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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

26 février 2006 7 26 /02 /février /2006 00:12

Les Cahiers des Diables bleus

participent durant tous le week-end au Salon

Venez rejoindre les Diables bleus !

Le Maghreb des Livres 2006

25 26 Février 2006 .

La grande fête annuelle du livre du Maghreb aura lieu cette année à l'Hôtel de Ville de Paris.Maghreb des Livres 2006
Le Samedi 25 Février de 12 heures à 20 heures
Le Dimanche 26 Février de 10 heures à 18 heures

Programme

Le Maroc, invité d'honneur

LE MAGHREB DES LIVRES 2006, C'EST:

Le plus grand Salon du Livre sur le Maghreb et l'intégration, sur les deux rives de la Méditerranée.

L'un des événements culturels-phares de ceux qui s'intéressent au Maghreb, en viennent, ont des échanges ou des liens avec le Maghreb : plus de 6 000 visiteurs venus pour l'édition 2005.

Près de 1000 titres publiés en France en 2005 sur le Maghreb et l'intégration ou par des auteurs originaires du Maghreb: preuve de l'extraordinaire vitalité éditoriale sur ces thèmes, et de la demande du public pour ces questions.

Près de 10 000 titres différents proposés, dans les domaines les plus divers: littérature, histoire, sociologie, politique, beaux-arts, BD, cuisine, déco, jeunesse...

Le meilleur de la production en français des éditeurs d'Algérie, du Maroc, et de Tunisie : pour découvrir les talents émergents et les nouvelles tendances de la littérature du Maghreb.

200 auteurs d'ici et de là-bas viennent signer leurs ouvrages: de Yasmina Khadra à Benjamin Stora, de Leïla Sebbar à Abdellatif Laabi, d'Albert Memmi à Catherine Wihtol de Wenden, le public vient rencontrer les plus grands écrivains et penseurs sur des questions au cœur de l'actualité.

Parmi les exposants: des revues, magazines, producteurs de disques, témoignent de la vitalité de la vie culturelle maghrébine en France .
Des dizaines de débats, expositions, films, ainsi qu'un café maure , animent ces deux journées.

Le Maghreb des Livres, dont c'est la 12° édition, est organisé par Coup de Soleil, association de 300 bénévoles née il y a 20 ans, qui réunit des Maghrébins et des Français, d'ici et de là-bas, pour mettre en valeur tout ce que les gens originaires du Maghreb apportent à la France et à l'Europe.


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24 février 2006 5 24 /02 /février /2006 01:10

 

Gare du Nord vous connaissez ?

 

 

Elle s’en était allée Marion en suivant les rails d’acier bleu le long du ballast vers le Nord… de plus en plus vers le Nord en suivant sur les entrepôts taggés de noms que maintenant elle connaissait bien un chemin qui s’enfonçait dans la banlieue où brûlait la colère de cet automne-là avec les châtaignes au-dessus des bidons remplis de braises sur un couvercle troué à l’envers.  
           La colère craquait sa bogue où elle était enfermée trop longtemps et c’était un langage dont on n’voulait pas. Nord… toujours vers le Nord… elle courait Marion… Hop ! Hop ! et le chien Sentinelle à ses côtés avec au fond de la musette les bombes de couleur que Banou lui donnait quand il arrivait derrière elle la nuit toujours sans qu’elle entende rien et le chien Sentinelle non plus… Hop ! Hop !
           Souvent c’étaient des bombes entamées qu’il voulait plus com’il disait parc’ qu’elles lui poissaient les doigts et qu’avec les neuves t’as la pression !… Mais pour celles de couleur blanche c’étaient toujours des neuves vu qu’le totem de Marion s’appelait « Neij Carbonik » et que Banou trouvait ça trop bien l’idée de se servir des extincteurs pour rendre la fureur du monde impuissante.
          Nord… toujours vers le Nord… c’est vrai qu’Marion elle les connaîssait bien les noms des taggeurs de cette banlieue-là surtout « Venin » et « Grav » et puis aussi y avait « Mor » et « Apel » dont les signatures l’emportaient à nouveau d’un coup d’aile coupant et d’un jet de comète sur ses baskets rouges vers ce monde d’où elle était partie. Elle avait pas su comme il signait Banou vu qu’il lui avait pas dit et que dans les banlieues c’est des questions qu’ n’pose pas.

          Gare du Nord vous connaissez ?

          Elle était à peine arrivée avec le chien Sentinelle sur ses talons au bord de cette cité qu’elle ne fréquentait pas et qui ressemblait à un de ces espaces de la périféerie où c’est encore possible de semer des graines de rêves qui poussent parfois de drôles de fleurs turquoise parmi les coquelicots qui sont la colère fragile des terrains vagues…
          Elle était à peine arrivée quand l’aube sur la savane ocre rouge fait craquer les herbes sous leur carapace d’étincelles froides aux rives du terrain vague qui entourait la cité que des tourbillons de sable portés par les vents géants de l’hiver qui s’étaient remis soudain à souffler comme s’ils jaillissaient hors des grandes orgues de glace avaient distribué partout des poignées de silice et de quartz qui taillaient les lèvres et la peau du visage de petites gerçures aux fines traces de sang.
          Aussitôt elle a remonté sa cagoule de laine noire que lui avait refilé Banou jusqu’à la ligne bleu de lin de ses yeux et elle a enfoncé ses poings profonds dans les poches de la veste rembourrée de kapok qui ne protégeait pas assez en se disant qu’elle aurait pas dû venir pendant que le chien Sentinelle secouait frénétique sa tête et ses oreilles pour en faire sortir les éphémères de sable.
          Même elle a pensé sur le coup repartir direction la Gare du Nord malgré le jour qui allait rappliquer avec le danger des vigiles des gares bleu-noir et de leurs chiens noir-noir d’ennui… Oui… elle a pensé repartir mais elle l’a pas fait sans doute à cause de la fatigue qu’elle avait déjà qui lui faisait les pieds comme des pierres trop lourdes et aussi y avait cette chose au creux du ventre qui lui disait qu’ici c’était un peu chez elle… C’était au moins autant chez elle alors qu’ces mots-là y z’avaient pas de sens… que chez les rats au museau rose fendu assis sur leur queue au milieu des sacs poubelle de plastique bleu éventrés.

          Comment elle était arrivée jusque là Marion avec le chien Sentinelle dans ses talons elle ne savait pas… en fait c’était pas si important… Hop ! Hop ! Ils avaient sauté tous les deux la glissière bleue transparente des rails où ça givrait dur déjà… trouvé un endroit du grillage qu’on avait sectionné à la pince et qu’y avait qu’à soulever avec les doigts gelés qui font mal pour sortir et se retrouver entre deux palissades taggées à fond de couleurs terribles sur les rebords de la cité.
          Hop ! Hop ! Encore un bond au creux de l’herbe aux étincelles verglacées qui craquent vu qu’ici le terrain vague et le bitume des parkings se mélangent facile et ça y est… Ils se retrouvent le chien Sentinelle et elle au pied des tours où Banou lui a dit une nuit en passant comme un diable à travers le bleu outremer de la banlieue pfuitt… pfuitt… et qu’il faisait déjà trop froid qu’il créchait chez ses vieux et qu’elle pourrait trouver dans les caves un endroit pour dormir enroulée à l’intérieur de la couverture orange aux losanges vert pomme et personne le saurait.
          C’est à ce moment-là qu’elle a senti sur les petits espaces fragiles de sa peau au bout des doigts et sur les paupières les insectes du sable qui la frôlaient dansant virevoltant et en pagaille se posant et qu’elle a vu le chien Sentinelle qui secouait ses oreilles pareilles aux ailes d’un moulin que le vent engouffre.
          Imaginez une grande quantité de sable se déversant entre les hautes tours où s’entassent les populations de fourmis qui dorment encore pas pour longtemps… Imaginez…
          Imaginez ce sable tout autour de grands troupeaux d’éléphants blancs qui venaient prendre des bains gigantesques à l’aube dans les petits lagons où ils s’arrosaient de boue ocre rose…
          Imaginez ce sable d’un rouge très doux et ses reflets turquoise où elle s’enfonçait Marion… les talons d’abord à peine et c’était frais comme la neige et puis un peu plus haut que les chevilles alors elle avait bien du mal à marcher et il était coupant comme des écailles de verre…

                         Gare du Nord… vous connaissez ?


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22 février 2006 3 22 /02 /février /2006 13:07

Les Cahiers des Diables bleus au Salon

Les Cahiers des Diables bleus qui viennent juste de publier leur premier Cahier collectif avec pour thème les sans-papiers vous annoncent qu'ils ont maintenant un site sur lequel vous pouvez venir les voir et jeter un p'tit coup d'oeil aux diableries qui animent leurs pages.

Voici l'adresse où vous pouvez nous rejoindre : www.lesdiablesbleus.com

Et puisqu'aucune bonne nouvelle n'arrive jamais seule, Les Cahiers des Diables bleus seront présents au Salon du Maghreb des Livres ce week-end du 25 et 26 février à l'Hôtel de Ville de Paris pour faire découvrir aux gens les histoires des banlieues et les émerveiller.

Si vous avez envie de venir causer avec nous et de boire un p'tit thé à la menthe, nous serons très fiers et ravis de faire votre connaissance. Les Diables bleus vous attendent avec grande impatience et mille diableries !

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20 février 2006 1 20 /02 /février /2006 22:11

Ce texte a été écrit avec la participation généreuse d'Hélène Cixous dans le cours de l'année 2000 après qu'elle ait accepté de faire un entretien avec moi à partir de son livre le plus récent : Les Rêveries de la Femme sauvage Ed. Galilée 2000. Elle m'a demandé ensuite de venir participer à un de ses cours à la Fac de Saint-Denis qui faisait intervenir ce livre, ce qui fut fait avec grand plaisir pour moi. 

«J'ai été mille fois plus dans les bras d'Aïcha que dans ceux de me mère. Cela n'était même pas pensable.»

 
De l'autre côté de nos liens infernaux

      Le ferment de votre récit est comme vous l'avez précisé cet Enfer/mement envers lequel il convient de remonter le sens des mots pour retourner une situation de mort en situation de vie et descendre dans la grotte ventre centre où peut avoir lieu la résurrection, la surrection du sens.

      Il nous faut donc passer à partir de votre histoire algérienne jusqu'au don de ce livre, histoire fermée sur elle comme un fruit défendu puis désormais fendu et offrant sa semence à toute volée de vie, à la conception de l'Endroit au-delà des-portes. Muer nons-sens en naît-sens. Convier l'humus humain à un festin de jardins, à un costume de conscience. Le passage à l'acte créateur est une cérémonie de dépossession de cet Enfer errant en dedans de nous. Ce lieu clos d'où il ne nous est pas permis de sortir. Ainsi s'accomplit la «violence virtuelle» de la scène d'écriture.

«- Je te suggère d'appeler ce livre le Paradis Perdu dit mon frère. C'est-à-dire l'Enfer Perdu dis-je. Tout ce que nous perdons est paradisiaque dit mon frère. C'est infernal dis-je. L'enfer du paradis.»

      Vous aviez dit lors de notre entretien au sujet de votre texte Pieds nus, paru en 1997 dans le recueil Enfances Algériennes, que vous n'écriviez pas sur l'Algérie par pudeur et respect pour les Algériens. Mais que vous pourriez commencer à le faire à la demande de vos amis algériens qui venaient en exil en France.
      Pour qui et avec qui avez-vous écrit ce livre? Ou qui l'a tracé au travers de votre nuit noire?

H.C. : Il y a quelque chose qui s'est ouvert pour moi sur le mode tragique lors d'une rencontre au théâtre avec deux artistes algériennes qui se sont mises à me parler de ce qui se passait en Algérie. Il y a eu un moment de communion entre nous qui pour moi n'était pas normal. Le fait qu'elles s'adressent à moi en me faisant totalement confiance m'a dit alors que quelque chose était possible. Dans le rapport qui s'est instauré à ce moment-là l'exil a été suspendu.
Je dois à ces arrivées causées par de la mort la possibilité d'écrire ce que je ne pensais pas écrire. Car je croyais bien finir ma vie sans me retourner vers l'Algérie.
Et en effet, le thème de la porte ou du portail comme icônes du visage fermé est très important pour moi. Le portail m'apparaît comme étant encore plus fort en tant que figure de la tentation du possible impossible. A travers le portail de la maison du Clos-Salambier on se touchait, on se voyait. Et on pouvait toujours se demander qui est de l'autre côté. Est-ce nous ou est-ce les "petitzarabes" ?
Tous les enfants, eux et nous, nous étions accrochés aux mêmes barreaux de ce portail et nous nous parlions comme ça. Mais nous étions séparés par quelque chose comme la figure même des barreaux de prison. J'ai retrouvé cela à plusieurs reprises dans ma vie. Dans les camps de survie au Cambodge il y avait ces mêmes portails et chaque fois que je passais à côté alors que je pouvais sortir et pas eux, j'éprouvais cette violence identique du portail. On se voit mais on est séparés peut-être pour l'éternité.
Ceux qui ont donc été mes porteurs vers ce texte ont été ceux dont j'étais séparée quand j'étais petite et qui ont fait tout le tour de l'histoire et de la terre pour revenir de telle manière que nous nous sommes retrouvés du même côté.
Ce sont aussi mes morts. J'ai quand même des parts de ma vie et de mon corps qui sont enterrées en Algérie, qui sont gardées mortes mais qui pour moi gardent l'Algérie vivante.
Et puis il y a ma mère qui était un personnage de vie et dont je désirais maintenant écrire la vie algérienne, après avoir écrit la vie allemande.

      Cette vision de l'Algérie comme "un Enfer d'en haut", qui est essentielle dans le livre est l'inversion fondatrice de toutes les autres. Car le texte travaille à déconstruire les images réelles et symboliques dans lesquelles nous sommes pris au piège en les retournant pour ouvrir un autre sens possible. Pour cela il reprend à son compte les mythes les plus anciens sur lesquels nos histoires s'écrivent puisque le livre porte en sous-titre : Scènes primitives…

 
       Car dans toute votre histoire «L'Enfer» se trouve effectivement en haut. A Alger, la maison du Clos-Salembier et même la fente, le Ravin de la Femme Sauvage. Et vous sur un arbre. «Lorsque je vivais dans les hauteurs de l'Enfer au Clos-Salembier, à la crête du Chemin des Crêtes…» Lieu où votre père «avait choisi de nous nicher et nous élever…» après son départ d'Oran et qui allait devenir son lieu de mort, duquel vous tenterez avec violence de vous libérer en quittant l'Algérie.
      D'où l'inversion absolue du déroulement de votre temps : mort allant vers vie. Un schéma de ce genre : mort au départ et refus de soi par l'autre, puis vie à l'arrivée par la création et le regard de soi vers l'autre et de l'autre vers soi.
      On peut considérer que cet Enfer est fondateur d'une façon globale de penser le monde : haine-violence-guerre-mort-masculin, on y reviendra, qui s'appuie sur un mensonge archaïque et cycliquement renouvelé. Mensonge qui descend sur nos têtes et taraude les corps jusqu'à les déduire de toute pensée de joie et de lien créatif avec la matrice du monde. Mensonge se répandant sur nous et devenant notre unique manière de concevoir puis peu à peu de ressentir.

«Dans le Lycée, ici, c'est la France, or ce n'était qu'un immense mensonge délirant qui avait pris toute la place de la vérité, et qui donc était devenu la vérité. (…) Quand le pas vrai s'étend à l'infini, il est vrai.»

H.C. : Dans ma famille il y avait peu de conscience politique, excepté chez mon père. C'est mon frère et moi qui avons eu cette conscience. Cela s'est produit pour moi à trois ou quatre ans et cela m'empêchait de vivre. Chez moi il n'y avait pas de discours de résistance ou de colère parce que chacun faisait corps avec l'Algérie. Ils y étaient nés pour ce qui concerne ma famille d'origine espagnole et marocaine algérienne. Quant à ma mère elle arrivait de l'enfer nazi et l'Algérie était donc pour elle le paradis. Elle n'a même pas vu ce qui se passait. Les relations humaines qu'il y avait étaient certainement à ses yeux moins dures que celles qu'il y avait en Allemagne.
Mais pas pour moi. J'étais une écorchée vive. Je ne pouvais pas sortir sans me sentir en absolu désespoir et sans me dire qu'il fallait trouver une solution que je ne pouvais pas trouver. Je me racontais des histoires alors que je savais parfaitement qu'on ne faisait rien et qu'on ne ferait rien.

«Ce qui n'empêche pas les bananiers les pêchers les néfliers les palmiers les orangers les mimosas mais le paradis au milieu duquel hurle solitaire Le Chien n'atténue en rien l'éclat extraordinaire de l'Enfer.»

 
A suivre...

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17 février 2006 5 17 /02 /février /2006 20:29

Journal d’une fille de banlieue

Des banlieues périféeriques
Samedi, 3 décembre 2005 à Saint-Denis

Ça fait longtemps que l’envie m’avait pris de vous entretenir de nos histoires de la banlieue…
Nos histoires écrites comme ça sur des morceaux de papier au hasard de mes voyages qui en finissent pas à travers notre périféerie macadam vu que comme tous ceux qui crèchent quelque part à l’intérieur du territoire vague de la banlieue je prends beaucoup mes pieds pour marcher et la semelle de mes souliers est aussi usée que la peau dans le creux des paumes des vieux ouvriers.
Oui… ça fait longtemps que j’avais envie de vous parler de nous…
Ça fait longtemps qu’elle s’effrite avec ses grumeaux d’encre la banlieue sur mes p’tits bouts de papier déchirés où je la gribouille… la gribouille arsouille à la table d’un bistrot en buvant un café-crème ou un chocolat et dedans je trempe mon nez et la mousse m’éclabousse douce c’est tellement bon…
Là où ailleurs assise sur la banquette tout au fond du 154 je la gribouille l’histoire de la banlieue la nôtre quoi… pendant qu’il se trémousse au milieu des étendues d’eaux vertes et jade comme des petits lagons à fleur de Macadam black.

Alors voilà… je vous retrouve là où je vous avais laissés l’autre jour à l’intérieur de la bétaillère des banlieues le 154…
Vous vous souvenez sans doute : Tam-tam-ratata-tam ! ça vous dit quelque chose ?… L’autobus des brousses qui arrive brinquebalant tonitruant comme un vieux rhinocéros solitaire… Crachant hululant aussi de ses pneus sur l’asphalte où ça givre d’hiver et ça fond d’été il s’écrase pesant d’un côté de l’autre sur les terriers bitumes des tamanoirs… trous énormes dedans y pourrait chavirer un navire… Vlouf ! Vlouf !…
Oui… c’est bien ça… c’est lui l’autobus d’Afrique… le nôtre avec sa tôle rouge et feu de terre poussière tout couvert à cause de ces traversées qu’il a dû faire il nous arrive… ta-ta-ta-tam !…
Le 154 c’est notre bétaillère amicale où on s’entasse fraternels les caddies engrossés des, pastèques trop mûres l’été et des légumes pour mettre dans la marmite avec les poissons qu’on a achetés au marché de Saint-Denis.
Donc l’autobus d’Afrique le nôtre… celui de la savane rouge rouge terre et feu on l’attend l’ami Louis et moi en compagnie de notre voisine black de palier une généreuse personne enroulée à l’intérieur d’un grand boubou vert du dedans des arbres d’Afrique quand il en reste du vert c’est du profond d’émeraude quasi noir et dessus des grands dessins de fleurs ocres avec encore qui s’enroule autour d’elle une très vaste écharpe qui brille des éclats d’ombre des nuits rousses du Sud. Pour finir enserrant ses cheveux crépus de neige obscure un foulard aux nœuds acrobates et de tons tout pareils d’émeraude et de savane rouge rouge…
C’est notre voisine on la rencontre parfois au moment juste où on referme nos portes elle avec son amie qui habite le block d’en face celui où heureusement y a des ascenseurs car ici c’t’escalier c’est pas possible… pas possible…
- Bonjour… bonjour… ça va ? ça va ?… un sourire gentil pour le bon voisinage et par la porte entrebâillée toujours la bonne odeur des épices et de la marmite où ça mijote tout doux… un jour peut-être on nous invitera pour goûter un peu… ouais rien qu’un peu… peut-être un jour…


On l’attend l’ami Louis et moi l’autobus le 154 un samedi de cet hiver terrible juste après que les grands incendies du mois de Novembre se soient éteints mais pas pour longtemps par un de ces jours où le froid vous gèle le museau même en dessous de la cagoule noire qui nous fait un peu comme d’étranges corsaires de la banlieue.
On l’attend le 154 l’autobus d’Afrique à notre arrêt familier qui est juste à côté de la cité vu qu’on a décidé de partir en vadrouille à trois pas de chat botté d’ici direction Saint-Denis l’appareil photo dans le sac sur mon dos plein de choses pas utiles comme d’habitude mais sans le sac je n’pèse pas…
On l’attend et on se souffle sur les doigts d’impatience une petite fumée chaude et puis soudain on l’entend bien avant qu’on le voie… Tam-tam-ratata-tam !
Le 154… Nord… toujours vers le Nord… qui trimballe avec lui la p’tite histoire de la banlieue…

 
Oui… c’est bien lui le 154… notre autobus d’Afrique… il arrive bondit se cale juste là tout contre qu’on lui saute dedans sa vaste carcasse malmenée d’un bout à l’autre des géants lézards de bitume et qu’il nous emmène où on veut pour aller photographier les tags qu’on a repérés Indiens qu’on est près du canal en endroit assez glauque qu’il semble au moins par ces temps d’hiver et de boue qui nous colle pour sûr les semelles. Un endroit qui donne probable pas loin du camp retranché derrière d’énormes palissades de ferrailles couleur gris mistigris au moins d’épaisseur un pouce de la main elles ont et encore plus haut du fil barbelé barbare où flottent des drapeaux sacs poubelles en plastique bleu…
C’est le camp où se vautrent chienlit les unes sur les autres les caravanes des gitans avec au milieu les baraques en tôle qui tournent de l’œil sous le viaduc qui vibre pareil une bombe explosant juste à côté quand foncent sauvages les trains d’banlieue en fracassant tout le bazar… boum ! boum ! ratatata boum !
Zig-zag rouge terre et sang et bleu d’acier qu’on voit pas lancée tel un fabuleux iguane bolide la machine qui vous harcèle l’intérieur des oreilles profond vous hurle vous houspille toutes les trois minutes environ que si vous n’savez pas c’est un lâché de bombes juste là sur vous que vous allez croire… Vrang ! Boum ! Vroum !
C’est l’enfer qui vous arrive dessus vous secoue vous agite vous fait très frémissant et vous rejette mou comme une anguille contre l’eau verte pas ragoûtante presque noire quand c’est l’hiver et qu’y a pas de lumière du canal qui en a pris l’habitude et qui s’en fout.
C’est à c’t’endroit qu’ils habitent les gitans pareil à d’autres avant dans les baraques en tôle du bidonville… mais eux ils créchaient parmi les gens des blocks qui poussaient partout champignons… à leurs pieds on pourrait dire et la zone au printemps était picorée de coquelicots rouge savane et sang et de fleurs de lin qui cherchaient à manger turquoise le soleil.

Tam-tam-ra ta ta… ! l’autobus le 154… vous le connaissez bien maintenant vu que c’est l’animal totem de l’histoire et qu’il reviendra à chaque fois nous chercher l’ami Louis et moi pour nous emporter au-delà de nos palissades de papier.

 

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7 février 2006 2 07 /02 /février /2006 15:34

Pieds nus
Mardi, 30 janvier 2006

Deux enfants pieds nus dans la neige noire
Ecrivent sur Macadam black l’histoire
Des vieux au bleu tâché d’encre leurs pères
Flocons de bitume tombés hier
Tourbillons goudron pesants éphémères
Deux enfants pieds nus dans la neige noire
Ebauchent leurs noms papillons sans gloire
Nuits des réverbères sur nos trottoirs
Coulées brûlantes leurs doigts s’exaspèrent
Neige noire ici incendie mémoire
Parkings ils ont le sable recouvert
Linceul aussi de leur corps territoire
Sans eux pas de rues pas de neige noire

Deux enfants pieds nus inventent leurs pères
Deux Arabes tirent la lave chaude
Des mamelles en feu d’une citerne
Rouge qui généreuse ogresse rôde
Dans son ventre aussi leur jeunesse hiberne
Deux enfants pieds nus ils étaient hier
Burnous de lune sous les oliviers
Le pays entier pour s’émerveiller
Des trottoirs de sable aux rues de poussière
Pas de géantes prisons qui les cernent
Emeraude horizon tout déplié

Deux enfants pieds nus dans la neige noire
Rêvent de baskets volant sur la terre
C’est écrit dessus chevaux de lumière
Au Super Market son allés les voir
Pour eux pas d’autre idéal qu’acheter
Acheter présent banal ficelé
Traînées d’étoiles plastique truquées
Acheter fatal pour leurs vieux largués
Navires sur calles d’éternité
Deux enfants pieds nus dans la neige noire
Achètent lessive qui lave hier
Flocons de bitume que courants d’air
Effaceront de vos livres d’histoire

Deux enfants pieds nus qui rêvent de gloire
Quand leurs pères soleils font les trottoirs
D’un pays couvre-feu état de guerre
Les souliers écrasent les éphémères
Désirs d’écrire leurs noms quelque part
Seule et nue quand ils sont morts une pierre
Petite debout tâchée d’encre noire
C’est un livre de sable grand ouvert
Que le feu des citernes du désert
Etendra draps de lave sur la terre
Deux enfants pieds nus dans la neige noire
Rejoignent leurs pères fiers chevaux de lumière.

Couvre-feu

Couvre-feu

Couvre-feu

Couvre-feu

Couvre-feu

Couvre-feu

Couvre-feu

Couvre-feu

                                   

 

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31 janvier 2006 2 31 /01 /janvier /2006 01:07

                              Les Cahiers des Diables bleus

      Comme nous vous l’avions annoncé en démarrant ce blog il y a bientôt trois mois, nos Cahiers des Diables bleus qui venaient à l’époque de prendre leur envol pour cette aventure d’écritures et d’images partagées depuis les banlieues que nous aimons vers chacune et chacun de celles et de ceux qui ont envie de découvrir des formes d’expression souvent ignorées ou traitées avec un certain mépris, publient en ce mois de février 2006 leur premier Cahier collectif qui à pour thème les sans-papiers.

        Après de nombreuses après-midi, soirées et journées de week-end passées avec acharnement et passion, et aussi avec une grande jubilation à mettre ensemble les textes que nous ont envoyés amies et amis devenus collaboratrices et collaborateurs, images et photos, les nôtres et les vôtres, et à inventer jour après jour ce qui allait être l’univers visuel et poétique de nos Cahiers, nous avons eu le plaisir début janvier de voir sortir de l’imprimante le premier exemplaire de cette réalisation hors normes et qui va maintenant être regardée par d’autres que nous.
      Les premières réactions de personnes amies ou également moins proches mais vivant leur quotidien dans la banlieue qui nous a si fortement et généreusement inspirés ayant été enthousiastes vis-à-vis de l’aspect visuel et graphique (chouette alors, on y a drôlement bossé !), on attend avec impatience d’autres commentaires, après lecture et découverte de cet espace où l’imaginaire, la poésie et les témoignages de vie au quotidien s’emmêlent pour vous enchanter.
      Et comme les responsables du Salon du Maghreb du Livres, ou plutôt de l’Association « Coup de Soleil » qui décide de qui aura droit à quelques mètres dans les extras salons de l’Hôtel de Ville de Paris pour présenter sa revue au public très nombreux en cette fin de février, ne semblent pas vouloir nous louer une p’tite place, bien que nous ayons honoré la cotisation depuis deux ans, je vous redonne l’adresse à laquelle vous pourrez vous procurer ces Cahiers des sans-papiers rebelles et créateurs, ainsi que nos adresses mail pour nous envoyer textes et images en vue de la publication du prochain Cahier collectif.
      Celui-ci aura un thème qui ne vous étonnera pas : « Banlieue », et sa parution est prévue pour septembre ou octobre 2006 avec toujours environ 100 pages A4 recto verso et toujours un visuel fou fou fou…
      Vous pouvez donc commander le Cahier des sans-papiers pour la modique somme de 12€ port compris, en envoyant un chèque accompagné de vos nom et adresse postale à l’adresse suivante, ou bien en contre-remboursement :


Dominique Le Boucher
41, Cours de Vincennes
75020 Paris
Nos adresses mail : le-boucher.d@wanadoo.fr
ILOUFOU@aol.com

      Et voici pour vous mettre l’eau à la bouche un rapide descriptif du Cahier des sans-papiers, ainsi que quelques extrais que nous ne connaissez pas encore.

 

      Les Cahiers des sans-papiers publiés par les Diables bleus et fabriqués à Epinay-sur-Seine sont un recueil de textes collectifs illustrés de photos et d’images composées à partir d’un graphisme largement inspiré de la création actuelle des banlieues.
      Le thème des sans-papiers a été choisi en raison de la situation de plus en plus grave faite aux immigrés sans papiers dans les banlieues ainsi que des récentes morts des personnes dans les hôtels parisiens détruits par le feu dans le courant de l’automne 2005. Certains textes écrits au fil des événements relatent également notre témoignage concernant la colère des jeunes des banlieues en Novembre 2005.

      Ce Cahier est divisé en cinq rubriques :


Fictions : nouvelles et récits créatifs courts
Petites chroniques : témoignages vécus
Revue de presse : articles et coupures de presse
Journal d’une fille de banlieue : Récit au jour le jour à travers la banlieue
Histoires à suivre : contes et textes créatifs en épisodes

      Les personnes ayant participé à ce premier Cahier collectif sont :

 Laurent Bieber artiste de théâtre amateur, Eliette Anne Donnat, Aïcha Kerfah, Dominique Godfard écrivaine, Patrick Larriveau écrivain de nouvelles, Jacques Du Mont photographe, Louis Fleury pour le graphisme et la création d’images et Dominique le Boucher pour la mise en page et la création de textes.


      Ce premier Cahier collectif des Diables bleus a été conçu et réalisé dans l’univers de la banlieue parisienne afin de servir de témoignage et de donner un exemple de ce que peut être la culture métisse des différentes banlieues dans lesquelles vivent, créent et travaillent ensemble les populations d’origines diverses réunies là depuis cinquante ans. Notre but et notre désir sont de réunir les expériences et récits multiples des gens et de les communiquer à celles et à ceux qui y sont sensibles afin qu’une connaissance de cet univers souvent clos et un échange réciproque de mots, d’images et de sens s’établisse.


Dominique Godfard
La carte de séjour

Extrait

 

      Le visage du vieux routier fait penser à un masque tragique quand il évoque cette année là. Mais il le chasse d’un clin d’œil et retrouve sa bonne humeur pour parler du cas de Diabé, un ami qu’il avait soutenu dans ses démarches.

      « Quelle saloperie, cette carte de séjour… Vingt ans qu’il y pense jour et nuit. Elle a volé mon époux, elle a volé le père de mes enfants. Quelle saloperie ! » affirme Diaminatou.

      Le rire cristallin de Natou l’interrompt :
« Tu exagères, maman ! Papa, y connaît tous les papiers ! Et il a bien fait parce que, comme ça, à la Préfecture, on peut rien contre lui !
-Tu crois, ma fille ? » répond-elle dans un soupir.
Sa voix est douce, mais tellement lasse.
Avril 1994


Le sourire blanc des crocodiles
Patrick Larriveau

Extrait


      Au petit matin…
      Nous avons atterri.
      Le silence a hurlé entre nous, s’engouffrant dans nos corps épuisés par une nuit d’errance. Du coton des étoiles que personne ne ramasse, il avait tiré du lait glacé qui, maintenant que l’avion finissait sa course, coulait dans nos veines sombres comme sur nos tombes.
      J’ai à peine regardé Ibrahima, à côté de moi. Derrière le hublot, une lumière d’ivoire ciselait la terre. Rien ne bougeait. Pas plus de vent dans les hautes herbes, autour de la piste, que de nuages dans le ciel safran.
      J’ai cessé de pleurer. Derrière mes yeux, j’apercevais mon double, Edidi, debout sur la pirogue, au milieu du marigot, semblable au gardien du troupeau, ses deux bras maigres et longs agrippés au bâton de marche. Son vêtement était poussiéreux. Son visage émacié portait les ravines de la fatigue. Parce qu’il avait mis toute ma vie pour me trouver.
      L’hôtesse de l’air – sans rire – a dit de ne pas bouger. Les autorités locales prenaient les choses en main. On allait nous servir du café. Quelques-uns de nos “ accompagnateurs ”, ainsi se disent-ils, sont descendus. Par la porte ouverte de la carlingue, le soleil est entré avec son masque Bobo et son ventre de chacal. Il est venu manger notre liberté, jeter les restes dans la fournaise de la brousse. J’ai fermé les yeux. Un instant. J’ai su alors que j’étais sauvé puisque au milieu des eaux boueuses mon double n’a pas bougé. Ensemble, nous avons regardé les flammes mordre la rive, essayer en vain de nous atteindre.
      - Tu as de la chance, m’a-t-il dit, il te reste encore un rêve.

      J’ai longtemps frotté mes poignets endoloris par le métal.
      Ibrahima a murmuré :
      - On ne nous pardonnera jamais. Même comme esclaves, les blancs ne nous veulent pas.
      A ses mots du vieux sénoufo, bien malgré moi, j’ai refait le chemin d’une misère à l’autre.

Il existe/ Il existera encore/ Sur la Terre/
Des/ Connaisseurs/ Qui luttent/ En silence
Qui pleurent/ En silence/
Pour interdire/ Aux autres/
De verser/ Des larmes.
Pacéré Titinga







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24 janvier 2006 2 24 /01 /janvier /2006 01:32

      C’était Novembre encore de par le monde…

      Il a neigé très fort ce jour-là pendant que la nuit laissait tomber ses vieilles nippes sur nous. Il a neigé très fort dans les rues et ça a transformé Macadam black parkings et murailles de lave en un édredon dont les plumes givraient aussitôt au milieu des draps d’ombre de la Cité Nègre.
      Il a neigé très fort et les réverbères aux halos bourrés d’ailes de noctuelles comme les feus des villages d’Africa rendaient tout ça encore plus effrayant avec ce masque blanc figé pareil à la mort aux yeux couleur du fleuve sur la peau de la Cité Nègre.
      C’est vrai qu’à l’intérieur de la cité ils ont pas eu l’habitude de ça souvent vu que la neige quand elle se pointe de par ici et sûr que c’est une erreur elle dure pas longtemps à cause de la chaleur de c’qui couve sous la lave. Pfuitt… pfuitt…
      C’est vrai que cette année elle a commencé à ramener les plumes de son édredon troué par malveillance alors que c’était pas du tout l’hiver et qu’il a fallu partir à l’entraînement les matins roux d’automne qui sont les mêmes que tu vives dans la zone ou pas avec ses flocons de coton gelé qui entrent sous la capuche du jogging et que c’est pas possible de les virer de là.

      C’était Novembre encore un peu de par le monde…

      Déjà qu’ils aiment pas trop ça sortir du ghetto à l’aube à force d’avoir vu leurs vieux se tirer du pieux dans le ventre de la nuit noire les paupières bouffies comme des têtes de chauve-souris le café noir à peine avalé et les fringues tu les remets pareil à la veille parc’que la force d’en prendre d’autres tu l’as pas et tes pieds sur les trottoirs bitume de la cité ils cognent… ta-ta-ta-ta… jusqu’à l’arrêt du bus… le premier…
      Non… sortir à l’aube du ghetto ils aiment pas vu qu’ici cette heure-là elle n’a rien de la poussière ocre rose mouillée sur la peau nègre d’Africa au cœur de la savane écarlate quand ça commence à chauffer un peu et que l’odeur elle suit d’herbes brûlées et d’épices froides et que les animaux se réveillent en se frottant contre la terre comme leur ont raconté leurs vieux.
      Et pourtant ça fait depuis qu’ils ont l’âge des mômes qui vont chercher le pain qu’ils ont commencé à lutter de leur corps de jeunes guerriers capables de courir durant des heures le long des pistes rouge cinabre et sang contre la brûlure des ailes de noctuelles qui marquaient leurs muscles tendus de petites coupures cuisantes.
      Oui… ça a commencé tôt ce rituel d’initiation et c’était bien pour eux car ça leur a donné une arme redoutable et beaucoup plus subtile face aux gamins blancs que les cailloux qu’ils ramassent pour se défendre des plus grands qui les attendent à la sortie de l’impasse et dont rien ni personne ne va les défendre.

      C’était Novembre de par le monde…

      Il a neigé très fort ce jour-là et personne ne sait quelle idée est venue dans la tête des gamins blacks de fabriquer soudain à la place de la piste de glisse un énorme éléphant blanc totem de glace en plongeant leurs mains nues à l’intérieur des tas de flocons qui ont planqué déjà le bas des escaliers et les murailles béton de lave noire jusqu’à pas loin d’un mètre.
      Ici c’est un pays où les choses démesurées elles existent aussi et quand ça commence on n’sait pas du tout par quel moyen on pourrait arrêter ça. L’idée des gamins blacks de construire entre les grilles du ghetto où y a rien qui donne de la grandeur le totem de l’éléphant sacré à la peau d’un gris fragile quasi blanc elle venait de la quantité de neige pas croyable qui a submergé vite fait Macadam black et tous les parkings de la Cité Nègre.
      Y avait pourtant les vieux qui rentraient en déblayant de larges coups de leurs souliers qui avaient dans des temps écrasé les fleurs fragiles des coquelicots les termitières pâles aux parois déjà solides et qui les appelaient pour qu’ils traînent pas dehors à c’t’heure !
Faut dire que c’était pas bien vu qu’ils soient dehors des limites du ghetto à n’importe quelle heure et la nuit alors ça surtout pas… mais quand ils étaient encore au creux du ventre d’Africa leurs vieux ils avaient des nuits violettes et ocre rose qui en finissaient pas de faire la fête sous leurs pieds…

      C’était le printemps encore un peu de par le monde…

      Non… ici c’était pas bien vu que les jeunes s’amusent au milieu des herbes craquantes des terrains vagues rouges et depuis qu’on avait décidé de leur interdire de sortir de la Cité Nègre après l’heure du couvre-feu y avait autour des grillages dehors des vigiles armés de leurs guns et de leurs flash balls qui les guettaient pour entamer avec eux une partie de chasse cruelle au cas où ils auraient été assez fous pour ne pas écouter les recommandations de leurs vieux.

      C’était Novembre de par le monde…

      Et encore plus de ce côté-ci de la terre vu qu’on vit depuis les temps d’un peu après leur naissance claquemurés entre les lourdes plaques de lave noire et que la nuit ici même l’été quand ça pétille rouge c’est violent si t’es un Nègre.
      Et surtout un jeune Nègre cousin ! Alors là c’t’encore pire !…
Ce couvre-feu ils l’avaient mis on n’sait plus à quelle occasion qu’on s’est dépêchés d’oublier et ils l’ont laissé parce que quand t’es un Black dans la nuit t’es comme chez toi… tu leur échappes…



      C’était Novembre de par le monde…

      Il a neigé très fort ce jour-là et au moment où ils sont sortis du terrain pour o’entraînement la ville tout autour était étrange… une déesse obscure tatouée blanc… un masque noir sous la neige…
Ça les a fait rire et ils ont couru comme des gamins en criant fort et en se poursuivant vu que les quatre heures d’entraînement c’était plutôt tendu avec les compétitions qui auraient lieu au printemps partout de par le monde… Et s’ils gagnaient ils pourraient enfin quitter le ghetto devenir des seigneurs de guerre qu’on admire sur ce territoire où on n’s’occuperait plus de leur couleur.
      Ils ont couru comme ça en poussant des cris de guerriers vainqueurs en direction de la Cité Nègre et d’un coup brutal ils ont pris les phares d’une voiture de police en plein dans les yeux.

      C’était Novembre de par le monde…

      Il a neigé très fort ce jour-là pendant que la nuit laissait tomber ses vieilles nippes sur nous. Il a neigé très fort dans les rues de la Cité Nègre et ça a rendu tous les chemins les carrefours et les terrains vagues qui l’entourent de leurs derniers enlacements pas reconnaissables.
      Y avait que le large cercle des réverbères et leur halo de noctuelles accrochés aux filaments blancs luisants des grillages et aux palissades qui ressemblaient ce soir-là à des pans de banquises sculptées par les poings fous des vents qui pouvaient faire un repère fixe mais quand on s’éloignait alors c’était la nuit des mondes où ne régnaient que la frayeur et la solitude comme deux énormes gongs de cuivre sur lesquels frappaient des êtres sans tendresse. Boum… boum… rata ta ta boum !…

      C’était le printemps encore un peu de par le monde…

      Ils étaient deux jeunes Blacks qui sortaient de l’entraînement et ils riaient en se poursuivant certains que pas une antilope débusquée au cœur de la savane rouge pouvait leur échapper à la course… Deux jeunes Blacks au torse de guerriers couvert d’étoiles de sueur et prêts à conquérir d’autres grandes cités de par le monde… Deux jeunes Blacks qui rentraient à la Cité Nègre en culbutant les termitières de neige gelée à la carapace de lucioles d’argent mat de joyeux coups de pieds et ils ont pris brutal les phares d’une voiture de police en plein dans les yeux…

      C’était Novembre de par le monde…

      Rapides cinq types armés de guns et de flash balls ont bondi de là-d’dans prêts à rigoler un peu comme ils font à chaque fois qu’ils tombent sur de jeunes Blacks dans un coin où y a personne qui peut survenir et qu’ils sont sûrs d’entreprendre une chasse fructueuse.
      Il a neigé très fort ce jour-là et de l’autre côté des grillages de la Cité Nègre pas du tout loin d’eux le totem de l’éléphant au corps de givre avait pris des proportions incroyables et le froid qui marchait sur lui en faisait lentement une présence terrible et inquiétante que le halo des réverbères environnait de feu.
      En voyant les cinq types hérissés de leurs piquants d’acier sombres se précipiter sur eux les deux jeunes garçons blacks ont retrouvé l’aisance de la course dans leurs pieds chaussés de baskets de couleurs vives et ils se sont enfuis du côté de la nuit.
      Vitale présence savait que rien ne pourrait les arrêter quand ils sont entrés dans l’impasse obscure qui menait tout droit aux entrepôts frigorifiques de viande où de lourds paquets d’animaux morts et de grandes quantités de viande d’éléphants blancs attendaient que les camions du marché de gros viennent se charger d’eux.

      C’était le printemps encore un peu de par le monde…

      Peut-être les parfums très forts venus des fleuves et des marigots aux colliers de villages roux et blancs le soir… Peut-être les couleurs qui incendiaient le tronc des baobabs… Peut-être les appels et les cris au creux des gorges qui guettaient la transe du tam-tam d’Africa pour entrer dans la fête…

      Oui… tout ça c’était « vitale présence » mais la neige qui était tombée très fort ce jour-là avait tout effacé de leur mémoire.

      C’était Novembre de par le monde…

      Arrivés au fond de l’impasse ils ont escaladé le mur haut de trois mètres qui séparait les bêtes mortes découpées en morceaux durs comme des blocs d’ébène des vivants et ils ont ouvert sans savoir la porte du premier entrepôt frigorifique qu’ils ont trouvé sous leurs doigts qui ne sentaient plus que les dents du froid en eux.
      C’est à l’aube que l’homme vêtu d’une épaisse blouse de coton blanc avec la capuche qui le faisait ressembler à un voyageur du désert les a trouvés blottis l’un contre l’autre au milieu des monceaux de quartiers d’éléphants gelés qui leur faisaient une muraille étincelante comme une banquise tagguée de fines traînées d’herbes rouges et sang.
      Quand il a allumé toutes les lampes de l’entrepôt persuadé qu’il était victime d’une mauvaise vision due à ce qu’il venait à peine de sortir du sommeil avec un peu de café et de vin rouge il a vu avec de la frayeur et du désarroi que leurs visages saupoudrés d’une brume de givre pâle avaient la beauté immobile et ancienne de deux masques noirs sous la neige.
      Quand les gamins Blacks de la Cité Nègre sont descendus pour l’école l’éléphant totem sacré de glace à la peau ridée de griffures légères qui dessinaient des paysages inconnus d’un gris fragile quasi blanc dont la carcasse géante arrivait la veille au second étage d’un des blocks avait disparu. Il ne restait de lui que de petits cratères creusés par ses énormes pattes dans la croûte de neige gelée… de petits cratères creusés à l’intérieur de Macadam black qui étaient curieusement remplis chacun de couleur.
      Et ceux qui ont suivi ce chemin de traces multicolores affirment tous qu’elles finissent par se perdre à l’extrémité du dernier terrain vague en direction du Sud et qu’on peut ramasser au creux de chacune d’elle autant qu’on en veut des poudres de couleurs comme on s’en sert pour dessiner sur les maisons d’argile blanche d’Africa.

      Alors on peut croire que ce sera encore un peu le printemps un jour de par le monde…

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18 janvier 2006 3 18 /01 /janvier /2006 00:35

    

     

C'était le printemps encore une fois de par le monde...

« Vitale présence »… c’est le nom qu’ils se donnent entre eux les jeunes Blacks qui habitent la Cité Nègre aux murs recouverts de lave noire d’où ils partent le matin très tôt alors que les fenêtres des blocks ressemblent à de petits lagons d’eau claire où se refléte la brume orangée dès que c’est un peu le printemps et que tous les autres autour d’eux dorment sous la lourde fourrure des rêves traquée par les maîtres des lieux.
      Les quelques années misères plus tôt où leurs vieux étaient arrivés dans les cités d’ici et où il n’y avait déjà plus rien à faire avec ses mains de ce que faisaient les anciens parmi les odeur du charbon mouillé frais et des coulées de fonte qui fuyaient rouge des fûts immenses ce qui les a rendus aussi puissants que des guerriers au torse d’arbre baobab ou niungo couvert de scarifications… les quelques années misères sont loin d’eux comme les grandes étendues de savane encore sauvage.
      Il faut dire que vite fait les cités de ce côté-ci qui ont eu l’air y’a des temps de flagrantes brousses qu’on regardait s’incendier de flammèches d’or et ça crépitait au large des palissades après les espaces coupés en petits carrés tranquilles des jardins ouvriers vu que des terrains vagues où des troupeaux de chiens errants menaient la chasse aux fouines et aux renards y en avait plein… oui… faut dire que vite fait on les a séparés de la terre en les travestissant d’une pelisse de goudron noir indélébile. 

 C’était le printemps encore une fois de par le monde…

      Au départ leurs vieux ils ont pas vu la différence d’avec Africa sauf pour ce qui est du paysage flamboyant de là-bas et de ces épouvantables froidures qui tournoient ici en vrombissant de silence aux ailes ferrailles transies dans les vibrantes forges et se posent sur leurs épaules couvertes de boubous légers de couleurs vives comme des noctuelles de cendres claires presque blanches.
Au début… non… rien vu ou à peine… c’était encore des ruelles macadam ouvertes sur des vergers semblables à de riches tissus à l’abandon ou sur des friches qui se tissaient de coquelicots et de mûres saignant noir et sucre à l’automne.
      Au début… leurs vieux… ils ont imaginé des espaces où leurs corps pourraient se libérer des sueurs du jour dans la course avec les grands vents entre les usines qui les rongent de leurs dents lentes et les baraques où ils créchent sur des paillasses rêches…
      Au début… leurs vieux… se libérer de cet esclavage-là par le plaisir des jeux au long des corridors criblés de ces floraisons fragiles que leurs pieds écrasent en retombant et des mains écorchées sur les peaux et les cordes tendues où elles glissent graves et légères parmi les vents… pfuitt… pfuitt…tam-tam-ratatatam…
      Au départ leurs vieux ne vivaient pas comme eux depuis qu’ils se souviennent à l’intérieur du ghetto que le grillage a séparé des gens d’ici bien avant leur naissance et qu’on appelait déjà la Cité Nègre. 

  C’était le printemps encore un peu de par le monde…

      C’est vrai qu’ils se retrouvent en bas des blocks de lave noire qui sont rien qu’à eux vu qu’ailleurs on n’les veut pas et qu’c’est là qu’ils ont appris les rites des sociétés d’ici ensemble comme ils sont toujours et comme on l’a décidé à leur place.
      Pour eux y’a eu de folle étendue de savane sauvage et de villages aux éléphants sacrés la peau ridée de griffures légères qui dessinent des paysages inconnus d’un gris fragile quasi blanc que dans les histoires que leurs ont raconté leurs vieux.
      Oui… y’a rien eu d’autre ici qui puisse les faire rêver pour sûr…
      Mais « vitale présence » a pris le relais de ces origines qui sont plus que des traces à l’intérieur loin… drôlement loin… peut-être des parfums très forts venus des fleuves et des marigots aux colliers de villages roux et blancs le soir… peut-être des couleurs qui incendient les troncs des baobabs… des appels et des cris au creux des gorges qui attendent la transe du tam-tam d’Africa pour entrer dans la fête… 
      Oui… tout ça c’est « vitale présence » au centre de leurs torses de guerriers que les scarifications ne protégeent plus et le long de leurs jambes qui n’ont pas pu se mesurer avec l’antilope et le lynx ni entrer en êtres fiers et libres dans le combat de la vie solitaire. Pour eux les jeunes des cités d’ici y’a eu de la fraude dès l’origine faut le dire car on n’leur a pas donné le choix.
      La fraude c’est d’abord d’habiter à l’intérieur de la Cité Nègre avec les autres qui sont tes cousins et d’être ensemble à discuter en bas des blocks comment faire pour leur montrer à ceux du dehors… ceux qui ont pas des grillages qui les gardent d’aller se mélanger… leur montrer qu’on a dessous la peau l’élan des grands vents qui portent plus loin que les pieds des gens d’ici et la vigueur du sang des guerriers aux scarifications faites jadis pour se protéger des désirs hostiles.
      La fraude c’est de commencer à courir de l’autre côté de la zone d’herbe craquante et brûlée qui délimite le territoire de la Cité Nègre au milieu des mômes blancs qui ont les fringues avec les marques que toi tu as pas et qu’ils te narguent mais déjà tu les largues à la première échancrure des palissades vu qu’y n’savent courir que sur black bitume et que les égratignures des terrains vagues n’sont qu’à toi.
      La fraude c’est de commencer à croire que tu peux leur ressembler vu que sur les terrains de l’école aux cendres grises légères quasi blanches tu te mesures à eux et que c’est toi pour une fois qui éveilles le regard déjà affranchi des types qui te matent dans les vestiaires avec curiosité et presque de la bienveillance pareille à celle de l’instit quand tu racontes au centre des cousins qui t’entourent les histoires d’Africa que disent parfois tes vieux avec la nostalgie sur leurs lèvres humides.
      Mais toi au fond tu sais bien que tu appartiens à la coulée de sang qui a séché sur l’herbe des terrains vagues de la Cité Nègre… Tout i appartiens aux rêves d’Africa sur lesquels veillent les éléphants sacrés dont la peau est ridée de griffures légères qui dessinent des paysages inconnus d’un gris fragile quasi blanc. 

 C’était le printemps encore une fois de par le monde

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14 janvier 2006 6 14 /01 /janvier /2006 02:46

      Gare du Nord vous connaissez ?


      Lorsqu’on s’était vues pour la dernière fois avec Marion et le chien Sentinelle dans le bistrot juste à côté de la Gare du Nord la nuit où je lui avais donné les baskets rouges elle m’avait causé un peu de ce monde vers lequel elle retournait d’où elle s’était tirée avec joie quand le strapontin s’était refermé clic-clac juste derrière elle et qu’elle était partie au moment où les vents géants s’étaient mis à souffler de partout.
      Moi je pouvais bien visualiser ce qu’elle disait Marion vu que dans la banlieue j’y étais embarquée chaque jour depuis que j’y étais née y a un peu de temps déjà et qu’après avoir bourlingué raide j’y étais revenue moi aussi parce que c’était parmi ces gens-là que j’avais envie de continuer le voyage de l’autre côté des palissades de chantier et tout au bout des terrains vagues de l’enfance.
      Et tout comme elle le disait Marion ça faisait pas très longtemps que les vents géants s’étaient mis à souffler de partout sur nous et que le sable ocre rose fin aux cristaux coupants et glacés comme des écailles de mercure s’était amassé sur les parkings des cités au pied des blocks… Qu’il avait crapahuté par les fentes des palissades de ferraille écartelées… Qu’il s’était glissé faufilé ramené sur les chantiers où les engins abandonnés semblables à de gros éléphants d’Afrique fossiles… les poutrelles d’acier jetées sur les collines de gravats et les tas d’ordures en étaient lentement recouverts mangés dévorés…
      Non… ça faisait pas très longtemps qu’il formait partout et jusqu’au bas des escaliers au cœur des nuits opaques que les réverbères éclairaient plus qu’avec des halos effarés à cause de tout ce sable tourbillonnant des dunes mouvantes qui se figeaient soudain comme vitrifiées par des incendies intenses à l’intérieur où ça bouillonnait de lave folle.
      Ça faisait pas très longtemps qu’il s’était mis à nous submerger tout doux tout doux à la manière d’un désert qui viendrait faire sa place par ici… le sable ocre rose.

      Gare du Nord vous connaissez ?

      Imaginez… ce sable où on s’enfonçait les talons d’abord et puis les chevilles et alors on avait bien du mal à marcher pour rentrer chez nous…
      Imaginez… de grandes pelletées de sable qui saupoudraient les rues des cités les trottoirs macadam black les parkings aux lueurs violettes où les capots des voitures en étaient au matin givrés d’une croûte épaisse…
      Ça faisait pas très longtemps qu’on avait remarqué comme c’était difficile de se déplacer simplement et qu’il fallait faire des efforts que les vieux et les enfants n’pouvaient pas. Et seulement les voitures de police elles qui avaient bizarre changé d’allure et s’étaient équipées d’énormes pneus avec des châssis très hauts quadrillaient les rues de nos cités de plus en plus vite en chassant devant elles d’énormes troupeaux d’éléphants blancs effrayés qui s’évanouissaient au creux de la brume quand elle montait du fleuve amical comme les grands fleuves d’Afrique quand il a plu.
      Oui… les voitures de police elles s’étaient vite adaptées à tout ce sable et ça nous arrivait de devoir sauter vite fait de l’autre bout du trottoir quand elles passaient en hurlant de leur sirène gyrophare car les gerbes de sable ocre qu’elles projetaient sur nous formaient aussitôt des monticules épais qui nous ensevelissaient à la façon d’énormes termitières à l’intérieur desquelles on aurait été engloutis et digérés comme dans un linceul.
      Imaginez… Mais ça n’était pas encore tout à fait le temps où ainsi qu’ils le feraient quelques jours plus tard et que Marion le raconterait à Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges… ils s’éloigneraient Silence glaçant leurs sirènes après avoir enfermé des jeunes gamins en train de jouer au ballon sur les trottoirs de Macadam city blues sous une carapace de sable pétrifié auquel se mêlait la neige qui les effaçait de nos regards.
      Non… pas encore tout à fait vous comprenez ?

      Ce qui s’est passé ensuite j’aurais pas pu l’imaginer malgré tout c’que je voyais déjà depuis des temps de misère et de folie… des temps sorciers que les jeunes des blocks s’acharnaient à couvrir de couleurs cloués sur les murs béton de nos cités rageuses qui n’pouvaient plus résister aux dunes de sable ocre rose marchant vers elles comme vers les villages d’Afrique à grands pas le géant aux talons secs crevassés de sel.
      Y’avait plusieurs mois depuis que je n’savais pas où elle était passée Marion avec le chien Sentinelle juste à côté…y’avait plusieurs mois que les choses terribles s’étaient jouées sur Macadam City Blues où de fabuleux incendies avaient redonné à nos territoires d’errance et d’infortune le chatoiement singulier de la savane rouge sang sous son pelage d’herbes craquantes avec tout au bout… au loin là-bas… la tribu des éléphants blancs solitaires et prêts pour des noces de neige et de feu.
      Y’avait plusieurs mois que les choses mauvaises avaient commencé mais ce qui s’est passé ensuite personne ne l’avait écrit sur nos murs de papier…
      Non… c’qui s’est passé ensuite dans l’histoire de Marion sa frimousse au rire de lin bleu ses baskets rouges et le chien Sentinelle qui n’la quittait pas comme s’il avait pressenti avant les rats au museau rose fendu assis sur leur queue… oh ! mais juste un peu avant qu’il allait neiger trop fort sur nos murs de papier… personne aurait pu l’imaginer…

      Gare du Nord vous connaissez ?

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