves du Niger
Avec Luro‑na le python aux anneaux de jade passés autour des doigts de l’eau
Et sa corne géante comme le croissant qui tord sa queue d’argent mat
Elle frappe le toit des nénuphars au cœur crème orangé et safran lilas indigo et vert jade
Pour qu’il s’ouvre et que le Nommo s’échappe les hommes partis et revenus
Connaissent la bonté des remèdes Ah Yurugu !
C’est en suivant tes pas sur la piste que je les ai rencontrés
Ils venaient de Bamako rois d’une pirogue chargée de rayons de sel
Ils avaient dormi dans le quartier des pêcheurs dessous un ciel à poussière rose
A l’intérieur d’une baraque en planches peintes en rouge il y a mon rêve
A l’époque d’une jeunesse africaine dessous nos masques blancs Ah Yurugu !
Ils ont posé leurs mains sur mon épaule et ils m’ont dit : il est temps !
Je n’ai pas pu les suivre parce que j’étais de l’autre côté du fleuve Niger et ses ânes gris
Et roux dans l’eau jusqu’aux cuisses j’étais de l’autre côté du fleuve Casamance
Et ses fours à karité au milieu des jardins des quartiers en banco de Ziguinchor
J’étais de l’autre côté de Ségou les jours de marché quand les pinasses débordent de bassines
De tôle de sacs de grains qui fument de rangées de poissons séchés Ah Yurugu !
Les femmes de Kalabougou m’apprendront ce que j’ai su de la terre sacrée
Et des grands feux qui ont brûlé mon rêve de l’autre côté il était plus précieux
Que les diamants du Katanga noués autour de cou des tortues de Segoukouro
Qui refont chaque nuit le chemin jusqu’à la mosquée aux murailles d’argile écarlate
Pour offrir à une vieille femme leur trésor je l’avais écrit sur les feuilles des journaux
Attachées aux branches basses des balanzans Ah Yurugu !
I l est temps ! Arrivée enfin au pays des arbres qui marchent je me souviendrai
De mon passage par la Babel inévitable et de ses fils esclaves sanglants
Je me souviendrai des abattoirs pas très loin de la ruelle aux pavés glissant de givre
Où les sabots des chevaux échappés allumaient les lampes d’amadou
De mon rêve de boue noire du Niger plein les paumes de mes mains et de mes pieds
Aux crevasses des pistes calcinées Ah Yurugu !
Il est temps de dessiner sur les toiles de coton trempées dans l’ocre jaune
Des feuilles de n’galama les vagues de l’océan nées du corps du serpent lébé
Qui est revenu de la mort avec des herbes fraîches et les petits triangles aux pointes tournées
Vers le levant je les mouillerai d’un bouillon de racines de n’péku de la nuit au matin
Je saisirai le soleil qui monte entre les jambes des arbres qui marchent et je le plongerai
Au fond du chaudron gris métal sorti du ventre des autos les 404 Peugeot à plateau
Que les jeunes voyageurs les fils d’ouvriers partis rejoindre leurs frères blacks
A Bamako à Dakar à Tombouctou vendaient aux Africains pour payer leur retour
Le soleil du chaudron c’est lui qui sera le premier vêtu du bogolan séché à son brasero
Ah Yurugu ! Il n’y aura pas de retour à la transhumance du renard pâle
Je ne veux plus habiter ce monde !
Où les caniveaux des abattoirs descendent jusqu’aux fleuves et leur liqueur empoisonne
La chair des iris violets les îlots que les colibris et les martins pêcheurs tapissent de fourrures
De chenilles fluorescentes où les peuples des forêts privés de leurs rituels et des totems Tranchent avec les poignards d’ébène des ancêtres les liens d’écorce du chemin des rêves
Il est temps de retrouver les rives du fleuve Niger ses jardins bordés de manguiers
Au creux de la calebasse coule le nyama des couples jumeaux et la chair bleue des acacias
Et la chair orange des mangues remplissent les mains des femmes
De la promesse d’Amma d’un monde qui a la bonté des fruits
Et le parfum des galettes de fonio écrasé avec les feuilles de baobab
Il est temps d’aller rejoindre les femmes qui surveillent le tõnu du caméléon
Sur les roches sanguines de l’abri du Songo où les jeunes garçons sont accroupis
Soleil brisé entre leurs cuisses le chaudron ne garde pas leur sang mêlé à l’argile du fleuve Que les femmes récoltent devant les yeux mi-clos d’Aya le maître des eaux
Sa force habite le nyama de la boue étalée sur les claies de branches de fromagers
Sa force habite les gourdes de terre que les yébans du feu arrosent de leur chevelure laquée
Et les poignets des femmes potières de Kalabougou leurs épaules me soutiennent
Pendant que le caméléon reçoit sa ration de charbon pilé de bouillie de mil et de sang
Il est temps d’aller rejoindre les femmes qui refusent le sacrifice du Nommo
Les femmes qui marchent sur les traces de Yurugu le renard pâle
Je ne veux plus habiter ce monde !
C’est le cri de Gao le premier cri du fils d’Amma le frère jumeau que le griot m’a donné
Amma celui qui veille sur une terre généreuse et sur les habitants de la falaise
Qu’il a nourrie de son lait des rêves avant que les jumeaux ne se séparent
Les jumeaux vivaient à l’intérieur de l’œuf de terre
Et sur sa peau de la couleur du renard pâle Amma a réuni
Les signes pour écrire l’histoire des hommes d’avant qui ont peuplé les flancs de Badiagara
Les hommes aux tuniques de coton écru où la nuit laisse les empreintes des triangles indigo
Et Yurugu erre dans la poussière brune de brousse à la recherche
Du mot qui veut dire âme dans la langue des hommes qu’il a perdue
C’est lui le devin qui peut écrire notre destin sur le sable couleur grenade
De la maison couchée que les chasseurs dessinent à l’écart des totems
Et les seigneurs des masques l’appellent Ah Yurugu ! Yurugu !
Amma a modelé la terre un jour avec ses deux mains
Et il a jeté le croissant d’argile rouge comme le feu des braises dans le ciel
Il y en a qui disent que c’était un œuf grand comme le monde
Qui est né des mains bonnes d’Amma mais moi je dis que c’était un croissant
Comme la lune cuite au four de la colline et trempée dans l’eau du Raku
L’eau des jarres ouvertes où les femmes de Kalabougou
Plongent les poteries sorties des braises grasses de l’acacia bleu
Je peux dire ce que je veux car je n’appartiens à aucune caste et j’ai droit à la parole
La parole de Gao le premier jumeau mon frère est celle de l’ancêtre griot
Qui ne m’a pas refusé le droit de raconter le monde tel que je l’ai vu
Derrière le masque de l’antilope walu que Yurugu le renard pâle
Reconnaît penchée sur l’eau des marigots et il la laisse boire
Ah Yurugu ! il est temps !
A suivre...