Les Cahiers des Diables bleus
Comme nous vous l’avions annoncé en démarrant ce blog il y a bientôt trois mois, nos Cahiers des Diables bleus qui venaient à l’époque de prendre leur envol pour cette aventure d’écritures et d’images partagées depuis les banlieues que nous aimons vers chacune et chacun de celles et de ceux qui ont envie de découvrir des formes d’expression souvent ignorées ou traitées avec un certain mépris, publient en ce mois de février 2006 leur premier Cahier collectif qui à pour thème les sans-papiers.
Après de nombreuses après-midi, soirées et journées de week-end passées avec acharnement et passion, et aussi avec une grande jubilation à mettre ensemble les textes que nous ont envoyés amies et amis devenus collaboratrices et collaborateurs, images et photos, les nôtres et les vôtres, et à inventer jour après jour ce qui allait être l’univers visuel et poétique de nos Cahiers, nous avons eu le plaisir début janvier de voir sortir de l’imprimante le premier exemplaire de cette réalisation hors normes et qui va maintenant être regardée par d’autres que nous.
Les premières réactions de personnes amies ou également moins proches mais vivant leur quotidien dans la banlieue qui nous a si fortement et généreusement inspirés ayant été enthousiastes vis-à-vis de l’aspect visuel et graphique (chouette alors, on y a drôlement bossé !), on attend avec impatience d’autres commentaires, après lecture et découverte de cet espace où l’imaginaire, la poésie et les témoignages de vie au quotidien s’emmêlent pour vous enchanter.
Et comme les responsables du Salon du Maghreb du Livres, ou plutôt de l’Association « Coup de Soleil » qui décide de qui aura droit à quelques mètres dans les extras salons de l’Hôtel de Ville de Paris pour présenter sa revue au public très nombreux en cette fin de février, ne semblent pas vouloir nous louer une p’tite place, bien que nous ayons honoré la cotisation depuis deux ans, je vous redonne l’adresse à laquelle vous pourrez vous procurer ces Cahiers des sans-papiers rebelles et créateurs, ainsi que nos adresses mail pour nous envoyer textes et images en vue de la publication du prochain Cahier collectif.
Celui-ci aura un thème qui ne vous étonnera pas : « Banlieue », et sa parution est prévue pour septembre ou octobre 2006 avec toujours environ 100 pages A4 recto verso et toujours un visuel fou fou fou…
Vous pouvez donc commander le Cahier des sans-papiers pour la modique somme de 12€ port compris, en envoyant un chèque accompagné de vos nom et adresse postale à l’adresse suivante, ou bien en contre-remboursement :
Dominique Le Boucher
41, Cours de Vincennes
75020 Paris
Nos adresses mail : le-boucher.d@wanadoo.fr
ILOUFOU@aol.com
Et voici pour vous mettre l’eau à la bouche un rapide descriptif du Cahier des sans-papiers, ainsi que quelques extrais que nous ne connaissez pas encore.
Les Cahiers des sans-papiers publiés par les Diables bleus et fabriqués à Epinay-sur-Seine sont un recueil de textes collectifs illustrés de photos et d’images composées à partir d’un graphisme largement inspiré de la création actuelle des banlieues.
Le thème des sans-papiers a été choisi en raison de la situation de plus en plus grave faite aux immigrés sans papiers dans les banlieues ainsi que des récentes morts des personnes dans les hôtels parisiens détruits par le feu dans le courant de l’automne 2005. Certains textes écrits au fil des événements relatent également notre témoignage concernant la colère des jeunes des banlieues en Novembre 2005.
Ce Cahier est divisé en cinq rubriques :
Fictions : nouvelles et récits créatifs courts
Petites chroniques : témoignages vécus
Revue de presse : articles et coupures de presse
Journal d’une fille de banlieue : Récit au jour le jour à travers la banlieue
Histoires à suivre : contes et textes créatifs en épisodes
Les personnes ayant participé à ce premier Cahier collectif sont :
Laurent Bieber artiste de théâtre amateur, Eliette Anne Donnat, Aïcha Kerfah, Dominique Godfard écrivaine, Patrick Larriveau écrivain de nouvelles, Jacques Du Mont photographe, Louis Fleury pour le graphisme et la création d’images et Dominique le Boucher pour la mise en page et la création de textes.
Ce premier Cahier collectif des Diables bleus a été conçu et réalisé dans l’univers de la banlieue parisienne afin de servir de témoignage et de donner un exemple de ce que peut être la culture métisse des différentes banlieues dans lesquelles vivent, créent et travaillent ensemble les populations d’origines diverses réunies là depuis cinquante ans. Notre but et notre désir sont de réunir les expériences et récits multiples des gens et de les communiquer à celles et à ceux qui y sont sensibles afin qu’une connaissance de cet univers souvent clos et un échange réciproque de mots, d’images et de sens s’établisse.
Dominique Godfard
La carte de séjour
Extrait
Le visage du vieux routier fait penser à un masque tragique quand il évoque cette année là. Mais il le chasse d’un clin d’œil et retrouve sa bonne humeur pour parler du cas de Diabé, un ami qu’il avait soutenu dans ses démarches.
« Quelle saloperie, cette carte de séjour… Vingt ans qu’il y pense jour et nuit. Elle a volé mon époux, elle a volé le père de mes enfants. Quelle saloperie ! » affirme Diaminatou.
Le rire cristallin de Natou l’interrompt :
« Tu exagères, maman ! Papa, y connaît tous les papiers ! Et il a bien fait parce que, comme ça, à la Préfecture, on peut rien contre lui !
-Tu crois, ma fille ? » répond-elle dans un soupir.
Sa voix est douce, mais tellement lasse.
Avril 1994
Le sourire blanc des crocodiles
Patrick Larriveau
Extrait
Au petit matin…
Nous avons atterri.
Le silence a hurlé entre nous, s’engouffrant dans nos corps épuisés par une nuit d’errance. Du coton des étoiles que personne ne ramasse, il avait tiré du lait glacé qui, maintenant que l’avion finissait sa course, coulait dans nos veines sombres comme sur nos tombes.
J’ai à peine regardé Ibrahima, à côté de moi. Derrière le hublot, une lumière d’ivoire ciselait la terre. Rien ne bougeait. Pas plus de vent dans les hautes herbes, autour de la piste, que de nuages dans le ciel safran.
J’ai cessé de pleurer. Derrière mes yeux, j’apercevais mon double, Edidi, debout sur la pirogue, au milieu du marigot, semblable au gardien du troupeau, ses deux bras maigres et longs agrippés au bâton de marche. Son vêtement était poussiéreux. Son visage émacié portait les ravines de la fatigue. Parce qu’il avait mis toute ma vie pour me trouver.
L’hôtesse de l’air – sans rire – a dit de ne pas bouger. Les autorités locales prenaient les choses en main. On allait nous servir du café. Quelques-uns de nos “ accompagnateurs ”, ainsi se disent-ils, sont descendus. Par la porte ouverte de la carlingue, le soleil est entré avec son masque Bobo et son ventre de chacal. Il est venu manger notre liberté, jeter les restes dans la fournaise de la brousse. J’ai fermé les yeux. Un instant. J’ai su alors que j’étais sauvé puisque au milieu des eaux boueuses mon double n’a pas bougé. Ensemble, nous avons regardé les flammes mordre la rive, essayer en vain de nous atteindre.
- Tu as de la chance, m’a-t-il dit, il te reste encore un rêve.
J’ai longtemps frotté mes poignets endoloris par le métal.
Ibrahima a murmuré :
- On ne nous pardonnera jamais. Même comme esclaves, les blancs ne nous veulent pas.
A ses mots du vieux sénoufo, bien malgré moi, j’ai refait le chemin d’une misère à l’autre.
Il existe/ Il existera encore/ Sur la Terre/
Des/ Connaisseurs/ Qui luttent/ En silence
Qui pleurent/ En silence/
Pour interdire/ Aux autres/
De verser/ Des larmes.
Pacéré Titinga