Le testament de Yurugu suite...
Je ne veux pas habiter ce monde !
Salut jeune fille à la parure de plumes rouges salut ! C’est toi qui as la première posé
Sur ma tête le masque de bois de la yasigine et son oiseau quand j’étais debout avec mon sac
Au bord de la route du pays du père et je n’avais rien à moi qui provienne de la case obscène
Des femmes mûres les prétendantes aux couteaux d’os qui retirent aux filles la vitesse
De l’antilope et le droit de savoir lire les traces de la création d’Amma c’est toi la première
Qui m’a fait monter les marches de la scène au milieu des danseurs à la cagoule de cauris
Nous avons échangé nos corps jumeaux et j’ai pris le sentier qui s’écarte surpris
Des manguiers de l’histoire commune et le renard pâle s’est chargé de ma mue qu’il a mangée
Avec le sel poudré des plaques appuyées aux pinasses de Mopti c’est déjà demain
Ah Yurugu !
Je ne veux pas habiter ce monde !
Vous qui vivez ici vous détruisez les maisons aux pièces étroites elles verdoient d’odeurs café
Et de cardamome clarté des murs brouillée par le mout épais des olives nocturnes broyées
Geste interminable de nos pères leurs mains de patience aux fils qu’on coupe
Ah ! qui se penchera sur leurs mains de jardiniers célestes ?
Leurs ongles hiboux grattent l’eau du port interdit saignant ses œillets sur la peau
De ceux qui ne sont pas arrivés Yurugu que la lampe de tes oreilles les protège
De l’autre côté d’Izmir et de Marmara la tombe se froisse de brisures mosaïques turquoise
Que le faucon de Leïla a recueillies au pied des portes de Babylone
Leurs vrilles flammèches devant les corbeaux rouges déments abreuvent le corps
De celui qui ne sera jamais un homme Yurugu que la pureté de tes yeux le berce
Je ne veux pas habiter ce monde !
Vous qui vivez ici vous rasez les maisons anciennes leurs cours fraîches à grenades à citrons
Couchés sur les dalles laiteuses qu’on lavait d’eau vive au temps où nos puits crépitaient
Vous les bourrez de sacs ordures au corail pointu qui fragmente des déchirures métal
Il n’y aura pas d’autre printemps avec les fleurs des citronniers
Elles éclatent et envoient leur écume comme des lessives de cocktails
Elles n’enflamment que nos maisons marines où sont gravés nos noms d’indigènes sacrilèges Sur les volets qui clignotent de goémons violets frappent sans fin frappent
Tambourinent rebondissent leurs mains qu’aucun élixir aucun miel d’oursins n’a noirci
De l’infâme reniement leurs paumes libres des charrues encrées au chant charbonnier
Du jus des fruits battent la cadence des drums d’écorce les troncs innocents
Des arbres de nos premières récoltes fourmillent du désir saxo clairvoyant et fougeux
Des blues men aux poings de nos pères les jardiniers célestes
Qui ne se sont penchés que vers la terre Ah Yurugu !
Ils feront un trou où mille hommes vêtus des armures de sable passeront à travers
La muraille livide que les enfants ont déjà effacée de leurs rêves de l’autre côté du monde
Les trompettes insoumises aux cartons de lumière sourdes malgré les cris de guerre
Des rabatteurs leurs couteaux à équarrir logés dans la gorge des azurs
Les trompettes ouvriront les chemins de givre bleu flamboyants dans vos murs lamentables
Je ne veux plus habiter ce monde !
Vous qui vivez ici vous avez rejeté la fougue heureuse du babinu l’ancêtre commun
Notre mère père jumeaux nous avait donné les fruits crépuscules de minu l’arbre à karité
Les fleurs îles obscures d’oro le baobab sa jeune visite aux mares d’ambre verte
Et toutes les couleurs contenues nous avait donné le poisson kagu et son double
Qui multiplie le lait des seins de lune cambrés pour nos lèvres réglisse où glisse
La mésange impatiente l’hommage de l’homme qui ne vieillit pas à la boue du lébé
A dessiné nige l’éléphant au bout du museau écarlate de la falaise de Sangha
Il nous avait donné les maisons rectangles à la peau de rose et de gris
Qui coulent des larmes d’eau que Nommo verse dans l’outre du fleuve retournant
Sa queue de grand serpent vert vers la savane orangée au bord de la route du pays du père
Je sais que nous étions les fils du léopard tatoué d’encre blanche et d’encre noire
Les fils de l’antilope et du lézard indigo quand nous vivions dans le hameau luisant
De cendres la forteresse des Camisards avec Syrius sa lentille du phare d’ambre doux
A résisté au péril des chasseurs d’immonde à l’égorgement roux des hermines de sable
Et maintenant Yurugu on lui a retiré son nom de notre histoire
Nous étions prêts pour la transhumance et nous n’avions pas peur des hommes camouflés
Qui ont bondi dehors des essaims de hannetons d’acier et leurs reflets mordorés
Mordaient jusqu’au sang porphyre ses pierres au cou A l’assaut Yurugu ! A l’assaut !
Et qu’aucune fleur ne nous serve de bouclier cette fois nous n’avons pas fui
Par le chemin cuivré des crêtes où le Blue Train sorti exprès du Ballroom de Manhattan
Attendait qu’on monte dans la troisième voiture ses portières d’ébène ont claqué
En même temps que nos kalachnikovs Han !
Ah Yurugu ! Nous qui ne voulions ni la guerre ni la mort et ils sont descendus sur nous
Il nous croyaient fragiles et faibles mais nous étions rusés comme les enfants des usines
Nous étions très vieux et vêtus de marguerites nous étions armés de nos rêves impatients
Qui ont survécu à Stalingrad et à ses soldats solides glacés dessous leurs pelisses
De loups mis à notre mesure par le tailleur ténèbre du plateau le Blue Train en était plein
Il était passé par l’Ukraine et les troupeaux de chevaux sauvages le protégeaient
Il nous a rapporté les chapkas et les bottes de la Makhnovchkina et la neige nous a envoyé
Ses caravanes poudrées Ah Yurugu ! il a fallu tenir bon et on a tenu et puis ils ont ramené
Les obus au phosphore et le peuple a pris la piste de l’exil avec ses chèvres ses ânes
Ses charrettes une autre fois en direction du Sud et c’est toi Yurugu qui a écrit l’histoire
A suivre...