Un nouvel article sur le plus récent livre de Leïla Sebbar que vous aurez le bonheur de lire avant qu'il ne soit publié dans la revue dont je vous ai déjà parlé, qui fête ses dix ans d'existence cette année et que vous retrouverez au Salon des Revues à côté des Cahiers des Diables bleus en octobre 2006.
Il s'agit d'Algérie Littérature Action, revue animée par Marie Virolle et dans laquelle vous pouvez découvrir un grand nombre de textes et d'images de créateurs d'Algérie ou qui ont un lien avec l'histoire de ce pays.
L’habit vert
Ed. Thierry Magnier, 2006
Nouvelles
Leïla Sebbar
« L’heure du conte »
« Elle cherche le titre du petit livre avec un homme en bleu. Elle se rappelle. A la bibliothèque de quartier, le coin des enfants, sa mère la déposait, à l’heure du conte, parfois elle restait si le dernier petit dormait dans son dos, une jeune cousine timide assise contre elle. Sa mère ne comprenait pas tout mais ça lui plaisait. Un moment de repos, apaisée par les mots étrangers, la voix souple de la lectrice, elle se serait endormie dans le bercement de la langue. » L’Habit vert
L’heure du conte… L’instant de la langue où les mots n’ont pas d’importance pour leur sens mais pour leurs sons comme celui du tam-tam d’Afrique battu par les mains des hommes et de la mélopée chantée par les voix des femmes…
L’heure du conte… Un espace à l’intérieur de la cour dessiné par un morceau de laine de deux ou trois couleurs… de l’orange du rouge sang et de l’écru dans le lieu où les maisons d’argile blanche renvoient les mots vers la bouche des femmes.
L’heure du conte… Un morceau de terre blanche effritée entre les doigts qu’on agite au creux de la paume et qui redevient le signe de poussière que tout peut être dit car tout s’envole…
Oui… l’heure du conte qui est la précieuse… le joyau éclaté au fond de nos oreilles et son diamant à histoires. Celle qu’on a drôlement perdue ici dans nos cités pas encore tout à fait ghettos c’est vrai… pas encore… parce que justement ils le recréent probable ce moment-là sans s’en rendre compte les jeunes garçons qui se retrouvent à l’intérieur du cercle un peu plus loin que le bas des escaliers en face de la laverie où viennent les femmes blacks et maintenant les hommes aussi avec les petits mômes à la main qui ne veulent pas…
Oui… ils le reforment le cercle à palabre les garçons d’Afrique là où il y a le banc béton autour de la cabine téléphonique et ils attendent avec les insultes pour rire qu’ils aiment bien et des discussions qu’on n’entend pas vu qu’on est bien loin d’eux. Alors si comme le dit Leïla Sebbar qui parle des filles dans ses nouvelles L’habit vert : « … écoute, écoute, tu vas comprendre… » quelqu’un arrivait là au pied des blocks et entrait au milieu du cercle des garçons pour raconter… Quelqu’un qui ose quelqu’un qui n’aie pas peur d’apporter les images et les mots perdus… les images qui habitent de l’autre côté du morceau de laine aux trois couleurs… de l’orange du rouge sang et de l’écru… les images qui dansent autour des termitières d’Afrique écarlates et les mots des histoires de l’ancien griot du Mali devenu maître des couleurs avec la caméra sur l’épaule Ousmane Sembene. Est-ce qu’ils connaissent les garçons au pied des blocks ?
Alors on verrait tous ces costumes de bouffons avec les marques dessus Nique… Adidas… Lacoste… Footloocker… vu que si tu ne les as pas on ne te respecte pas dans la cité… « Ecoute Yema, écoute… Les enfants de la cité regardaient sa mère, ses habits africains, le boubou, le foulard de tête drapé sur le front avec ces ailes au sommet… » tous ces costumes reprendre leur allure d’avant celle des tissus formidables légers comme des oiseaux et des teintures que faisaient les femmes dans les bassines de plastique multicolores avec les couleurs des terres broyées au creux des paumes et le sel pour faire tenir. Parfois on mettait le sang d’un coq égorgé au pied de l’arbre qui a ses racines profond dans le fleuve qui est rien que la boue sèche craquelée l’été et quand l’eau revient enfin on fait des fêtes et les vêtements encore raides de couleurs on les trempe sur sa peau et quand on ressort c’est le soleil qui donne la force vitale et les chants.
Le livre de Leïla parle de l’enfance d’Afrique et d’ici… elle conte comme dans chacun de ses livres les enfances algériennes pauvres celles du Maroc aussi… des enfants qu’on place chez les colons aisés « … nourris, logés, habillés, des enfants de pauvres… » ou les familles arabes qui ont les moyens d’entretenir des gens à la maison pour certains services… « … on entendait parler de petites filles séquestrées, battues, violées par le patron… des petites filles du bled chez des familles de notables… » Enfances mêlées à d’autres enfances dans les cités d’un des pays les plus riches du monde où on pourrait croire que l’enfance est légère comme une aile d’oiseau sur les murs béton…
Des oiseaux pareils à ceux de Nemo au début qu’il taggait il y a … dix ans peut être… pas encore connu reconnu adapté aux marchands d’oiseaux… des oiseaux des poissons des papillons qui volaient à l’envers des murs tout en haut la tête en bas et le filet à papillons pour cueillir les poissons volants… Des noirs des rouges encore des noirs c’était beau sur les palissades… Ça faisait du rêve pour les jeunes garçons et filles qui ramassent les papiers dans le caniveau avec l’habit vert de la ville et le balai aux branches plastique vertes comme celles des arbres «… Je ne savais pas que je deviendrais balayeuse de la Ville de Paris… » Leïla raconte les enfances de l’Algérie coloniale et de la France de l’immigration celle des années 60 et celle d’aujourd’hui et peut-être que les garçons et les filles des cités liront son livre et que ça leur donnera envie à eux aussi d’écrire des mots de leur enfance de banlieue sur des bouts de papier… Des mots comme ceux qu’on entend souvent quand on passe à côté d’eux les garçons noirs et les garçons blancs c’est pareil : « moi j’aime bien les gens ici mais eux ils nous aiment pas ! »
« Et les nounous des petits Blancs, elle les voit passer et repasser comme si elles se promenaient dans un parc. Elles se rencontrent, bavardent, les enfants les écoutent, un jour ils iront en Afrique, la langue dans la tête et les tout-petits ne se consoleront pas d’avoir grandi, drapés dans le dos, chaloupés doucement, la sueur sucrée du boubou, les gestes souples du travail de la maison, la voix qui chantonne, l’enfant s’endort, il préfère les reins vivants au matelas du lit d’enfant, il attend chaque jour les mains brusques et cassantes qui massent le petit corps pour l’affermir, il sera invulnérable… » Sous le viaduc
Les garçons ce sont les fils des anciens guerriers d’Afrique… on le voit ils sont fiers « … les fils, le père gagne l’argent pour eux… ils disent que l’argent du père c’est rien… ». Les garçons ce sont eux qu’on rencontre au pied des blocks dans les rues bitumes et béton qui ne sont même plus de l’outremer lavé et pourtant il en reste quelque chose de ce bleu… ici sur les parkings où les autos vues d’en haut de notre fenêtre on dirait des jouets avec des couleurs vives parce qu’ils aiment ça… Des voitures pareilles à celles que les Africains fabriquent dans les boîtes de Coca et de sodas les boîtes multicolores et aussi les bombes insecticides ils les ramassent et on les retrouve sur les marchés de Noël ou aux puces de Saint Ouen petites carcasses sculptées par leurs doigts agiles œuvres d’art de la rue qu’on garde précieux comme les joyaux des contes et qu’on range dans la bibliothèque juste deux ou trois planches au milieu des bouquins de Céline qui en avait parlé sacrément lui de l’Afrique pour commencer.
Les garçons… ce sont eux qu’on voit ici comme partout ce sont eux d’abord « … Ils se débrouillent, ils disent qu’ils font la mode de la rue, ils copient les frères américains, la mode c’est eux, les magazines le disent, ils se voient partout, on les imite, ils sont les plus forts … » mais ici c’est l’histoire des filles qu’on raconte… une histoire qui existe encore moins que celle des garçons des cités… L’histoire des filles de l’immigration pareille à celle de l’époque des colonies et dans les pays d’Afrique aujourd’hui souvent… leur histoire au fil des pages du livre de Leïla ce sont elles qui la racontent avec leurs mots comme elles l’ont vécue et déjà elle leur appartient.
« Chez moi, c’est pas chez moi, là où je vis, un foyer, je regarde la télé. Dans la chambre on est deux, on travaille dans la voirie à Paris. Moi dans le XIIIe, elle dans le XVe…
Elle dit qu’elle aime ça être dehors avec l’équipe et balayer les rues, ramasser ce qu’on jette, papiers vieux paquets de cigarettes, boîtes à tabac à priser écrasées, boîtes de Coca ou de bière cabossées, prospectus, plastiques ou journaux gratuits périmés, ça l’ennuie pas… » L’Habit vert
A suivre...