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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

19 août 2006 6 19 /08 /août /2006 02:31

Les noces de Qana

       Chams a pris tranquille la petite main de Neil qui serre fort avec des allures de gardien d’une citadelle contre lui le trésor fabuleux des cailloux ocre rose et blanc ivoire… Hop ! hop ! hop ! Neil !… elle chantonne la voix familière qui fait rire aussitôt le gamin et on dirait que ce sont les cailloux frottés l’un contre l’autre qui chantent…
      Marïama les a rejoints sa tunique bleu indigo qui flotte autour d’elle a l’air d’une voile entortillée par les grands vents à l’avant d’un navire qui monte vers la haute mer et tous les trois marchent aussi vite qu’ils peuvent sur le chemin empierré large qui va indifférent en direction de la colline ou y a encore des oliviers qui s’allument verts pareils à de l’eau quand c’est le soir…
      Hop ! hop ! hop !… et tous les trois montent comme des cerfs-volants qu’on lance leurs larges ailes de couleur au-dessus des maisons de poussière blanche se balancent mais personne ne les voit et ils sont déjà tout en haut de la colline quand l’avion se met à luire tel un couteau d’argent dans un fouillis déchiré et ivre de tissu rouge.

      - Je chante pour les noces… les noces rouges des grenades…
      - Alors… « … La lune n’était pas encore tombée au fond du puits… La lune nous suivait… au long du chemin de notre exil… »
      Quand mouïma la grand-mère contait c’était le soir à l’intérieur de la vaste pièce chaulée de blanc assise au sommet des matelas de laine repliés et des couvertures de couleurs vives qui faisaient appuyées contre le mur et jusqu’à l’angle et de l’autre côté aussi un siège de Mille et une Nuits où princesse de lune malgré les années qu’elle trimballait avec elle elle laissait les mots prendre le chemin à sa suite…
      Mouïma elle posait toujours devant elle les cailloux ocre rose et blanc ivoire que Neil lui rapportait au fond du grand coffre où y avait tout…
      - « … La lune n’était pas encore tombée au fond du puits… » aïe… aïe… aïe… elle reprenait mouïma la grand-mère en tripotant les cailloux et en les déplaçant comme s’ils dansaient et si la lune dehors… la princesse lune la vraie dans ses palais d’indigo était pleine on allumait juste la petite lampe où on avait versé l’huile d’olive qu’on allait chercher à l’huilerie dans les bidons de fer blanc scintillant tout en haut de la colline…
      - « … Quand tu étais petit… tu avais peur de la lune ?… » elle demandait la mouïma avec l’accent de la langue arabe qui s’appuyair pareille sa main sur le dernier caillou aux trois enfants avec le mot de la lune qui résonnait dans sa gorge… al qamar… qa… mar… qa… mar… et ils regardaient dehors… et dehors la lune l’entendait et elle leur envoyait de petits signaux d’argent…
      - « … Père que fais-tu ?… Je suis à la recherche de mon cœur… il est tombé à terre l’autre nuit… » elle continuait mouïma la grand-mère en faisant un geste de la main aux enfants pour dire que l’histoire commençait et ils répétaient ensemble pendant que les grelots d’argent de la lune remplissaient les paumes de la conteuse :
      - « … Je suis à la recherche de mon cœur… » c’était toujours comme ça qu’elle démarrait l’histoire mouïma avec le poème de Darwish qu’elle aimait tant… et elle touchait un par un le dos lisse des cailloux…
      Neil qui ne la quittait pas des yeux mimait avec ses mains ressemblant aux petits des hirondelles qui essaient leur premier vol les gestes de la mouïma vu que c’était le gros de sa mission pour l’instant ramasser les cailloux comme elle lui avait montré car c’était elle qui leur donnait le pouvoir aux cailloux de délivrer les mots des histoires…
      Les mots des histoires étaient emprisonnés sous le corps des cailloux au creux de la poussière de sable et d’argile et il fallait aller les chercher là… Hop !hop ! hop !… et ça faisait très mal au dos de la vieille mouïma de se baisser pour les ramasser alors c’était Neil qui le faisait pour elle…
      - « … Tu ne trouveras que des cailloux !… » elle continuait la mouïma la grand-mère et sous les cailloux les mots entraient au creux de ses paumes rouges que toutes les fleurs de henné de sa vie avaient préparé pour ça…
      - « … Et qui sait si ces cailloux ne sont pas mon cœur éclaté ?… » et la mouïma se redressait comme si la lune venait d’entrer en elle tout entière et que son vieux corps en était tout ragaillardi…
      Hop ! hop ! hop !
      L’histoire que raconte mouïma la grand-mère ils la connaissent par cœur tous les trois assis sur la natte tressée qui recouvre la moitié de la pièce la seule où on fait tout et Ima la balaie chaque matin avant de poser dessus les tapis un peu usés mais ils ont encore les couleurs chaudes et profondes… les couleurs du Sud… bleu indigo orange mandarine pourpre rose violet et ocre rouge… les tapis que mouïma la grand-mère a emportés de Palestine avec l’âne Cham-Cham qui était vraiment de la teinte des abricots et sur les tapis y a les matelas et les couvertures pliés comme on fait ici…
      L’histoire ils la connaissent et c’est toujours celle-là qu’elle raconte mouïma la grand-mère mais avec toutes les aventures qu’elle a vécues et qu’elle mélange touille rassemble à l’intérieur de sa marmite à histoires on n’en voit jamais la fin…



A suivre...

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14 août 2006 1 14 /08 /août /2006 16:08

Epinay, Jeudi, 10 août 2006 
                                   
Il nous reste le poème

Ecrit à Beyrouth en 1974

« La lune est-elle tombée au fond du puits ?

- Père, que fais-tu ?
- Je suis à la recherche de mon cœur. Il est tombé à terre l’autre nuit.
- C’est par ici que tu vas le retrouver ?
- Où donc alors ? Je me baisse vers le sol comme les paysannes en octobre ramassent les olives.
- Tu ne trouveras que des cailloux !
- Bah ! ça entretient ma mémoire et nourrit la conscience que j’ai de moi. Et qui sait si ces cailloux ne sont pas mon cœur éclaté ? Du moins me serai-je entraîné à la recherche solitaire de cette chose qui, égarée, m’a égaré moi-même. Et rien que de chercher c’est, n’est-ce pas ? la preuve que je refuse mon égarement. C’est aussi prouver mon égarement aussi longtemps que je n’ai pas retrouvé cette chose égarée…

- Père, que fais-tu encore ?
- Mettre la main sur une pierre qui serait toute semblable à mon cœur et, au toucher de mes doigts rongés par les flammes, elle se muerait en mots avec lesquels interpeller mon pays, au loin. Il me répondrait, notre parole se ferait chair.
- Eh bien, parle, parle encore.
- Je parle et je n’entends pas et la femme à qui je m’adresse m’est devenue un second exil.
- Quand tu étais petit, tu avais peur de la lune ?
- C’est ce qu’on disait. Mais les enfants n’ont pas peur de la lune. Pas toujours… Sans elle j’aurais été orphelin avant l’heure.
La lune n’était pas encore tombée au fond du puits, elle m’arrivait très au-dessus de la tête mais elle était beaucoup plus près de moi que le mûrier de la cour de mon grand-père.
Le chien aboyait comme elle approchait de nous lorsqu’éclata un premier coup de feu. Etait-ce un mariage, si tard le soir ? me demandais-je, étonné.
Puis on me mit dans le cortège. La lune nous suivait au long, je le sus plus tard, du chemin de notre exil. Sans elle, j’aurais à ce moment perdu mon père, aussi vrai que je te l’ai dit tout à l’heure. »

Chronique de la tristesse ordinaire
, Mahmud Darwish, Ed. du Cerf, 1989

          Ce texte du poète palestinien Mahmud Darwish je l’ai choisi entre ses nombreux recueils de poèmes qui ont jalonné ma route d’écriture parce qu’il raconte dans les premières pages de Chronique de la tristesse ordinaire et tout en parlant d’un peuple et d’un lieu qui ne sont pas miens l’histoire de notre quotidien quand il ne sait pas être rayonnant ni grandiose… quand il se réfugie dans les abris du manque ce fond du puits qui nous retient de la lueur bleu turquoise de la lune dans nos ciels de banlieue l’été…
      Je l’ai choisi parce qu’il a été écrit à Beyrouth en 1974 ce qui aujourd’hui marque notre présent d’une pierre de souffrance beaucoup trop lourde à porter pour nous seuls qui ne savons pas nous taire… qui ne savons pas attendre… et qui était déjà la sienne alors il y a trente ans…
      Je l’ai choisi face à notre nudité d’esclaves soumis à un destin de bouffons dans la queue des grandes maisons de fous à qui il ne reste plus que le poème pour affirmer encore que la lune bleue de notre idéal habite entre nos mains…
      Je l’ai choisi parce que le poème est sans demeure et qu’à Beyrouth… à Qana… à Gaza… ou dans une banlieue de Mexico… de Los Angelès… de Paris… il brille comme une petite lampe à huile au bord de la fenêtre et éclaire de sa blancheur de neige et d’enfance le caillou posé là telle une géante colère…
      Je l’ai choisi parce qu’à la lecture de tant de polémiques et de mots morts qui aident sans doute à vivre ceux qui n’ont pas de jardin où regarder pousser l’herbe et les lianes des courgettes s’enrouler autour des coquelicots qui ensauvagent nos banlieues terrains vagues de leurs tranquilles errances…
      Je l’ai choisi parce qu’à la lecture de ce qui ajoute à la violence un autre parfum de désastre et de querelles alors qu’on voudrait de l’insouciance et non de l’indifférence pour tenir dans nos mains tachées d’encres noires de petites mains tachées d’encres rouges et leur donner des coquelicots éclatants et des papillons qui les chatouillent et les font rire à nouveau… qui les font rire demain… il ne nous reste que le poème…

      En tant de guerre en tant de désespoir en tant de haine en tant de cruauté d’impuissance de honte et de déraison tout ce qui nous reste c’est le poème…
      En tant d’arbres tombés aux pieds des foules muettes qui s’aplaventrent devant leurs idoles chars d’assaut missiles regards fossiles aux billes d’acier des généraux séniles et verglacés de cendres grises et de pointes d’étoiles calcinées tout ce qui nous reste c’est le poème…
       En tant de silence de ceux qui ont toujours tant parlé et rempli hier les pages endormies sous de vieux pavés très lourds et reposés après coup comme linceuls sur notre enfant idéal de leurs mots graves comme des mitraillettes qui tuent les libellules en vol vert émeraude au-dessus des eaux libres de nos ruiseaux… en tant de silence de ceux qui ne diront pas aux hommes de guerre que nous avons pour armes nos rêves colibris et nos désirs bonté qui se sont mis en route de Mexico à Alger… de Prague à Beyrouth… de Paris à Bamako… tout ce qu’il nous reste c’est le poème…
      En tant d’enfants dont les cris coulent dans les jardins criblés de roses surgies rouges des éclats de rire des balises disposées à tout pour leur apprendre à voler… disposées juste sur les chemins qui vont de la maison à l’école où leurs pieds d’un coup empreintent les nuages… en tant d’enfants qui ne veulent surtout pas s’endormir tout ce qui nous reste c’est le poème…
      En tant d’hommes ouverts comme des livres dont les pages de chair suintent une encre de sang… en tant d’hommes trahis par leurs idées quand sur leur peau on lit le dessin fragile des morceaux de fer bourgeons qui crèvent leur sève brûlure forgés aussi par des mains nues…
      En tant de fougères de feu semées sur la terre fertile qui ne donnera plus que des cailloux de lave qu’aucune paume adolescente ne prendra pour arme car ils ont roulé loin de leur rêve il ne nous reste que le poème…
      En tant de cailloux ocre rose et blanc ivoire ramassés sur la terre ramassés dans le mitant de nos lits d’insouciance pour montrer aux enfants le signe que le dieu lune a inscrit dedans coquillage sceau de notre ressemblance singulière devenus monnaie d’échange contre des balles d’acier qui les laissent stupéfaits… tout ce qui nous reste c’est le poème…
      En tant de mots légers inutiles et fous comme des cerf-volant jetés au matin quand on part sur nos trottoirs blues dans nos trains de banlieue vers la porte entrebâillée d’une voisine black… en tant de mots tendus comme des mains adolescentes vers des fruits juteux et rouges tout ce qui nous reste c’est le poème…

 

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12 août 2006 6 12 /08 /août /2006 01:30

 Les noces rouges de Qana        

      Toute la famille de mouïma la grand-mère est venue de Palestine vers le Sud du Liban sur ses pieds nus et mouïma dit souvent pour plaisanter qu’elle porte la carte de la Palestine tailladée par les cailloux des chemins sous ses talons…
      Mouïma elle a raconté des dizaines de fois aux enfants et surtout à Marïama qui l’écoute grave et en gardant chaque mot comme un talisman leur existence dans les camps de réfugiés avant de pouvoir enfin avoir la petite maison ic à Qana… la dernière du village tout en haut de la colline où y a encore des oliviers… aïe… aïe… aïe… azizati… ma petite chérie… elle gémit mouïma la grand-mère avant de se remettre à rire à nouveau pour la rassurer…
      - Ici on n’est pas trop loin de la Palestine… c’est vrai ça ici on est bien… aïe… aïe… aïe… que j’meure ici tranquille et qu’y z’arrêtent avec leurs bombes !…
      Bien sûr Marïama d’abord et Chams aussi maintenant qu’il met les chemises du père avec la ceinture de cuir aux losanges de verre de couleur ont eu droit aux histoires d’avions qui rasent mottes au-dessus des camps… ziaou !… ziaou !… en hurlant et puis la suite…
La suite qui est la seule chose qui semble clouer de terreur mouïma la grand-mère dont les lèvres se figent et deviennent blanches et qu’elle ne peut plus raconter…
      - Mouïma arrête !… tu te fais du mal… elle proteste Ima en lui serrant fort les épaules par-dessus le long foulard mandarine aux petites perles turquoises…

      Hop ! Hop ! Hop !…
      Les yeux aussi noirs que les pierres de jais des deux enfants se frôlent et se retiennent quand ils cessent ensemble de fixer l’horizon jaune vif où des milliers de plateaux de cuivre dansent une sarabande enivrée et le regard sérieux de Chams lit dans celui de Marïama qui essaie de s’échapper à la poursuite d’un songe de gazelles légères que c’est bien ça…
      … Je chante pour les noces… les noces rouges des grenades…
Tout près d’elle Chams voit les épaules de Marïama s’affaisser sous la tunique brodée indigo qu’elle préfère et qu’elle a mise aujourd’hui parce que c’est les derniers jours d’école et qu’on va lire des poèmes… Il sait que Marïama même si c’est une fille les protégera quoi qu’il arrive… c’est Abu qui l’a dit souvent…
      - Marïama elle a le courage du cœur dans ses mains…
D’un ou deux pas Hop ! Hop ! Hop ! Chams la rejoint et lui passe un bras doux comme une aile d’oiseau autour du cou… les deux enfants sont solidaires comme on l’est quand on vit ensemble dans le danger depuis toujours… proches comme deux météores tombés sur la même planète d’hommes chars d’hommes grenades d’hommes missiles à cet endroit-là et pas ailleurs… alors tu n’as pas le choix…
      - Un avion ?… il interroge contre son oreille où un croissant de lune lapis lazuli creuse un petit lac mystérieux…
      Elle hoche la tête et son regard s’en va là-bas de l’autre côté où maintenant sur la colline que l’argile blanche rend brumeuse de chaleur la maison semble beaucoup trop loin…
      - Oui… un avion… elle répète pendant que Neil à quatre pattes sur le talus a trouvé l’unique trésor qui vaille la peine de tenir tête au soleil…
      Des cailloux de toutes les couleurs mais surtout des cailloux ocre rose et blanc ivoire que mouïma la grand-mère lui a appris à reconnaître… des cailloux de Palestine qui sont doux et légers comme les rêves qu’on fait de retourner là-bas au milieu des collines des oliviers dans le village qu’on a laissé un jour y a longtemps… on n’sait plus bien le chemin à force mais on trouvera… et la maison… y avait des pots de géranium sur la fenêtre pour la retrouver…
      Hop ! Hop ! Hop !… Neil a quatre pattes sur le talus a rempli sa chemise de cailloux et il se redresse le trésor des chemins serré contre lui sûr comme d’habitude d’être le héros d’une fête que les deux aînés lui font à la moindre occasion et tout étonné soudain du silence cramoisi aussi lourd que le plateau de cuivre du soleil là-haut qui les entoure…
      - Hé Neil !… il va falloir marcher un peu vite maintenant… Ima nous attend… tu gardes tes cailloux ou j’les prends dans mon cartable ?…
Chams s’est approché du petit avec l’air qu’il a quand mouïma la grand-mère met son foulard sur ses yeux et commence à se balancer de droite et de gauche en répétant comme une prière où on dirait toujours les mêmes mots… aïe… aïe… aïe… pourvu que j’meure ici tranquille et qu’y z’arrêtent avec leurs bombes… aïe… aïe… aïe…
      Chams s’est approché avec l’air que Neil n’aime pas du tout vu qu’à chaque fois qu’il l’a on l’emmène se coucher dans la maison d’à côté où y a plein de petits mômes pareils à lui et qu’il entend longtemps sans dormir la mouïma se lamenter et que la lune ronde comme un plateau d’argent se pose sur ses yeux et l’emporte… 

                                          A suivre...

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10 août 2006 4 10 /08 /août /2006 23:04

Jeux d’Indiens
Epinay, samedi, 28 juillet 2006

Devant le Casino d’Enghein
Y’a des bassins bien comme il faut
Dans les bassins y’a des jets d’eau
Qui ne s’agitent jamais trop

Et dans le Casino d’Enghein
Y’a des messieurs bien comme il faut
Font prendre l’air à leur pingouin
Ne parlent qu’au gardien du zoo

Devant le Casino d’Enghein
Y’a des tables bien comme il faut
Avec dessus des trucs qu’on mange
Et des trucs qu’on boit plein les seaux
Jolis glaçons pour les pingouins

Devant le Casino d’Enghein
C’est l’été y fait bien trop chaud
C’est pareil que dans nos cités
Où ne vont jamais les pingouins

Devant le Casino d’Enghein
Dans les bassins et les jets d’eau
Y’a des gamins couleur d’orange
Qui trempent leurs plumes dans l’eau
Ils ne viennent pas de très loin

Devant le Casino d’Enghein
Y’a des gamins y’a des oiseaux
Orange et violet se mélangent
Peaux d’Indiens et costumes d’anges

Devant le Casino d’Enghein
Jouant joyeux sous les jets d’eau
Les mômes les piafs des cités
Face aux yeux vides des gardiens

Devant le Casino d’Enghein
Comme ils rêvent à des châteaux
Ils ont des graviers plein les mains
Voilà leurs fêtes leurs étés
Pas d’anges pour en prendre soin

Devant le Casino d’Enghein
Dans les bassins et les jets d’eau
Y’a des enfants couleur d’orange
Qui n’ont jamais vu de pingouins

Devant le Casino d’Enghein
Près des bassins et des jets d’eau
Sortis très tard bine excités
Les poches pleines les pingouins

Devant le Casino d’Enghein
Les yeux vides plongent dans l’eau
Où la lune bleue se mélange
Au reflet des enfants malin

Devant le Casino d’Enghein
Dans les bassins et les jets d’eau
Chaque été pour tout enchanter
Se mêlent malgré les pingouins
Les rires fous couleur d’orange
Aux plumes mauves des Indiens
Pépites d’or de nos cités.

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7 août 2006 1 07 /08 /août /2006 20:13

                                        Un été de feu 

       Nous étions partis tranquilles mon ami Louis et moi quelques jours en vacances à Saint-Malo, la cité corsaire que nous aimons tant, et je comptais bien vous rapporter une ou deux images et poèmes des grands voiliers, superbes copies d'anciens navires corsaires qui se sont retrouvés dans les bassions du port juste au moment où nous y étions, pour l'anniversaire des 50 ans (tiens juste comme moi en ce mois d'août) de leur première course partie alors du port de Saint-Malo.

      Puis nous sommes rentrés après une semaine de bonheur total dans les petites vagues vertes et l'air délicieux toujours sauvage d'Océan dans le four parisien ou plutôt banlieusard qui nous attendait comme tout le monde en ce mois de juillet assez torride et dur à subir pour tous ceux qui, dans la cité où Louis habite et où nous fabriquons nos Cahiers des Diables bleus, ne partirant nulle part, et ils sont les plus nombreux.

      Et j'aurais bien aimé, je le ferai sans doute, vous parler des gamins de la cité et des gens qui restent là tout l'été, de leurs jeux, de leurs rires, de leurs moments passés à jouer aux échecs ou à boire le thé à la menthe sur les matelas installés au bas des escaliers le soir afin de profiter d'un peu d'air plus léger et plus doux malgré la chaleur du bitume qui ne cessait de rayonner qu'à la nuit tombée.

      Mais il y a eu ce que tous vous savez presque à notre retour à Epinay, le Liban et la folie monstrueuse des géréraux séniles et des politicards véreux et morbides qui dirigent ce monde. Le Liban pris sous les feux des militaires dont le plaisir est de jouer à la guerre en expérimentant leurs armes toujours plus démentes et cruelles sur la peau des gens. Le Liban et les gamins qui n'auront ni été ni avenir car ils sont morts sous un linceul de béton et de bétise monstrueuse qui devrait pourtant nous faire hurler...

      Enfin faire au moins crier de révolte et de refus les quelques intellectuels qu'il nous reste dans ce monde somnolent où nous évoluons désormais. Faire écrire celles et ceux qui ont un peu de sens humain et de bonté... Nous sommes bien sûr nous autres dans notre cité de banlieue très impuissants et pas trop sûrs que nos images et nos mots touchent juste, ne rajoutent pas des mots morts à tant d'autres...

      Alors ce conte et ces quelques images qui se voudraient peut-être témoignage différent de ceux qui y sont plongés chaque jour dans le chaos, témoignage de l'émotion ressentie toujours aussi vive face à l'imposture et au désastre, quelques paroles hésitantes et venues d'ailleurs pour redonner un peu de leur rêve perdu à nos amis libanais et palestiniens.

              Les noces rouges de Qana
                  Pour Marïam, Chams et Neil, et pour tous les enfants de Qana, du Liban et de Palestine

Qu'ils retrouvent un peu de leur été et de leur rêve

 - Je chante pour les noces… les noces rouges des grenades…
C’est Marïama d’abord… Marïama légère comme la jeune gazelle dans sa longue jupe de coton tissé large qui ne garde pas la chaleur de l’été ocre rouge et qui la fait un peu grande pour ses dix ans qui commence le refrain de la chanson en essayant de bien faire rythmer la musique de la langue arabe et danser les mots appris le matin à l’école…
      - Je chante pour les noces…

 
      C’est Marïama… ses longs cheveux frisés d’un ton presque rouge qui étonnent les autres filles sortent du foulard blanc où la mouima sa grand-mère a cousu de petites perles de turquoise qu’elle a noué vite fait avant de quitter l’école tout à l’heure…
      Marïama qui aime tellement apprendre les chansons et les poèmes dans leur langue si mélodieuse qu’elle écoute fascinée la moualima quand celle-ci affirme avec un petit clin d’œil aux enfants qui s’agitent un peu énervés par la brûlure de l’air fauve et du soleil que c’est la plus belle de toutes les formes d’arabe au monde…
      Bien sûr qu’elle exagère… elle songe Marïama en reprenant le refrain … Je chante pour les noces… les noces rouges des grenades… mais c’est bon de la croire et ça donne envie encore plus d’apprendre les mots des poèmes… elle se répète en serrant le cartable dans sa main gauche très fort vu qu’y a dedans ses trésors d’écriture de toute la matinée et avec le qualam ça n’est pas si facile que ça…

 
      Dans sa main droite… la mouima sa grand-mère y a peint au henné les plus jolies fleurs de grenades… dans sa main droite elle tient la petite main de Neil qui avec ses trois ans et le pantalon un peu grand de son frère sous la longue chemise presque une gandourah bleu indigo comme le ciel de Qana qui lui arrive aux genoux et lui sert de blouse d’école veut s’arrêter à tous les instants pour ramasser des cailloux sur le large chemin bien empierré où les doublent parfois les camions des paysans des villages proches.
      - Hop ! hop ! hop ! chantonne à quelques pas devant les deux enfants qui rient en se tirant de ci de là Chams l’aîné des garçons qui à sept ans porte lui les chemises du père serrées à la taille d’une ceinture de cuir aux losanges de verre multicolore qu’il ne quitte pas…
      - Hop ! hop ! hop ! … il ponctue les paroles de la chanson que Marïama et lui connaissent par cœur de ce refrain bien à lui pour faire avancer la petite troupe plus vite car après la grande route y a encore pas mal de chemin à faire avant de rejoindre leur maison et Ima va s’inquiéter comme chaque jour…
      - Hop ! hop ! hop ! … je chante pour les noces… les noces rouges des grenades… et l’alouette aussi… dans son ventre elle emporte les mots… qu’elle mange comme les petits cailloux gris…

      Il est deux heures et le soleil rond comme un plateau de cuivre fiché là juste au-dessus de la medina dont les immeubles de pierre sont blancs comme l’argile cuite qu’on sort juste des fours encore recouverte de poussière astique et fait reluire les rues les maisons les champs et les cailloux aussi sur les chemins qui vont vers les villages au-delà de Qana…
      On dirait que tout ça brille avec un éclat d’ambre qui rend les yeux fous… Alors il faut vite rentrer a dit la mouima la grand-mère car sinon le soleil leur brisera les os… cric-crac… et Chams qui la croit bien qu’il soit un homme et qu’il ait pour Marïama l’admiration tendre douce que d’ordinaire les frères n’ont pas ici gratte sa tignasse touffue aux boucles noires en voyant soudain Marïama s’arrêter net et regarder quelque chose là-bas vers le Sud… 
     

      Ravi de l’aubaine Neil laissé à lui-même comme un jeune fennec s’est précipité vers le talus bas couvert de cystes qui borde le chemin et ramasse aussi vite qu’il peut tous les cailloux de couleur ocre rose et blanc ivoire… il remplit ses mains et vide tout ça dans un bout de sa chemise pour en prendre encore d’autres…
      - Neil … Hop ! hop ! hop ! et Chams saisit les mains du petit en les secouant dans tous les sens et l’attire vers lui puis le repousse comme pour une danse… c’est un jeu entre eux que Neil adore et il éclate de rire pendant que tous les cailloux ocre rose et blanc ivoire de sa chemise roulent sur ses pieds nus… les chaussures c’est trop gênant alors après l’école Hop !…
      Mais malgré le rire de légers grains de verre s’entrechoquant du petit Chams sent dans sa gorge et dans son nez un goût de brûlé quand il lève la tête et fixe lui aussi son regard inquiet vers le Sud d’où Marïama ne quitte pas des yeux une sorte de grosse abeille noire dont les scintillements gris argent au creux du plateau de cuivre du soleil sont des signaux qu’ils connaissent bien…
      … Je chante pour les noces… les noces rouges des grenades…

A suivre...

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30 juin 2006 5 30 /06 /juin /2006 00:07

                                            

      Avant de partir un peu en vacances au bord de l'océan afin de retrouver cette énergie si nécessaire à la création les doigts de pieds dans les petites vagues vertes et de vous rapporter des cailloux ronds et doux, voici encore quelques mots sur la dernière réalisation des Cahiers des Diables bleus.

      Il s'agit d'un Cahier de conte moderne illustré, intitulé Sinbad le taggeur d'oiseaux qui a environ 46 pages au format A4, et que nous venons juste de finir il y a quelques jours Louis qui a créé les images et moi.

      J'avais écrit ce texte de récit-conte en 1999, pour le faire participer à un des livres de la saga des Anges d'Alphabête City, qui est une suite de textes sur mes tribulations dans les cités de banlieue et tous les êtres étranges et fascinants que j'y ai rencontrés. C'est mon amie Christiane Chaulet Achour professeur en littérature comparée à la Fac de Cergy-Pontoise qui m'a encouragée à faire que ce texte devienne un Cahier des Diables à part entière comme un des contes de nos enfances aux merveilleuses images.

      Ce récit-conte est pris comme la plupart de mes histoires entre Orient et Occident, par le personnage de Sinbad dont j'ai repris le nom aux contes des Mille et une Nuits, et qui vit aujourd'hui dans la medina arabe d'une cité de banlieue, taggant ci et là des oiseaux incroyables pour allumer de couleurs les murs gris des blocks béton.

      Louis a créé pour cette histoires des images féeriques qui illustrent chacune des pages en format A4 et en petites vignettes à l'intérieur du texte comme cela se faisait dans nos beaux livres d'images.

      Si cela vous dit, vous retrouverez ainsi le plaisir des lectures enfantines au cours d'un texte moderne qui vous parlera de l'existence des gens dans ces périféeries mystérieuses et pourtant si proches de vous.

      L'adresse pour commander un conte de Sinbad le taggeur d'oiseaux est la même que celle des Cahiers des Diables bleus :

      Dominique Le Boucher 41 Cours de Vincennes 75020 Paris

         Bon été lumineux et solaire

                  et que nos songes vous rejoignent !

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24 juin 2006 6 24 /06 /juin /2006 01:20

                                                   L'habit vert

                          Leïla Sebbar

      L’heure du conte c’est l’heure des mondes des merveilles où on peut se tirer d’ici où on peut croire qu’on va se balader à l’intérieur des miroirs comme l’ange Heurtebise et découvrir sur les parkings de la cité là où il y a un peu de terre des arbres avec des fruits qui sont des diamants et des émeraudes. En Afrique les histoires on les raconte au milieu du cercle des maisons couvertes d’argile blanche la nuit dans la cour des femmes et la langue berce de sa musique qui rebondit comme sur le Tam-Tam sacré d’origine "… je devais raconter une histoire, ils aimaient les histoires d’ogresses, j’en avais lu chez l’institutrice française, moi aussi j’aimais ces histoires-là… " 
      Et la langue emporte l’eau du fleuve quand elle revient après les sacrifices pour redonner à la terre sa part de tout ce qu’on prend sur elle depuis des années que ça dure. La langue dans la bouche des femmes c’est le chant du fleuve quand elles portent les bassines de couleurs vives l’une derrière l’autre jusqu’au village pour verser au creux des jarres ocre rouge. Mais ici dans les villes énormes aux murailles géantes qui ne laissent au milieu que des parkings blues pour se retrouver vite fait entre potes s’il n’y a pas les voitures des patrouilles qui tournent sans arrêt la nuit le jour elles tournent… ici il y a d’autres rituels qu’on a inventés sans savoir parce qu’on ne peut pas vivre privés des choses magiques qui font rêver et qui redonnent envie.

       « … J’aime l’eau qui coule quand j’ouvre avec la clé de la fontaine, si elle allait par les souterrains jusqu’à la mer et si elle s’arrêtait devant la maison de ma mère dans son pays, loin… » Et les mots qui se transmettent d’une femme à l’autre… de la fille à la mère… les mots sont toujours ceux de la reconnaissance « … parfois dans un roseau creux que je coupe dans un parc, je glisse un papier avec des mots pour ma mère… ces mots-là dans le roseau siffleront dans sa langue, elle comprendra. »
      Mais ici dans les villes énormes dans les cités folles dans les ghettos et les bidonvilles quels rituels pour sauver les enfants du commerce des nouveaux esclaves du commerce de leur peau de leur sang de leurs rêves ? Chacune des jeunes filles des nouvelles de L’habit vert est passionnée par les histoires les récits et les contes… même si parmi elles certaines viennent d’un lieu très pauvre comme dans La fille de l’Atlas « … l’Atlas c’est loin des villes, il faut de l’argent et l’argent on n’en avait même pas pour l’école… » elles aiment les livres et elles finissent par apprendre à lire et par oublier en se perdant parmi les mots toutes les terreurs de l’enfance comme le petit Jules Vallès enfermé et puni à l’intérieur de la salle de classe ne se souvient plus du temps et de la cruauté du père qui est aussi le maître à mesure qu’il s’enfonce léger dans la nuit au gré des pages du gros livre. Les mots des livres ne mentent pas… les mots des livres sont les seuls êtres solidaires des enfants égarés.

      « J’ai suivi Madame à Saint-Pourçain-sur-Sioule. Je l’ai servie… J’étais sa lectrice : « Tu vois, j’ai eu raison, et tu lis très bien. » J’ai lu tous les livres de sa bibliothèque blonde en bois de merisier… J’ai lu jusqu’à la migraine. Mais ça m’a plus. Surtout Les Hauts de Hurlevent. Je l’ai lu plusieurs fois, pas seulement pour Madame. Elle aimait Autant en emporte le vent, moi aussi, mais surtout les livres de Pierre Loti. On n’était pas toujours d’accord. » La Villa

       Dans les cités ici il y a tout ce qu’on veut si on regarde bien… mais il n’y a pas de livres qui circulent de main en main au pied des blocks… Il y a la came… les flics armés de flash bals qui chargent les jeunes garçons comme ils ont fait à Clichy et qui les coincent dans un transformateur électrique… les cocktails planqués au fond des caves sans doute on n’en a jamais vus… mais il n’y a pas de livres…

      Et pourtant on est tellement loin à Paris sur Seine du dark ghetto de Chicago ou de Harlem et de leur brutalité au quotidien… Même si « les mamas mères maquerelles » font venir des filles du pays pour travailler ce sont peut-être elles aussi ou des sortes de proxénètes dans leur style qui font mendier les jeunes femmes vêtues avec le foulard et la robe noire jusqu’aux pieds sur les escaliers du métro la tête baissée et la main juste qui dépasse de leur suaire une main fine aux veines bleues sur le dos de la paume elles aussi on dirait des madones sombres abandonnées là…
      Même les mamas ne savent pas ce que c’est que le dark ghetto une vraie usine à désespoir pour le coup… les mômes petits flingués au revolver… Ici tu marches dans la rue avec le soleil sur toi comme un tatouage la tête haute… Ici tu es libre et la cité tu la traverses sans crainte c’est ta belle étrangère… Même si on n’oubliera pas Sohane et ce qu’on lui a fait qui n’a pas de mots même si on n’oubliera pas Ziad et Bouna à Clichy enfermés électrifiés tués pour rien ni ce qu’on a vu en Novembre les flics les guns pointés les menottes les voitures hurlant à travers les rues de la cité et les grands incendies qu’une jeunesse qui refuse qu’on l’emmure vivante à l’intérieur d’un ghetto muet allumait pour retrouver la rage des guerriers indiens et leur fierté.

« … Un homme joue de la flûte. Il meurt avant la fin de la mission… C’est beau un homme qui chante sur les sentiers, dans les bois de chênes-lièges, à travers les genévriers, un chant de soldat épuisé… »
La banlieue la cité c’est leur territoire et ils l’aiment comme le chante Anis qui vit à Cergy Pontoise : « Ma banlieue pourrie… mon p’tit paradis… » Ces mots-là ne mentent pas non… ils disent à la fois le lieu qui fait mal et puis c’est le seul qu’on aie et quand on y naît on l’a dedans de soi comme un talisman comme une terre chère la terre de Palestine aux enfants palestiniens la terre d’Algérie au poète Jean Sénac qui ne pouvait pas aller incendier ailleurs son soleil et qui a préféré la cave de la rue Elysée Reclus pour retrouver « l’enfant brodé d’écorchures » et y mourir abandonné… presque tous.

      La vieille quitte un peu son banc sous le viaduc parfois « … Elle s’arrête devant l’enfant de pierre, il ressemble à Rémi de Sans famille… Au-dessous de l’enfant en belles lettres inclinées : Abandonné ! »
      Abandonnés ils le sont tous les jeunes filles et garçons des cités de banlieue alors qu’on crie bien haut que plus personne n’est à vendre dans les pays où les femmes et les hommes ont des droits mais pas tellement celles et ceux qui sont « … Chocolat, tête de nègre, pain d’épice, café au lait, marron glacé… Toutes les couleurs des îles… » Le pays de l’enfance c’est comme ta maison… si tu n’y es pas chez toi et qu’il n’y a pas le refuge quelque part dans une cabane au fond du terrain vague un entrepôt entre les voies express et la ligne du RER personne n’y vient jamais un jardin sauvage autour d’une bâtisse dont on a arraché le toit alors tu ne seras chez toi nulle part…

      De partout ils fuient ils s’en vont depuis toujours et si chez eux ça a été un jour le pays des histoires et des rêves ils ne le savent pas ne le savent plus… Les jeunes gamins palestiniens de l’Intifada est-ce qu’ils liront les poèmes de leur poète qui raconte sans cesse et sans se lasser la demeure et la terre de L’Indien rouge ? Est-ce qu’ils emporteront avec eux tous ses livres quand le mur aura fini de les enfermer hors de leur corps… captifs amoureux d’un désir incendié ?

« Je leur ai raconté l’histoire du poète français amoureux des Arabes, des jeunes Palestiniens et du Maroc… Il les aimait, c’est tout. Il était vieux et malade. Il habitait un petit hôtel dans le XIIIe arrondissement de Paris… Je sais qu’il est enterré au Maroc, peut-être dans un petit cimetière marin. » La fille de l’Atlas

      Abandonnés les jeunes palestiniens habitent les livres des poètes mais pas leur corps et pas leur terre déchue et ils savent que partout sur la terre qui n’est pas la leur qui n’est pas la terre des hommes fiers et libres des guerriers indiens mais celle des marchands d’armes et des dieux fous on ne les aime pas et qu’on les abandonne à ceux qui « se sont partagé le monde » comme le dit le chanteur rasta Tiken Jah Fakoly venu de la Côte d’Ivoire et dont les textes des chansons afro nous parlent de nous… de notre réalité semblable à celle des Africains parce que nous ne sommes séparés qu’avec une certaine idée de la couleur de peau de la race… des mots qui n’ont pas cours dans la banlieue où on a tous grandi mêli-mêlo ensemble et venus de n’importe où.

     

      « … En même temps que les autres, ils sont arrivés dans cette ville… Des immeubles construits en une nuit, pas vraiment, mais en peu de jours, des immeubles pour les pauvres… »

 
      C’est vrai… « Ils se sont partagés le monde et ils ne nous ont rien demandé ». Les jeunes garçons et filles des cités dont les parents sont venus d’Afrique il y a quarante ans ne connaissent pas les poètes et les créateurs de leurs pays… ils n’écoutent pas les griots le soir sur la place du village devant les notables rassemblés au milieu des termitières rouges… ils n’entendent pas les chants des Tam-tams ni les voix des femmes qui content au centre de la cour de l’autre côté du fil de laine aux trois couleurs.

      Ici ils sont nés ensemble les uns à côté des autres les jeunes garçons et les jeunes filles de parents venus d’Afrique à l’intérieur de la cité dans les blocks les tours les barres ils ont recréé en grandissant le village le cercle aux palabres et aux contes… ils ont recréé sans rien savoir les façons de communiquer des anciens qu’a filmées Ousmane Sembené pour ne pas crever de solitude et d’ennui. « … Dans le petit immeuble, seule famille algérienne. Ma mère s’est ennuyée… Elle pleurait souvent… » Ils ont recréé le cercle sans les mots.

      Abandonnés les jeunes palestiniens qui posaient heureux et bourrés d’espoir le 13 septembre 1993 avec le drapeau palestinien comme un cerf-volant qui s’envolait enfin sans la blessure des fils barbelés sur sa toile légère sont maintenant tous nus face aux caméras des TV du monde qui offre leur peau aux bradeurs d’histoire. Leurs corps d’enfants violés par les yeux goulus et vicelards des milliers de vieillards qui les convoitent pour leurs festins d’impuissance.

      Ils sont semblables à cette jeune combattante du maquis « J’étais debout contre les pierres entre deux soldats, l’un à droite, l’autre à gauche, ils me tenaient le poignet pour me présenter à l’appareil, un trophée guerrier, vivant… Ils me regardaient tous. Le photographe a fait son travail… » Et pourtant ça n’est pas une vie pour des enfants leur vie… c’est une galère comme celle des petits mômes 6 ans 8 ans à peine qu’on voit dans le film La cité de Dieu au Brésil un flingue à la main face à l’océan. Qui vont-ils descendre ? Pourquoi ils tuent ? Ils croient qu’ils jouent et ils n’ont pas peur.
      Le maquis ça n’était pas encore le temps de l’Algérie le temps des femmes et des hommes debout droit comme l’olivier dans sa jeunesse. Ça n’était pas encore le temps des « citoyens de beauté » mais celui des treillis et des godasses militaires pour de vrai pas comme aujourd’hui dans les banlieues on voit les garçons et souvent les filles aussi avec les habits achetés dans les boutiques parisiennes qui imitent ceux des soldats…

      Les habits de la guérilla urbaine comme la nomment les journalistes qui n’ont jamais vécu dans les cités… « … ils s’habillent pour faire les beaux, pas dans la cité. Ils vont loin là où personne ne les connaît, là où le père ne va jamais… avec son pauvre habit pour les poubelles et les rigoles. C’est la honte. » Ils aiment les habits à la mode pareils aux parkas avec le portrait du Che mais que savent les jeunes des banlieues de l’idéal des guérilleros ? L’image rouge et noire sur le vêtement ou le béret avec l’étoile ils ne l’achètent pas et le keffieh non plus… C’était le temps des maquis et de ce qu’on croyait être bientôt le pays d’une jeunesse rebelle et ardente…
      Dans le maquis il y avait des jeunes filles « … Avec les hommes, des frères, des cousins, pantalon d’homme, vareuse, pataugas et casquette, habillée comme eux… » Il ne fallait pas avoir peur. La guerre ça n’était pas un jeu d’enfant. Les jeunes garçons au pied des blocks ne savent pas et ils attendent qu’on leur raconte… Les guerres eux ils les regardent à la télé et ce sont celles des autres jamais les leurs. Jamais celles de leurs parents pour un pays qu’ils ont aimé avant qu’on les oblige à partir. Les jeunes au pied des blocks n’ont pas d’autre pays à défendre que celui de la cité… S’ils rencontraient celle qui est une vieille femme aujourd’hui ils aimeraient qu’elle leur parle du Maquis… qu’elle raconte son histoire et celle de l’officier qui l’a arrêtée… ils ne riraient pas…
      « … Tu sais lire notre langue… C’est incroyable ! J’ai pas le temps de lire… tu liras pour moi, tu me raconteras… » C’est avec les mots des histoires les mots des livres que la guerre a perdu de son pouvoir d’attraction et aussi un peu de son sens. La guerre ce sont des gens qui ne s’aiment pas… Il y a des histoires d’amour dans les livres des histoires où des êtres jeunes se rencontrent et ils s’aiment. « … On part, on rêve, on vit des histoires d’amour impossibles, c’est les plus belles tu ne trouves pas ?… » et soudain l’idéal guerrier se transforme en passion amoureuse mais c’est la même chose parce qu’au fond le drame reste là présent comme dans les toiles claires-obscures du Caravage et que dans l’amour il y a toujours la peur de la mort envoûtante et sacrée.

      « J’étais sa liseuse, sa conteuse, ce n’était plus la même guerre, même si les livres parlaient de la guerre, l’officier oubliait sa guerre, il disait qu’il ne l’aimait pas, qu’il faisait semblant, il n’allait pas déserter, dans sa famille ça ne se faisait pas, et moi aussi j’oubliais les Frères et le sang. » Maquis 
 

      

A suivre...

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21 juin 2006 3 21 /06 /juin /2006 00:44

Rêv’café
Samedi, 16 juin 2006

De la vie il ne faut rien garder
Sur mes lèvres légères rousse
Rien que la crème la crème du café
On se moque bien de ce qu’on a donné
Reste le goût de fougère qui s’émousse
Entre les dents le parfum des fées

Pendant que la vie soudain s’éparpille
J’ai les mains pleines de mes défaites
Comme la vie je vois se tirer mes billes
Oh ! compagnons j’ai le cœur rempli de nos fêtes

Si je me souviens de vous c’est mille étés
Qui éclatent nos rêves de savon
Au bout des pailles s’envolent vos frimousses
De nos jeunesses je ne voudrais garder
Dans l’aube amère que l’odeur du café
Sur mes lèvres brûlées rien qu’un peu de mousse

J’ai rien mis de côté que la crème douce
La crème tendre du café sur nos années
Un bol de libellules que resquille
L’enfant qui a les poches pleines de billes
J’ai vécu papillon tel un roi tel un prince
Habillé de haillons mes couleurs mes ivresses
Fruits généreux nous étions d’insouciance
Nous avons cru à la bonté en nos provinces
Et leurs champs de café aux fleurs enchanteresses

Pendant que la vie soudain s’éparpille
J’ai les mains pleines de mes défaites
Comme la vie je vois se tirer mes billes
Oh ! compagnons j’ai le cœur rempli de nos fêtes

La lune mettait son signe sur nos fronts
Nous avions ses vaisseaux au creux de nos pupilles
Frais ses jardins nourrissaient nos errances
Aujourd’hui nous dormons dans des berceaux de feu
Pour demain ne nous reste à préserver
Que le parfum matin à peine qui pousse
Sa petite herbe où rosée s’écarquille
En gouttes tendres qu’on aime à lécher
Avec solitude nous échangeons nos billes
Oh ! compagnons ne demeure de nos fêtes
Que la crème douce des cafés partagés.


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16 juin 2006 5 16 /06 /juin /2006 01:37

                                         La grande tribu des fleurs d'agave

        Et voici ce qu’il racontait notre Tam-tam des brousses avec ses mots rouges et sang voici ce qu’il racontait :
        - Gens de la cité… Ils sont venus avec leurs armes ridicules ils sont venus avec leurs camions ils sont venus avec leur peur leur peur de vous et de votre grande tribu indienne…
       - Jadis leurs maîtres vous ont regroupés sur ce territoire sauvage ils ont construit des murailles autour de vous ils ont coulé du bitume autour de vous… ils vous ont regroupés sur ce territoire sans savoir que tout peuple qui vit ensemble qui grandit ensemble qui rêve ensemble forme un jour la grande tribu qui décide de ses lois et met au monde son histoire…
       - Gens de la cité… Ils sont venus pour vous rendre coupables d’actes que vous n’avez jamais commis pour juger et pour punir toute la grande tribu et pour lui faire baisser la tête car sa colère et sa riposte mettent leur totem d’argent massif en danger…
       - Ils sont venus pour vous accuser de la violence qu’ils sèment sur macadam black ils sont venus pour détruire vos petits dieux païens et votre territoire… ils sont venus avec la honte et le mépris…

       Ecoute… écoute…
       Voilà ce qu’il racontait notre tam-tam avec ses mots rouges et sang voilà ce qu’il racontait :
       - Gens de la cité… la grande tribu est arrivée du Sud il y a très longtemps… la grande tribu était immense et elle avait beaucoup marché et ses talons… au moins deux mille… avaient marqué de leur empreinte sanguine les déserts de sable blanc avant de tatouer les déserts d’asphalte noir de son signe fraternel…
       - La grande tribu est venue du Sud avec ses fêtes avec ses rires avec ses parfums de santal et de myrrhe avec ses bracelets d’or autour des chevilles avec ses musiques et ses danses au rythme des mandoles et des derboukas… la grande tribu est venue avec ses rêves et ses petits dieux païens et elle s’est arrêtée là…
       - La grande tribu est venue avec ses arbres et elle a planté parmi les arbres du Nord maîtres des forêts ses palmiers ses baobabs géants ses bananiers nains ses secoyas aux troncs de demeures et ses palétuviers dont les pieds marchent dans les fleuves…
       - Et les arbres ont grandi en mêlant leurs feuillages et les arbres sont devenus les nouveaux dieux païens de votre peuple métisse…
       - Alors ils se sont ramenés munis de tronçonneuses parce qu’avec le bois on peut faire du fric ils se sont ramenés dans des bétaillères parce qu’avec un peuple esclave on peut faire beaucoup de fric…
       - La grande tribu est arrivée du Sud et elle s’est arrêtée là mais elle n’est que de passage…
       - Demain bientôt elle repartira avec ses fêtes avec ses rires avec ses histoires et avec ses gens… deux mille peut-être plus drapés dans le boubou écarlate et sang du soleil de soie… elle repartira avec ses enfants et avec leurs jeux… elle repartira et elle leur laissera d’immenses cités désertes aux murailles gris béton que macadam black couvrira de son flamboiement sombre pour longtemps…

       Ecoute… écoute… tam-tam ratata tam !…
       Il était dix-neuf heures trente quand ils se sont cassés tous ensemble à la queue leu leu comme des rats sans se retourner et le rire incroyable des arbres grands maîtres de la forêt les a poursuivis en dansant sur ses pieds du vent pendant que tous les mômes de la cité ramassaient des galets doux et blancs venus de la mer… Vous comprenez ?…

 

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14 juin 2006 3 14 /06 /juin /2006 15:08

                     

                La grande tribu des fleurs d'agave

      Ecoute… écoute… tam tam ratata tam !… écoute le tam-tam de nos banlieues qui court et qui va comme un petit dieu païen fou de danse avec ses pieds du vent…

      Ecoute… écoute…

      Le flic qui garde le passage il raconte la même chose à tout l’monde qu’on n’peut pas entrer si on n’a pas son identité dans sa poche avec la preuve qu’on est bien d’la cité qu’y a là une reconstitution et qu’en conséquence tout l’quartier est cerné bouclé enchâssé dans sa gangue de policiers armés de voitures sur les parkings et sur les rues d’macadam black sur les trottoirs et peut-être aussi dans les escaliers on n’sait pas…
      Et pour nous impressionner encore il a dit en nous regardant avec un peu d’mépris les uns les autres :
      - Ici y a 350.000 policiers alors !…
      Et moi qui n’sais pas très bien compter j’ai pensé mais j’ai rien dit vu qu’on avait tellement d’étonnement que nous les gens des banlieues si loquaces d’habitude on était plutôt muets sur c’coup-là… j’ai pensé que 350.000 c’est vrai que ça faisait vraiment beaucoup…
      Après le premier cordon les rues d’la cité elles étaient comme on n’les a jamais vues un mercredi après-midi un jour d’été avec le camarade soleil qui t’fait les yeux doux et la chaleur qui vient copine dans ton cou elles étaient vides à pas respirer vides à mourir sur place tout de suite vides à hurler et on marchait les uns les autres les gens et moi très vite et puis en sautillant par ci par là comme si les trottoirs étaient minés si c’était chez nous transformé en un camp militaire et ça j’dois dire que j’l’avais ressenti qu’une fois auparavant quand j’avais fichu les pieds dans une caserne y’a longtemps… y’a très longtemps…
      Oui… nous les gens d’la cité et même les matous si audacieux d’ordinaire on rentrait à l’intérieur du ghetto mais même à l’intérieur on n’pouvait pas faire un pas sans les avoir sur le poil…
      Moi j’avais d’la chance vu qu’on habite au début d’la rue les premiers blocks quoi l’ami Louis et moi mais j’me suis quand même fait arrêter une autre fois avant d’arriver au bas des escaliers c’était forcé y’avait des groupes de flics devant chaque porte et à chaque fois y fallait répéter où on allait avec le pain à la main et les ménagères avec leur sac à provisions les poussettes devant et les gamins qui s’dépéchaient sans courir vu que c’était interdit de jouer en bas de ton block interdit de rester sur les trottoirs interdit de traverser la rue pour aller à la boucherie musulmane ou acheter un paquet de clopes au pt’tit tabac journaux interdit d’entrer dans la cabine téléphonique.

      INTERDIT ! quoi…


      Et eux ils étaient partout chez nous dans nos rues sur nos parkings sur nos trottoirs au bas de nos blocks ils grouillaient comme chez eux avec les guns en bandoulière avec le casque avec tout l’fourbi qu’ils ont quand ils viennent chasser les jeunes de la cité… eux ils nous donnaient des ordres ils nous claquemuraient dans nos murailles pendant qu’ils se baladaient librement au milieu de la cité qu’ils avaient transformée en quelques minutes en une planète morte un effarant désert de sel.

      Ecoute… écoute…
      Mais pendant ce temps-là ce temps long qui a duré quand même faut que je vous le dise pour que vous ayez une idée qui a duré du début de l’après-midi jusqu’à sept heures et demie du soir qui a duré… duré… duré… notre tam-tam des brousses terrain vague tam-tam ratata tam !… notre tam-tam rouge et sang il battait sa cadence à l’intérieur du ventre de tous les gens qui habitent au milieu de l’inique fleur d’agave de la banlieue l’été… au moins mille… et le tam-tam il battait aussi fort que tous nos pieds nus sur macadam black… au moins deux mille… qui tapaient tapaient tapaient pour s’échapper et retrouver les chemins de poussière ocre de notre liberté.

A SUIVRE...


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