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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 22:49

Floupbanlieue-2.jpg


       Ouaouf ! la ville n’a jamais été bonne pour nous la ville n’est bonne pour personne

la ville d’Auber où je suis née comme n’importe quelle cité des faubourgs nous rend la vie impossible et pourtant par les choix que j’ai faits y a longtemps je reviens m’y cacher et survivre

la citadelle n’importe où qu’on se cogne à ses remparts maudits c’est la même en Afrique Bamako Ziguinchor Dakar Ouagadougou Alger Tanger ailleurs en Orient Beyrouth Damas Bagdad Téhéran Istanbul c’est partout pareil il y a des gens plein ses rues qui errent et qui sont comme des tourbillons de malheur féroces et graves joyeux et maladroits impuissants et guerriers voyeurs et mystérieux rusés et innocents fragiles et conquérants généreux et solitaires fulgurants et résignés mélancoliques et fiers

ouaouf ! il y a des gens qui errent et ça fait mal de les regarder et de les voir s’empêtrer dans leurs nippes de peur mézigue qui les connais bien à force de ne pas faire autre chose que mettre mes mots dans leurs pas je sais qu’il n’y a rien à faire que d’ouvrir les mirettes et de s’asseoir sur la borne frontière qui délimite nulle part à la croisée de toutes les eaux sauvages

la ville la Babylone et son absence de nécropole indigo c’est elle qui suce l’âme des gens ailleurs dans la solitude des plateaux avec les chiens et les troupeaux jamais ils ne feraient ce qu’ils font sur sa terre vitrifiée béton jamais Ouaouf !

hier métro ligne 4 station les halles je viens de descendre il est 4 heures du soir et malgré mon habitude ça me prend au pif l’odeur moitié pisse tabac froid chaussettes sales sandwichs turcs cannettes de bière grésil javel parfums pas cher sueur moitié moisi mousse brunâtre le long des carreaux poussière d’acier frotté des rails plastique chauffé cramé direction clignancourt c’est à gare du nord que je vais le totem de la périphérie N‑E

Ouaouf ! Ouaouf ! sur les céramiques orange qui font des bancs froids je m’assois jamais sur les sièges en plastique on dirait des cuvettes wc cette fois je mets quelques mètres pas beaucoup entre un clochard avec tout son fourniment couché emballé dans un rouleau de couvertures grises comme celles du pensionnat on les reconnaît partout ce sont les mêmes celles qu’on file aux chiens de la spa ils en ont des quantités les surplus de l’armée des prisons des tranchées de tout Ouaouf ! trois sacs plastique verts remplis de fringues et des bouts de son repas rangés dans un carton à ses pieds je mets un peu de la distance pourquoi ? par un mauvais réflexe dû à ma distraction habituelle de pas m’approcher des gens dans ces lieux‑là ou à cause de l’odeur

l’odeur quelle odeur je sais bien moi que quand je suis passée à côté de lui y en avait pas d’odeur non à ce moment‑là y en avait pas d’odeur pas d’autre que celle ordinaire du monde là en‑dessous les gens pressés les ouvriers du labeur les trimardeurs voilà Ouaouf !

y a un gars qui arrive avec un gilet orange fluo à bandes argentées sur le dos et l’inscription dessus d’une boîte de nettoyage il a dans les mains des sacs poubelles un seau rempli d’un produit pour laver les sols ça déborde éclabousse mousse on en voit tant on fait pas attention il n’a pas de balais il est grand et très maigre avec une petite moustache qui lui donne un air comme Charlot de la colère et de l’indifférence en même temps il a de grandes grosses godasses qu’il traîne sur le macadam gras gris poisseux laiteux anthracite sale où on pose tous nos pompes

je me dis qu’il vient laver les bancs céramique à cette heure où se pointe la pointe des gens les usagers une marée c’est bizarre normalement c’est la nuit qu’ils font ça mais il s’apsdf6_3.jpgproche du clochard qui dort profond tourne dans un sens dans l’autre ronchonne des trcs que je capte pas tourne et retourne et hop ! il balance le liquide de son seau en plastique bleu autour du mec couché floup ! une giclée à la tête qu’on imagine et qu’on voit pas sous les couvrantes floup ! une giclée sur la boîte avec les restes du repas floup ! une giclée aux pieds qui ont l’air d’une queue d’otarie planquée d’ailleurs c’est peut‑être une queue d’otarie il hausse les épaules et il s’arrête une fois son seau vide Ouaouf !

mézigue je ne crois pas que c’est ça qu’il est venu faire et je me lève pour venir plus près voir et je choppe ses yeux qui n’ont pas de regard absents partis immobiles des billes de plomb d’agate de verre je vais lui demander pourquoi mais l’odeur du produit du grésil du désinfectant du chlore et un parfum à vomir qu’on met dans les lessives bon marché m’empêche me repousse me jette y a une barrière infranchissable une muraille une citadelle

je m’arrête autour de moi il y a des gens qui prennent le métro le soir pour rejoindre la gare du nord et rentrer chez eux mais il n’y a personne ils ne sont pas là et d’ailleurs la rame arrive je fixe les yeux disparus de l’employé du nettoyage il me regarde pas me calcule pas jette encore un geste vers la masse couchée qui n’a pas bougé rehausse les épaules et s’en va Ouaouf ! Ouaouf !

mézigue je n’ai rien dit l’odeur écoeurante maintenant je la sens bien je recule et je monte dans la rame qui est pleine en marche arrière dans mon dos mon sac pousse les gens qui font une place comme toujours ça sonne grésille à l’intérieur de mes esgourdes j’avale la salive qui remplit ma bouche de fureur elle est amère

le métro gronde déjà sous le tunnel et la forme de l’homme couché la proie prise dans les filets de la misère et du sommeil qui réchappe et celle de l’homme debout l’autre proie prise dans les filets du travail de l’ignorance de la peur me font grincer des dents

les mots de la chanson de Lavilliers poème de Nazim Hikmet qui me remonte parce que des mots mézigue j’en ai pas face à ces deux créatures humaines à qui on a volé toute leur humanité Ouaouf !

tu es terrible mon frère tu es terrible et tu n’es pas un tu n’es pas cinq tu es des milliers

oui il est terrible le floup ! le petit bruit du produit nettoyant qui cerne le corps endormi d’un être otarie sur la céramique sans défenses comme il est terrible le petit bruit de l’œuf durcomputer.jpg qu’on casse sur un comptoir d’étain dans la tête de l’homme qui a faim de Prévert il est terrible ce petit bruit qui résonne et qui résonnera toujours dans mes oreilles floup !

il est terrible cet homme exploité esclavagisé imbécillisé par une boîte d’intérim quelconque qui jette autour du corps d’un homme comme lui une frontière d’odeur qui les sépare chacun d’un côté semblable aliéné semblablement seul terrible ce geste qui n’a pas de sens pas de raison pas d’âme terrible parce qu’à l’intérieur de la frontière de la misère qu’il a tracée il y est il y est aussi même si on lui fait croire que non il y est Ouaouf !

si j’avais pu l’approcher si je n’avais pas eu peur de pénétrer sur la scène de son drame à lui ce que je lui aurais dit c’est : mais pourquoi tu fais ça ?

la ville n’est pas bonne pour nous la ville n’est bonne pour personne et le bruit de tous les floup ! qui nous encerclent nous a déjà rendus fous comme les nains maladroits et boiteux jouant ravis à la cour des rois le rôle de celui qui accepte de singer la mort et qui en meurt Ouaouf ! Ouaouf ! 

 

 

  Les fils du destin

Samedi, 1er mars 2014

 A Louis


au fond des couloirs du métro

ni tout en bas ni tout en haut

après des escaliers qui tournent

et des marchands de fruits sauvages

comme on en voit quoi dans les quartiers chauds

de La Havane on ouvre les fenêtres

jaunes vives dans le ciel on enfourne

de gros pains à tous les étages

des maisons où ont habité peut-êtreBanlieue.jpg

des chiens empaillés par de vieilles femmes

grasses dont les robes lourdes à traînes

ramassent les feuillets où n’est

rien décidé encore mais les âmes

des gamins des cités se traînent

à ma suite et les couloirs du métro

sont des scènes de théâtre où il naît

un spectacle au bout de chaque virage

que les pas des passants épiques

mangent car nous avons très faim

de rêves que les envouteurs nous piquent

une Cadillac leur file le train

alors l’odeur du pain cuit à point frappe

aux carreaux de la fenêtre volage

cette fois‑ci c’est une marionnette

petit clown drôle dont les doigts magiques

prennent ta main au moment où on tape

les trois coups et ses yeux doux guettent

les tiens au fond des couloirs du métro

 

ni tout en bas ni tout en haut

c’est moi qui tiens les fils de son destin

chaud comme les quartiers de La Havane

où dorment les chiens des ConquistadoresRatkail.jpg

empaillés pendant que se pavanent

leurs femmes en robes à traînes d’or

et que dans les cours du quartier latin

on entend jouer des infantes

avec des nains dont les trop grands yeux luisent

tous ces feuillets où je n’écrirai rien

s’envolent alors que sur le rebord

des fenêtres jaunes des gros pains cuisent

et les couteaux des avaleurs nous mentent

hier ils ont fait péter les carreaux

tu viens tu poses au creux de la main

du petit clown confiant une canne

à sucre si douce à sucer

qu’il se laisse dénouer un à un

les fils qui depuis la cité

entraînent tous les gamins à sa suite

au fond des couloirs du métro

où mes vieilles angoisses prennent fuite

telles les traînes de mes lourds costumes

usés que tu jettes par la fenêtre

au creux de tes mains infantes de plume

mon petit clown ma marionnette

depuis longtemps évadée de mon corps

jaune vive comme de gros pains chauds

ni tout en bas ni tout en haut s’endort

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23 février 2014 7 23 /02 /février /2014 17:00

Poème de Louis

 

La gruebellevue

 Mardi, 18 février 2014


Regarde la grue qui trône là-haut
Elle est pas faite pour nous construire un chapiteau
C'est un autre cirque c'est un autre lot
Faut pas confondre logements sociaux et Medrano
C'est pour des clowns, mais en moins beau
C'est fais de sciure, mais sans chevaux
Regarde la grue qui trône là-haut
Elle nous fabrique des pauv châteaux
Pour RMiste pour les augustes les sans gâteaux
Faut pas qui s'plaignent y s'ront au chaud
Arrête-t-on cirque et crève là-haut ...
Dis le clown blanc aux cas sociaux
Pistes aux étoiles sans magicien et sans chapeau
Regarde la grue qui trône là-haut.....

 

 

Poème de mézigue

 

Tambours sans peauA-dog-barks-at-a-formatio-007-1.jpg

Epinay, dimanche, 23 février 2014

 

que savent‑ils de toi hé ! môme des cités

des coup coups aiguisés parmi lesquels tu vis  

des grands vents d’où tu es venu silex et pluie

hé là ! bientôt plus rien ne pourra t’arrêter

que savent‑ils de toi moitié chair moitié chien

marchands de machettes coup’ coup’ coup’ leur les mains

que savent‑ils de toi hé ! môme des cités

contre les hommes à muselières tu bombes

ton nom sur tous les murs de la tess’ des cadors

bananes ananas cartonnent ils sont rois

les masques des frangins glacés comme des tombes

finissent placardés avec les vieux décors

termitière de sang héritage incertain

hé ! môme des cités où bat ton cœur Afrique

quand la tribu des chiens qui a beaucoup grandi

atmosphère ton cri d’adorables étés

que savent‑ils de toi eux et toute leur clique

des pays de cannes d’où les tiens sont partis

et leur suaire blanc qui t’a toujours hanté

hé ! coup’ coup’ leur les mains fais comme s’ils étaient

des milliers se pressant sur tes tambours sans peau

pour écrire le chant des Negros à leur place

les esclaves marchant las tout le long des quais

et les milliers de chiens bondissant d’un chapeau

que savent‑ils de toi ton regard qui les glace

hé ! môme des cités si t’étais magicien

coup’ coup’ coup’ leur les mains coup’ coup’ coup’ leur les mains

leurs mains dedans au creux y’a des guns qu’ont fleuri

que savent‑ils de toi quand ils ciblent ton crâne

coquelicots urbains sur le front des cousins

tu rapièces les jours où vous chassiez la nuit

aux flambeaux de la tess’ les taggeurs de bananes

que savent‑ils de toi hé ! môme des cités

les vendeurs de poussier les fracasseurs de vie

A‑fric tu devines que c’est leur territoire

que savent‑ils de toi et ce qu’ils ont trahi

black hibou tu reviens veinard de quelle histoire

le cœur de tes tambours sans peau tout matraqué

en troupeau les chiens jouent refourguant leur aubade

polènent la zone de leurs feux de bengale

bananes ananas le sang commun s’affaire

tu ressembles à ceux qui le réveil en rade

se lèvent à minuit pour boire les étoiles

sur les murs de carton griot tu les fais taire

que savent‑ils de toi hé ! môme des quartiers

des brûlots des brouillards dedans lesquels tu bats

le rappel inutile à l’heure des gamelles

et les quinquets violets dans les files d’attente

brûl’ brûl’ brûl’ leur le cœur vas‑y pas de pitié !

invalide leur cœur la cavale lui va

tambour d’acier les cuirassiers l’ont mis en vente

ses fringues ont vieilli pardi bouts de ficelles

la tribu des clébards s’en va tirer dessus

pour habiller encore ton corps fiancé

de couleurs écorchées drapeau vivant tissu

tatoué de sueur noire tambour sans peau

que savent‑ils de toi hé ! môme des cités

ne te calculent pas tu es leur bon prétexte

brûl’ brûl’ brûl’ leur le cœur Afrique c’était eux

ils traquent tout de toi et des peuples venus

grands vents silex et pluie les combats de beauté

récoltent vos saisons fertiles oripeaux

enfant guetteur défie de tes iris nuit bleue

leurs bulles de métal tirées de tout contexte

leurs laisses dégainées leurs cages barreaux nus

ôte‑leur la lune et la rue de ton index

hé ! môme des quartiers sur leur torse tu bombes

une cible où Afrik s’orange sans la peaulaciterose.still2.jpeg

on la pèle et puis on becte le fruit en trombe

et tu ouvres au feu la paume des griots

qui recueillent son jus ton élixir jaloux

remplissant les cocktails hé ! môme des banlieues

du sang audacieux des esclaves debout

les chants les cris les joies de la cité carton

bananes ananas nains dénudant les cieux

brûl’ le cœur d’Afrique brûl’ frissonnant flambeau

laisse‑les à leur morgue aucun sang sur tes doigts

que la tribu des chiens leur jette le bâton

on ne saura rien d’eux tant mieux tambour sans peau

hé ! môme des cités que savent‑ils de toi

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16 février 2014 7 16 /02 /février /2014 18:21

Né quelque part suiteTrou au chat 2

 

 Ce qui sépare les gens comme moi qui se sont emparés de l’écriture pour se réparer de la folie quotidienne et pour témoigner d’une culture populaire notre et jamais intégrée ni reconnue par l’univers poulpe multiforme et univoque de la culture dominante du monde de l’écriture c’est que j’écris dans l’inconnu sauvage des origines à partir des quartiers anciennement ouvriers ou dits prolétaires des faubourgs puis de la banlieue et de la périphérie de plus en plus étendue de la citadelle parisienne.

Ce pays natal de la langue ou plutôt des langues entendues et goûtées par le sel de la petite misère ordinaire sur les lèvres demeure résolument et en dépit des mes transhumances nombreuses sur les routes d’un territoire qui m’est devenu familier aussi par ses parlers régionaux ses histoires locales et ses coutumes celui des hommes et des femmes de la banlieue rouge indigènes et immigrés à jamais mêlés au cœur d’une grande geste solidaire.

Ce qui implique des récits bruts une langue brutale des épopées frappées aux cailloux frondeurs d’un réel bâtard désordonné incendié par les démesures de la rue sans son maquillage journalistique et que toute ma vison poétique du monde passe et repassera par ce portulan‑là. D’où ma méfiance et ma différence assumée vis‑à‑vis de ce qui se crée s’écrit se montre et se met en scène à partir d’un lieu abstrait ou d’abstraction permettant à des illusionnistes vivant un peu au‑dessus du désastre ordinaire des peuples de se situer hors champs c’est‑à‑dire de laisser prétendre qu’ils n’appartiennent qu’au Dieu littéraire à sa parole à ses dogmes et à ses mythes. L’indigence de notre condition humaine peut‑être enchantée par l’acte de créer elle n’en reste pas moins d’une violence sociale que rien ne nous permet poétiquement d’effacer ou de travestir.

Trou au chat détail
      En regardant ces femmes et ces hommes habitant des cabanes d’Auber dans les années de ma naissance je songe dans le même état partagée entre un sentiment de colère et d’étrange proximité aux immigrés maghrébins et africains de mon enfance et aux paroles d’un poète fils de l’exode interminable qui me reviennent lorsque j’évoque ceux qu’on a contraints à vivre une tragédie qui n’était pas la leur à prendre part à une guerre boucherie immonde et grotesque qu’ils ont faite comme ils ont tout accompli fidèles à un devoir dont ils n’ont obtenu ni gratitude ni respect et à qui personne n’a offert une demeure de papier.

“ ‑ Exil, l’univers extérieur,

Exil, l’univers intérieur. ”

Ainsi nomme le poète palestinien Mahmoud Darwich dans le poème “ ( Exil 4 ) CONTREPOINT pour Edward Saïd écrit en 2007 publié dans le recueil Comme des fleurs d’amandier ou plus loin la condamnation à vivre en dehors de toute présence à soi et de toute présence au monde que subit le peuple palestinien depuis la spoliation de sa terre en 1948 depuis la séparation d’avec son histoire symbolique et réelle d’avec le corps des siens éparpillés écartelés et d’avec le sien qui n’a ni mahmud_darwich.jpgrécit ni trace commune partagée excepté le poème. Et qui mieux que Mahmoud Darwich peut réincarner par les mots le pays natal la Palestine qui n’existe pas l’innommée l’innommable cette terre devenue possible pour ceux qui emportent avec eux le recueil La terre nous est étroite où figure le poème fondateur Ila Umi A ma Mère

( … ) “ Si je reviens

mets-moi ainsi qu'une brassée de bois dans ton four

fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison

car je ne peux plus me lever

quand tu ne fais pas ta prière du jour

j'ai vieilli

rends-moi la constellation de l'enfance

que je puisse emprunter avec les petits oiseaux

la voie du retour

au nid de ton attente ”

 

Le retour bien sûr tous les hommes et les femmes qui ont pris un jour le chemin de l’ailleurs n’ont pas cessé d’y songer mais pour qu’il y ait un retour possible envisageable il faut qu’il y ait un point de départ qui donne son sens à la notion intemporelle d’aller‑retour et pour moi comme pour ceux et celles fils et filles d’immigrés de la deuxième et troisième génération il n’y a pas eu de pays natal puisque pas de territoire ni ce que j’appelle de terre‑histoire.

C’est ce qu’il y a de définitif dans la notion d’exil ou exit c’est qu’on est toujours dehors et qu’il n’y a de demeure que provisoire ou du moins on la vit comme telle. Ceux et celles qui sont nés dans une cité de banlieue n’ont pas eu à en partir puisqu’ils étaient déjà partis par le corps des pères par le voyage accompli des pères hors d’eux‑mêmes. Les pères ne sont jamais arrivés en un lieu où il y ait un pays symbolique à investir. Ils ne sont jamais arrivés du tout. Il convient encore d’écouter les monologues des hommes qui ont débarqué à Marseille du bateau en provenance d’Alger il y a 50 ans dans le film Mémoires d’immigrés ” pour savoir qu’ils n’ont jamais trouvé le sens du “ pour soi ” après avoir perdu le fil de l’histoire des leurs.Repas-ouvrier.jpg-2.jpg

La notion ou l’intuition du pays natal et le fait d’appartenir à un peuple à une tribu ou a une classe sociale se transmet par le récit oral du mythe, par le choix de certains contes et de certaines histoires et par le récit de l’histoire réelle des anciens. Une fracture à l’intérieur de soi se crée parce qu’il n’y a pas de récit du tout, ou au moment de la rupture du récit, de la séparation avec la transmission d’une histoire familiale, de la mémoire de la tribu, du clan, du village.

Naître à Auber ou dans une de ces villes mégalopoles tentaculaires et leurs périphéries informes ne signifie pas pour moi être née quelque part. Cette naissance‑là ne m’a pas permis d’avoir ma place au cœur du récit natal ni d’appartenir à une généalogie et encore moins à une “ patrie ” qu’il s’agisse du pays du père d’origine bretonne ou de la mère d’origine picarde.

 C’est pourquoi le pays natal n’a rien à voir avec l’endroit où on naît mais avec la ou les langues qu’on entend dans l’enfance. La langue des contes, des histoires et des chansons, la langue du récit parlée par les personnes les plus proches. Le patois richou de mon arrière grand‑mère maternelle et mais aussi la langue des femmes kabyles qui nous entouraient avec laquelle la communication passait spontanément hors du sens. L’hospitalité à l’intérieur de la maison des autres où il est licite de s’approprier des fragments de cette langue offerte qui est celle de l’oralité suggère déjà que la langue est le pays natal celui qu’on n’aura jamais à quitter puisqu’il incarne la demeure intérieure. C’est l’en‑soi conçu par l’enfance inconsciente dans la rencontre naturelle des autres devenant l’exote de V. Segalen où on peut écrire créer imaginer le territoire imaginaire celui qui n’existe pas dehors.

Le pays de naissance de l’écrivain son pays d’écriture naît là où la parole se fait terre d’accueil dans la maison “ du corps élargi ”. C’est pourquoi enfin je peux dire aujourd’hui après un de mes innombrables retours sur le lieu qui demeure le chantier de la Babel heureuse de mon enfance que je suis une Africaine d’Aubervilliers une nomade arpentant le bitume des faubourgs rouges en quête de nos mémoires ouvrières de l’exil une hobo des trains de banlieue emportant et rapportant matin et soir leur moisson de travailleurs immigrés et de jeunes de la troisième génération dont la langue est désormais aussi la mienne avec laquelle j’écris sur mes Carnets de Route l’histoire du pays où ils sont nés qui n’a pas de nom. Je l’appelle Babylone Zero.

Vasco da Gama 2 

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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 21:13

Poème et aquarelle de Louis


la-créatrice-de-poeme

 

Le cœur des ouvriers

Dimanche, 9 février 2014

 

Le cœur des ouvriers ne soupe plus des cadences
Aujourd'hui faut manger bio et lire confidence
Le cœur des ouvriers ne s'arme plus aux présidences
Il faut fermer sa gueule et faire face aux urgences
Le cœur des ouvriers n'est plus rouge garance
Il cherche la tête lourde une légère espérance
Le cœur des ouvriers ne bondit plus dans la violence
Il bat dans les télés et dans l'accoutumance
Le cœur des ouvriers n'aime plus la désobéissance
Il dit oui à son chef et croit en la croissance
Mais bientôt  les cœurs des ouvriers souperont de la danse…
Mais bientôt les cœurs des ouvriers briseront le silence
Et dans le cœur des ouvriers il y aura l'insouciance.

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8 février 2014 6 08 /02 /février /2014 17:48

Hara‑Kiri tuer les fils ?Cavanna.JPG

Jeudi, 30 janvier 2014

 

“ Jamais, sans doute, la plupart des gens ne s’étaient rencontrés avec autant de facilité et d’allégresse. Notre joie et notre rire : voilà ce qu’aucun des témoins attitrés n’aura su dire, comme aucun compte rendu n’aura rendu justice au plaisir que nous avons connu.

Ce plaisir‑là ( que d’aucuns appelleront jouissance ) participait de la dépense de soi, faite sans compter, dans la fréquentation haletante de l’intensité. ( … ) Nous étions épuisés de bonheur. Nous sortirons de la défaite avec l’envie de mourir. ”

 

“ Mai ­68 à l’usage des moins de 20 ans ” Jean‑Franklin Narodetzki 

 

jeudi, 30 janvier 2014 aujourd’hui Cavanna est mort. lente enfance qui s’efface c’est nous qui perdons notre trace dans cette suite de couloirs qui colimaçonnent à une vitesse de faucon ciblant sa proie et en même temps tout est immobile lui savait ce que nous sommes maintenant loin de la maison commune où orphelins des rêves des nôtres on avait ensemencé des sillons de démesure creusés aux flèches de nos sarbacanes impatience et au grand feu des jacqueries fait cuire des mottes de gros pain de terre brute et des tessons d’argile durs

nos ostraka surgis là poèmes matinaux témoins de l’urgence lente de la joie c’est à la mort d’Hara‑Kiri années 80 qu’ils ont fini de s’entasser eux aussi aux croisements des routes où on les déposait afin de ne pas se perdre en même temps que nous pétrissons un monde sans misère nous sortis de la gargote des gueux nous l’écrivons y a toujours quelqu’un pour noter à flanc de papiers brouillons tâchés de confiture au dos des affiches des Terres en Péril les affiches passées aux trois couleurs de la ronéo qui les a gardées ?

dépiautées en ribambelle par les chiens coyotes sauvages du village en ruine notre refuge de feu elles ont nourri les poules errantes aux œufs rares sur la table couverte de vaisselle sale y a toujours un scribe qui écrit on sait que ce qu’on vit sera aussi rare que les œufs ?

non ! on croit être au début d’une histoire heureuse qui va grandir comme un enfant sans peur retiré aux interdits des familles à mort où on a été mis au courbouillon des litanies religieuses la couveuse du malheur avec morale militaire et hymnes aux cadavres il est interdit de se moquer du monde !

1969‑1976 de 13 à 20 piges tenir à jour la naissance de l’histoire parce que ce qu’on écrit pas on n’est pas sûrs que ça existe dans la tribu commune y a une demande d’un scribe obstinée c’est nouveau là d’où je viens ça faisait rire j’endosse ce rôle déjà toujours le seul qui m’aille dans le lieu de l’enfance défaite le pensionnat stalag des bonnes sœurs j’envoyais des lettres de désespoir et d’outrage à des gens qui ne les recevaient jamais et j’attendais toutes les nuits que quelque chose de terrible arrive et me sauve c’est arrivé en catimini à pattes de lune sur le planché ciré par une vieille carabosse tordue et c’était l’écriture et c’était déjà le déjà imprimé sur poussière et gravats météores fracassés des tables de sable notre désir tison inaccompli

1969 si Hara‑Kiri existait je n’en savais rien et dans le stalag Notre‑Dame des Anges on était fouillées à l’entrée et à la sortie y avait pas moyen à 13 piges je ne soupçonnais pas qu’on peut mettre en scène la bêtise qui grignote et la mort qui rôde dessous les robes des fantômes noirs mais j’apprenais vite au gargouillis des rigoles assoiffées buvant mes pleurs ne laissant que le sel sur la langue qu’on a comme seule issue à notre condition d’oiseaux de nuit de faire de tout dérision et désordreHaraKiriAveugle1.jpeg

1976 on croit être les éclaireurs d’un épopée fertile aux moissons d’abondance jamais promises par nos vieux ouvriers aigris qui ne transmettaient pas le goût de la lutte ils l’ont jamais eu et qui nous juraient jour à jour d’en baver comme eux c’est pas demain c’est déjà on le décide on le fait on le trace sur la peau d’enfance ancienne de nos Terres en Péril on l’incarne on le vit on le poème on l’écrit dans la même cadence de douce frénésie en même temps d’outrance démuselée c’est le grand commencement

1978 les Ritals un paternel maçon avec des noyaux de pêche et des mètres reconstitués bout à bout dans la musette un vieux gentil qui vous invective pas effondré devant la téloche à peine que vous mettez vos arpions dans la cambuse ça se peut ? nous liquidons nos enfances enfermés dans les cellules des états sans grâce privés d’idéal avec juste assez de fureur pour se dire que les pères tueurs guerriers la tatane à la main ont enfanté une tribu de fils et de filles qui ne sont pas de leur sang d’esclaves de leur lignée de bourreaux victimes de leur destinée troupeau charnier paluches de la classe ouvrière bonnes à produire et à étriper

nos vieux ignorants chargés à la Kro et au Préfontaine ont réussi une tribu d’oracles insouciants qui ont choisi de rompre avec l’évidence lucide aveugle de l’homme en souffrance et son caillou qui l’attend à la consigne monter monter plus haut et crever là nigaud crétin et l’autre en bas toujours recommencer nous on choisit d’arrêter ça soudain tout de suite ne plus rien prédire et fabriquer un rêve quotidien aux envergures de lucioles

1971 à 15 piges sortie du pensionnat stalag autiste je n’ai rien oublié de la folie de Mai oser dire non à nos jupes plissées bleu marine aux genoux risquer la torgnole à demander un pantalon velours pattes d’Ef reconquérir le droit de l’ouvrir premier combat si Hara‑Kiri existait c’était pour dire la rupture énorme avec nos corps mis en berne avec nos esprits bornés avec nos vies bernées avec nos récits ressassant l’insignifiant autorisé fin du petit homme claquemuré dans sa petite cage avec sa petite gamelle d’amertume mesurée muette et survenue du colibri aux ailes de messager joyeux fricassant le bien dire penser écrire abject tarifé vide d’envol et bourré de morale de classe vicieuse vivace

1976 à vingt piges si Hara‑Kiri existait c’était pour dire que nous la première tribu des fils à ne pas vouloir singer les pères on allait leur éviter de nous envoyer à la guerre l’Algérie ils ont bien essayé une dernière fois mais ensuite la tribu était passée par là insoumise totale civile et militaire sa houppelande de fleurs des champs remplaçant le treillis et les chaussettes à clous c’était nous déjà encore on allait les laisser mourir de vieillesse et de rancœur lasse rivés à leur laisse silencieux et violents on n’avait même pas eu envie de les tuer sauf par les mots que le scribe solitaire notait notait mais ils ne les ont jamais reçus

à bord du village communautaire ils disaient communiste en roulant leurs quinquets haineux de nos Terres en Péril on osait leur envoyer en plein tarbouif qu’on ne voulait rien d’eux qui nous avaient maudits et traités de chiens que c’était raté ils n’avaient pas fait de nous des assassins convenables des soldats inconnus des mendiants rassasiés

1976‑1980 bâtards lunaires Indiens échappés des réserves gentils enfants d’Auber au bout de nos Terres en Péril on attend tranquilles que leur échafaudage absurde et décadent se ramasse se défasse on est au début de la plus fulgurante des aventures celle de la parole déchaînée qui prend la route de la parole rebelle populaire c’est notre histoire qu’on écrit celle de la canaille eh bien j’en suis ! et on ne se doute pas qu’il nous faudra après avoir liquidé la brutalité des pères se coltiner l’indigence monstre l’indifférence méprise des fils et des filles déjà à venir HaraKiri14.jpg

la tribu nouvelle pour qui nous étions des hippies qui n’avions pas de place dans la suite qui s’annonçait grandiose d’or et de factice à consumer illico n’a pas eu à lutter pour ne pas partir au turbin fraiseur tourneur polisseur chaudronnier manœuvre petite‑main bobineuse femme de ménage caissière vendeuse standardiste pas partir au casse‑pipe pas servir de ventre pondeur génitrice ingénue corps vendu corps saigné corps perdu corps volé pas eu à choisir entre un monde d’hommes dignes scribes de leur histoire farouche quêtant leur destin à la croisée des routes où s’échangent entre les voyageurs du grand commencement les ostraka poèmes de carton et un monde de petits boutiquiers se matant dans le miroir à l’infini de l’image la même partout la leur l’unique ils ignoreront tout des stalag pensionnats des valises vidées des bouquins confisqués des lettres jamais envoyées et du vol à perdre haleine du colibri frondeur

1981‑1986 tuer les fils alors ? si Hara‑Kiri a cessé d’exister dans ces années‑là quand nous avions trente piges et que nos Terres n’ont plus été en Péril mais achetées par des marchands de tourisme authentique pour possédants audacieux méditant sur leur sort de bourgeois paysans baroudeurs mais juste l’été le long des chemins des Camisards c’est que l’insouciance l’insurrection et l’indécence que nous avions offertes à la tribu des fils comme un tribut payé du salaire de notre enfance bazardée n’ont jamais correspondu à leur désir de posséder le monde alors que nous avions tant aimé embarquer notre jeunesse au large de l’aliénation au pouvoir du fric et de la puissance

années 90 les fils et les filles des hippies et des néos‑ruraux ont quitté les villages communautaires où ils avaient passé leur enfance à courir après des cerfs‑volants de couleur et à emprunter les chemins des chèvres pour rejoindre des écoles perdues où ils apprenaient à écrire comme les griots apprennent à conter l’histoire du nouveau monde qui serait le leur ils ont fait dans le sens du retour d’où ils n’étaient jamais partis le voyage que certains d’entre nous ont effectué en direction de la Babylone Zero la mort aux tripes pour rejoindre les usines et les entrepôts où ils ont mis avec une résignation d’automates leurs utopies en miettes chaque jour chaque jour chaque jour 

années 2011‑2014 les fils et les filles des hippies et des néos‑ruraux observent d’un œil négligeant aujourd’hui leurs fils qui n’ont jamais lu de poèmes de François Villon de Jehan Rictus de Gaston Coûté de Jean Sénac ni de Jacques Prévert ou de Boris Vian partir pour le djihad vers les pays d’Orient où l’unique aventure qui leur est offerte par les maîtres de la guerre va leur permettre de reprendre la route que leurs vieux ont arpentée jadis mais c’était du côté de Hambourg ou de Berlin en échange d’une esthétique de la mort prête à porter d’un petit sac de poudre à miracles attaché à leur cou et de la promesse s’ils en reviennent un jour de ne jamais se pencher au dehors

année 2014 c’est fini alors Cavanna est mort et Hara‑Kiri ringard comme nos poules aux œufs d’or rare trop méchant et trop prêt à tout dégommer famille travail patrie curés et chaussettes à clous  pour y balancer à la place un gros gorille mateur du trou de balle des juges pour que la clique claque du jour ne pousse des imprécations de corbac en soutane si on en cause y a longtemps que seuls les vieux cornichons hilares libertaires têtus se font des soirées à se fendre la tototte en reluquant les couvs du baveux le plus iconoclaste et le plus impertinent qui soit aujourd’hui pas de danger de ce côté‑là ni de l’autre y a plus que des serviteurs du veau des pisseurs d’encre d’occase des lignards en fauteuils des rentiers torchant des papelards pondus tout dret du petit catéchisme du chef de famille

année 2014 ouais eh ben non ! c’est pas fini et les Carnets de Route des années communeuses généreuses des scribes colibris bolides qui sont les plus habiles et rusés lanceurs d’encriers que la maréchaussée n’est pas prêt d’y mettre la paluche dessus c’est à ceux qui ne sont pas nos fils ceux qui n’ont pas eu à refuser l’héritage qu’on ne leur à jamais mis dans la musette ceux qui sont nés comme nous dans le chantier de la Babel interminable et qui ont emmêlée à la leur épicée d’Afrika la langue de la canaille pour en faire jaillir une goualante des quartiers truculente et brutale brûlante et cruelle et toujours au bord de l’insurrection poétique que je les donnerai ce sont eux mes frangins en écriture les seuls pour qui peut‑être un jour ces temps d’outrage et de folie auront à nouveau un sensPOINTSCOMMUNSTRAVAIL.jpg            

     Aquarelle de Louis Samedi, 8 février 2014

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26 janvier 2014 7 26 /01 /janvier /2014 21:34

les ceusses d’hier ont la BerlueFabrique d'allumettes Auber

Epinay, dimanche, 12 janvier 2014

 

Aux ouvriers de Gangrange de Florange de Pétroplus d'Acelor Mital de Good Year de PSA... aux ouvriers aux ouvrières...

 

ah ouiche ! que je me disais y pas longtemps de ça parce que maintenant on va devoir demander solliciter notre ticket d’entrée à penser à écrire à hululer à maudire à rager notre carton à réduction notre permis à s’effarer à refuser tout net tout innocents qu’on est notre déguisement d’insectes en vue de jouer le rôle du peuple dans la pièce la Berlue à une clique une tribu une bande une troupe un troupeau engloutissant son foin sucré à l’adrénaline dans les mangeoires d’un temps étroit misérable bouffons metteurs en scène de la plus grande foutrerie de l’époque la mise à mort de l’insouciance Ouaouf ! ouais nous voilà bien peuples autistes figurants de plâtre poupées de paille obéissant au petit clairon grouillot du charnier de nos utopies et aux maîtres du massacre vieillards légumes perfusés à la terreur céleste leaders directeurs commandeurs des états théâtres mettant en scène encore encore la spoliation de notre moindre éclaircie d’intelligence

ah ouiche ! et pour commencer à qui donc je pourrais m’adresser alors à qui lancer ces mots hors du convenu et du convenant qui ne prendront pas soin de s’essuyer les pieds avant d’entrer ni de rassurer quant à ma couleur d’âme forcément aussi noire qu’ébène et que le cœur et l’esprit d’Aguirre en ces années d’escarbilles de plomb où il n’est plus possible de penser que de façon conforme à une esthétique du Bien aussi foireuse et malveillante que ceux qui la brandissent goupillon menaçant et vertueux si ce n’est à la chienne Bonnie l’ensauvagée ma camarade complice des cavales folles de nos jeunesses barbares et désarmées ? c’est que nous les éblouis les compteurs de bulles de savon bleues poussant à même les bottes de paille et tricotant des chaussettes à ailes de papillons nous les ceusses d’hier accrochant nos bonnets de nuit à des porte‑manteaux de lune on voulait juste arrêter la répétition de la tragédie paysan ouvrier qui en finit pas depuis le temps qu’on l’entend cette complainte‑là qu’on la travaille qu’on la récite qu’on l’améliore on en a les esgourdes toutes barbouillées alors voilà on a décidé un jour étourdi de terminer l’affaire nous les enfants de la coulée douce

allez ouste dehors petits crétins ! si on a réussi à s’emberlinguer comme on aurait pas pensé nous les loustics survenus après des générations d’acteurs humbles laborieux fiers à l’ouvrage généreux de leur peau dessous le maquillage quinquets miroirs d’eau charbon noir et trombines faces à farine cendres du laitier refroidi pognes jaunes soufrées et grises de limaille acier les hardis figurants les silhouettes habiles de la production intensive Ouaouf ! faut reconnaître que sur la scène ils étaient déjà si tellement nombreux pressés entassés concassés volontaires aveuglés à l’enfer des brasiers qu’ils ont cru projecteurs savaient leur texte par cœur et la réplique ils la donnaient pour celui qui cédait sa place toOn vit sans vivre NetB copiembé basculé bousculé le chant des travailleurs hein ? leur vieillesse c’était nous la suite de la pièce on avait qu’à enfiler leurs godasses leurs trop grandes godasses de clowns aveugles la Berlue c’est facile tu verras on s’y fait… ah ouiche ! ah non ! eh c’est à qui que tu causes hein ? tu sais que c’est moi qui te nourris ? gaffe morbac ici t’es pas chez toi ! deux fois par jour la réplique on ne risquait pas de l’oublier Ouaouf !       

ah ouiche ! et toi ma Bonnie ma lutteuse mon efflanquée toi qui a pris la tangente y a de ça un bon bout sur les routes de poussière et de plume qui nous menaient bien les voyageurs des chemins au fond de la mer les bâtisseurs de cathédrales de coraux rose mandarine et violets pour nos dieux nocturnes et païens nous et nos jeunes cavales protégées de la mort aux dents par des brassées de marguerites sauvages et toi ma furieuse qui poursuivait jusqu’au bout des faucons invisibles et des jets de silex à feu tu ne peux pas me dire comment dessiner avec mes pattes de hibou des neiges rouges comment dessiner le portulan qui me mènera au loin de ce monde invalide ? Ouaouf ! que je me disais

ah ouiche ! c’est bien vrai alors qu’on existe pas qu’on est rien une engeance de cloportes au fond de leur terrier d’hivernage nous autres le peuple les peuples les muets les réquisitionnés à ânonner leurs slogans leurs chants patriotiques leurs retraites aux flambeaux leurs refrains à chansonnettes leurs annonces publicitaires leurs fichiers anthropos Ouaouf ! 

c’est vrai que c’est un peu de notre faute mon frère la ritournelle elle a raison nous autres le peuple les peuples nous les avons laissé dire que nous étions gavés de cultures régionales ringardes de savoirs indigènes décadents de superstitions de rituels vulgaires célébrant des fétiches et des idoles dansant dans l’eau sur des rails incandescents nous les gardiens des langues métisses et des patois à Guignol qui allions tout nus et qui mâchions avec nos trois chicots les légendes les histoires les contes des griots avant de les avaler tout cru avec la boule poisseuse de poils et de sang de notre mémoire hachée à la moulinette des maîtres du grand savoir Ouaouf ! 

Eh ma Bonnie ! que je me disais nous les ceusses d’hier du temps 01 onmasque-dogon-kanaga-737-2 leur a fauché les costumes et on leur a laissé la scène du drame on a taillé dedans des fringues d’oiseaux couleurs du grand commencement on a retrouvé l’orgue de barbarie de Bruno et on a joué la sérénade du pavé Lily Marlène mon amant de Saint Jean monsieur William la goualante du pauvre Jean dans les rues les impasses et les cours crasses de Babylone Zero… et puis on s’est tirés loin d’eux et de leurs renoncements dehors petits crétins !  mais nous y voici encore cinquante piges après entassés ramassés grouillants harnachés de grelots et clochettes vieux bonobos singeant mimant la peur primitive de notre mise à mort d’Indiens avec nos terres en péril ravies vendues bradées par des paysans sans futur d’aube bergers privés de transhumances et  de manteaux de fougères à des collectionneurs de hameaux fétiches cousus dans du costard trois pièces recyclé houppelande de lin chicos à des tenanciers de musées de retour d’Afrika prêts à nous empailler debout avec leurs masques de singe blanc tirées aux grottes de Bandiagara Ouaouf ! 

Ah ouiche ! nous vêtus grotesques à la fois du costume de honte à paillettes du bourreau et de la victime partis revenus partis revenus rien à transmettre de nos esquives communes et solitaires de la piste tracée au plateau de mélèzes de nos labours éteints où râlent nos ruisseaux sur les éclats d’enfants qui ne rient pas à qui transmettre absents l’histoire du grand commencement hein ? Ouaouf ! depuis le temps que nous suivons voraces la trace blanc argent luisante des projecteurs au loin nous ramenant toujours à la porte bâtarde de leur innommable théâtre Babylone Zero où notre rôle l’insignifiant le factice celui de l’ouvrier immigré servile de la femme de ménage analphabête du jeune troisième génération camé incendiaire de banlieue du bouseux et ses trois cents vaches laitières du hippie des sixties sdf à La Courneuve on le connaît par cœur barbelé on l’a appris dans leurs écoles formatant des bandes de petits vieillards adolescents et c’est toujours la même pièce la Berlue mais maintenant y a même pas besoin de texte les mimiques ça suffit ma Bonnie que je me disais Ouaouf ! quelle langue chiennement indécente et obscène à inventer encore et à démesurer pour nous sortir du trou où ils nous font manger la terre de nos déchaînements !

Ah ouiche ! c’est d’un coup que le coup de théâtre l’enchanteur le pas probable qui nous a filé entre les pattes y a de ça des temps le voilà qu’est revenu avec les paroles des frangins à mistoufle qui ont pris la piste l’autre celle des usines et des fonderies la première l’incendiée la brutale la conquérante la violente celle de nos vieux paysans ouvriers le texte celui qu’ils nous ont sorti là tout gluant tout baveux de morve d’étoiles noyée de feux follets émeraude on aurait même pas pu le rêver nous les ceusses d’hier les bourlingueurs de l’An 01 hein ? la Berlue mon frère c’est plus sur la scène c’est dans la vie qu’on l’a maintenant qu’ils ont pigé qu’y a plus rien d’autre à faire que de se la couler douce    maintenant qu’il nous faut retrouver ensemble la première trace avant le contresens retrouver le portulan éperdu de nos désirs immenses de nos facéties majestueuses de nos sillons courbes avec nos charrues foreuses de géants coquillages lucioles Ouaouf ! eh ma Bonnie ! c’est peut‑être ici chez nous que je me disais…la-ceuillettetravail.jpg

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24 janvier 2014 5 24 /01 /janvier /2014 01:40

Art bruteLapin dans l'oreille

Epinay, mercredi, 22 janvier 2014        

 

 Lapin dans l’oreille bat taille à la hâte pour pas que l’heure très passe

 

              Survivre tout est là dans ces clameurs éclaboussures ce mouillé à la hâte du corps

                     qui déchiquète l’état les tas du regard y a pas rien là‑dedans fatras décomposition

                           de lambeaux allumés éteints allumés éteints bravement bavés de colle

                                 plastique bouilli de poupées sans yeux ses fétiches à la vie en‑dessous

                                           du trou à excréments une odeur de la misère qui scintille son

                                                   carrosse autobus dessoudé de mains fil de fer pleines de rosée

                                                         pas rien qui veut qu’on s’épanche se penche y faut dire

                                                                 vider balancer au trognon qu’on nous lâche qu’on

                                                                        nous foute lanlaire qu’enfin on calcule pas nos

                                                                               goules à rire enfarinées de bouffons à

                                                                                      camisole de neige interdite et toute

                                                                                              la peau givrée fracture facture

                                                                                                     la cellule à l’isolement pas

                                                                                                            moufter pas crire pas

                                                                                                                   dé lire du monde

                                                                                                                          purée sang

                                                                                                                                 son sperme

                                                                                                                             qui touille les

                                                                                                                      couleurs grattées à

                                                                                                               des tronçons de tubes

                                                                                                            salive là un papier cul

                                                                                                       allumettes brûlées barbarie

                                                                                                 muette il faut dire on ne peut pas

                                                                                        c’est cloué avec des aiguilles rouille

                                                                                   dérouille le chargement de syllabes à la

                                                                              gorge tranchée sous l’arbre des petites filles

                                                                       perchées jaune calque la hurle là où la voie inter

                                                                   dite s’emballe de chiffons à éponger la mer matrice

                                                            épouvante

                                                       et qu’on arrête de nous empêcher de nous dépendre du

                                                  pommier toutes les pommes nous sont tombées dessus au

                                              bout du couloir y a un couteau pour lui éplucher les idées pas

                                         bon du tout la nuit des héros pas pour lui avec sa tête en moins

                                    il sera soustrait au sacrifice du sang pour cuire les fétiches cousues

                                les manches du pull over ouvrez‑nous la porte qu’on sorte de là lapin

                           lapin y es tu agite ses mains d’argile les menottes attachées aux barreaux

                      du lit petit tailleur et poseur de rails taillent la route avec le canasson tiré aux

                 abattoirs y a long jusqu’à Tshwane ne seront pas à l’heure pour sortir le lapin de

             l’affaire dommage

         à South Side un type a mis fil de fer phare de bagnole cassé boîte à gâteaux métal tête

    de poupée celluloïd boulons sonnette de vélo sous la tronche du fer à souder

 dessoudé au bout de la rue par la faim au dentier de rat tradéri déra

c’est la déchèterie qui l’aura le trésor l’or dure dans nos fouilles

c’est la dernière fois qu’on vous sort le lapin de l’oreille

brutes on reste sans art qui vice nos vies entre fous

on veut rien de vous on veut pas vos sous

juste la neige rouge en sac et des clous

le-mechant-garcon.jpg

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13 janvier 2014 1 13 /01 /janvier /2014 18:03

      Le texte qui suit est publié sur le site Mediapart : www.blogs.mediapart.fr

      Ce sujet est assez grave et ce qui se passe ici dans ce pays sur le plan de la politique extérieure aussi pour qu'on y revienne encore et encore...

      A ceux et celles qui ne sauraient pas qui était celui que les Palestiniens et les Palestiniennes ont appelé le boucher de Sabra et Chatila voici de quoi se faire une idée sur certaines gens qui passent une vie sans être inquiétés pour leurs crimes à répétition tels Franco et Pinochet pour exemple... Ce qui rend encore plus abject la cabale contre Dieudonné on y reviendra...

Ariel SHARON : une vie comme une traînée de sang

hebron_graffiti_5.jpg

Les propos de François Hollande suite à la mort d’Ariel Sharon sont conformes au parti-pris du PS en faveur des politiques menées par le gouvernement d’Israël. Les commentaires d’un grand nombre de médias gomment bien entendu ce qui fut pourtant la réalité de la vie de cet homme qui aurait dû être jugé pour crimes contre l’humanité. Mais qui, comme tout Isrélien responsable de ce crime de masse, bénéficie scandaleusement de l’impunité la plus totale et de la complaisance d’un très grand nombre de journalistes.

C’est bien pour échapper à la Justice et protéger Sharon que les USA et Israël ont exercé des pressions intenses sur la Belgique afin qu’elle vide de son sens sa loi dite de compétence universelle qui aurait permis à des survivants des massacres de Sabra et Chatila d’obtenir justice devant les tribunaux belges. C’est bien pour que les crimes commis par l’armée israélienne au Liban et dans les territoires palestiniens occupés échappent à toute justice que les USA ont exigé que la Cour Pénale Internationale ne puisse être compétente que pour des faits commis après sa création alors que le droit pénal international consacre l’imprescritpibilité des crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Des USA qui, comme Israël, ont finalement refusé de ratifier le traité créant la CPI.

Voici la biographie de la vie de Sharon telle que je l’ai résumée en 2002 dans un document qui aurait du servir au procès de Bruxelles si les autorités belges n’avaient pas cédé aux USA et à Israël. J’avais, entre 1999 et 2002, effectué une enquête approfondie sur les massacres de Sabra et Chatila, y compris en me rendant à plusieurs reprises au Liban. Le 18 juin 2001, à Bruxelles, 23 personnes ont déposé plainte avec constitution de partie civile en application de la législation belge relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire du chef de : actes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes portant atteinte aux personnes et aux biens protégés par les conventions de Genève signées à Genève le 12 août 1949. Les plaignants se sont constitués parties civiles contre MM. Ariel Sharon, Amos Yaron et autres responsables israéliens et libanais des massacres, tueries, viols et disparitions de populations civiles qui ont eu lieu à Beyrouth, du jeudi 16 au samedi 18 septembre 1982 dans la région des camps de Sabra et Chatila. Il n’y a pas eu de suite.

QUAND LA FIN JUSTIFIE TOUS LES MOYENS… 

Pendant la campagne électorale, début 2001, Yitzhak Berman, qui fut ministre de l’Energie dans le deuxième gouvernement  présidé par Menachem Begin et collègue de Sharon, confiait au journal Ha’aretz « Pensai-je que Sharon serait un jour candidat au poste de Premier Ministre ? La réponse est non. Je ne crois pas que Sharon ait changé. Mais la majorité des citoyens de ce pays ne se sentent pas concernés par l’Histoire. Ce qui s’est passé avant n’a aucune espèce d’importance. Je ne pense même pas que les gens se souviennent encore de la guerre du Liban. »

On a envie de nuancer le propos en indiquant que la mémoire des peuples est très souvent sélective et qu’on s’empresse, sous toutes les latitudes, d’oublier ce qui gène, de la même manière qu’on ne néglige rien dans le rappel de ce qui peut servir le présent. On doit aussi constater que l’actuel gouvernement israélien ne fait rien pour restituer fidèlement le récit des évènements de 1982-1983. La biographie officielle du Premier Ministre Sharon est étrangement muette sur les actes et propos du Ministre de la Défense Sharon en 1982-1983.

Il convient donc, avant de tenter de cerner cette personnalité, de restituer d’abord toutes les étapes de sa vie en se servant de sa propre autobiographie, mais également de toutes les autres sources disponibles.

 1. De l’Unité 101 à Sabra et Chatila : le parcours d’un homme de guerre

(Les numéros entre parenthèses renvoient aux pages de l’édition de 2001 en anglais de l’autobiographie de Sharon, intitulée de manière très significative Warrior, Simon and Schuster, 1984 et Touchstone, 2001).

Ariel Scheirnerman naît en 1928 dans le village – un moshav - de Kfar Malal, à 25 kilomètres au nord-est de Tel Aviv, préféré par ses parents à un kibbutz parce qu’ils « pourraient posséder leurs propres terres » (p.14). Son père, Samuel, est agronome de formation. Sa mère, Véra, n’a pas pu achever des études de médecine, suite à leur départ de Russie. Le jeune Ariel participe activement aux travaux de la ferme. Vingt ans plus tard, lorsque Ben Gourion exigera que les officiers portent un nom hébreu, il choisira de s’appeler Sharon.

Il a quatorze ans lorsqu’il prête le serment d’adhésion à la Haganah tout en éprouvant une grande admiration pour les groupes terroristes juifs Irgoun et Stern qu’il appelle des « organisations militantes clandestines» (p. 33 et 37). Trois ans plus tard, il participe à un cours secret de formation militaire de deux mois organisé par la Haganah en bordure du désert du Néguev. Au terme de ce cours, destiné à de futurs chefs d’équipe, il est reçu comme « soldat de première classe » et non comme caporal, ainsi qu’espéré (p.35). Il rejoint la police qui protège les zones juives de peuplement.

Après des études secondaires dans un lycée de Tel Aviv, il vient de s’inscrire à la Faculté d’Agronomie de l’Université Hébraïque de Jérusalem lorsqu’en décembre 1947, il est mobilisé en permanence au sein de la Haganah suite à l’adoption du plan de partage de la Palestine par l’ONU. Suite à son rôle dans la prise du village palestinien de Bir Addas, il est promu chef de section. Après la déclaration d’indépendance d’Israël, le 14 mai 1948, sa section, qui fait partie du 32e bataillon de la Brigade Alexandroni, est transférée au sein de la 7e Brigade créée pour prendre le contrôle de Latrun, une ville stratégique sur la route de Jérusalem. La bataille de Latrun est la plus importante de la guerre 1948-1949. Sharon est blessé pendant la première attaque, le 26 mai. Il réintègre son bataillon en juillet et participe à tous les combats, en qualité d’officier de reconnaissance, jusqu’au cessez-le feu, en 1949.

Le nouvel Etat hébreu organise son armée baptisée Forces de Défense d’Israël (FDI). Sharon commande la compagnie de reconnaissance de la Brigade Golani. En 1950, sa maîtrise des « techniques agressives de reconnaissance et de renseignement » (p. 69) lui valent d’être promu au grade de capitaine. Il est ensuite affecté comme officier de renseignement au quartier général du commandement militaire central. L’année suivante, il nommé chef du renseignement du commandement du secteur Nord. En 1952, il s’inscrit à la Faculté d’Histoire du Moyen-Orient à l’Université Hébraïque de Jérusalem tout en commandant un bataillon de réserve.

Qibya, Gaza 

Un an plus tard,fin juillet, il fait un choix décisif. Il renonce à ses études et accepte la proposition du Commandant en chef des FDI de créer une unité spéciale antiterroriste hautement qualifiée dont il reçoit le commandement. Cette unité est baptisée « Unité 101».

Après un entraînement intensif, cette unité opère contre ce que Sharon appelle les « gangs arabes » et les « terroristes » (p. 85-86). Fin août, elle tue vingt réfugiés du camp de Burayj, dans la bande de Gaza.

Le 13 octobre 1953, une grenade est lancée dans une maison de la colonie israélienne Yehud, non loin de la frontière avec la Jordanie (aujourd’hui, la Cisjordanie). Une mère et ses deux enfants sont tués. Ben Gourion et les chefs des FDI confient une opération de représailles à Sharon sur le village palestinien de Qibya. L’Unité 101 pénètre dans le village dans la nuit du 14 au 15 octobre et jette des grenades dans les maisons. Un massacre collectif s’en suit dont rend compte le journal Ha’aretz du 26 octobre : « ils ont tiré sur chaque homme, femme et enfant qu’ils trouvèrent. Et pour finir sur les troupeaux de vaches. Ils dynamitèrent ensuite quarante-deux maisons, une école et une mosquée. » Soixante-neuf personnes trouvent la mort, en majorité des femmes et des enfants. Le Département d’Etat US, le 18 octobre, déclare que les responsables « devraient être amenés à rendre des comptes». Le 25 novembre, le Conseil de Sécurité de l’ONU, unanime, condamne Israël pour ce massacre. Ben Gourion félicite Sharon. L’Unité 101 incarne la volonté d’Israël de s’imposer dans la région (p.90-91).

L’Unité 101 fusionne avec une unité de parachutistes. Sous le commandement de Sharon, ces commandos vont s’illustrer dans des opérations particulièrement meurtrières.

En représailles à des attaques de fedayin provenant de Gaza, les commandos de Sharon, fin février 1955, attaquent le quartier général de l’Armée égyptienne à Gaza, au cours d’une opération baptisée « flèche noire». Trente-huit soldats égyptiens sont tués dans leur sommeil. En décembre, une opération baptisée « feuilles d’olive » contre des positions syriennes le long du lac de Tibériade se traduit par la mort de cinquante-six soldats syriens. Même Ben Gourion trouve que ces actions sont « trop  réussies » (p.126), sans que Sharon indique les raisons de cette étrange appréciation dans Warrior.

En octobre 1956, peu avant la campagne du Sinaï, une attaque israélienne conduite par Sharon contre le quartier général des forces jordaniennes à Kalkilia se traduit par un débat fondamental sur les méthodes de dissuasion à employer contre les opérations qualifiées de terroristes. Sharon plaide pour l’occupation de territoires nouveaux.

Le Sinaï

Pendant la campagne du Sinaï, Sharon, dont les unités sous son commandement forment désormais la brigade 202, désobéit aux ordres et fait entrer ses hommes, conduits par les commandants de bataillon Motta Gur et Rafael Eytan (bataillon 890), dans la Passe de Mitla où ils  tombent dans une embuscade égyptienne. Lorsque leurs soldats, au prix de lourdes pertes, viennent à bout de leurs ennemis, ils massacrent les 49 Egyptiens qui ont été faits prisonniers et ligotés. Vingt-cinq ouvriers du département égyptien de la voirie, après avoir eu les mains ligotées, sont également abattus. Lorsque la brigade de Sharon poursuit son avance depuis la passe de Mitla vers le détroit de Charm el Cheik, à Ras Sudar, le bataillon 890 massacre les 56 occupants – civils – palestiniens d’un camion croisé sur la route. Peu après al-Tur, à 15 km du détroit, le 4 novembre, il rencontre un régiment égyptien en déroute et massacre les 168 soldats. Une enquête fut ouverte par les autorités militaires, mais elle ne concernait que l’acte de désobéissance de Sharon devant la Passe de Mitla. Protégé par Ben Gourion, il ne fut pas blâmé, même si sa carrière en fut considérablement ralentie.

En septembre de l’année suivante, il effectue des études à l’Académie Militaire de Kimberley, dans le Surrey, en Grande-Bretagne et à son retour dix mois plus tard, il est promu Colonel. Comme il est d’usage à l’époque pour les officiers de son rang, il adhère au parti travailliste (p.224). Peu après, il est nommé Commandant de l’Ecole d’infanterie tout en exerçant le commandement d’une brigade d’infanterie de réserve. Il entreprend en même temps des études à la Faculté de Droit de l’Université Hébraïque de Tel-Aviv.

En 1964, il est nommé Chef d’Etat-Major du commandement du secteur Nord et deux ans plus tard il reçoit le grade de Major-Général et exerce la direction du département de formation militaire tout en commandant une division blindée de réserve, ce qui ne l’empêche pas d’obtenir la même année son diplôme de droit.

A la veille de la guerre des Six Jours, il est basé dans le Néguev. Ses exploits militaires pendant cette guerre-éclair lui valent une grande popularité en Israël et dans les communautés juives à l’étranger. Lorsqu’il reprend la direction du département de formation militaire, il procède au transfert immédiat dans les Territoires occupés (p.208-209) de tous les établissements sous son autorité (écoles d’infanterie, du génie, de la police militaire, des parachutistes, …).

En conflit avec Bar-Lev, le Commandant en Chef des FDI, la reconduction de son engagement dans les FDI lui est refusée. Il  fait connaître son intention d’adhérer au parti libéral associé au Herut, le parti de Menachem Begin et de participer aux élections qui doivent avoir lieu fin 1969. A la suite de quoi, il est maintenu dans les FDI et obtient, après les élections, le poste de Commandant du Secteur Sud, ce qui inclut l’autorité militaire sur la Bande de Gaza.

Lorsqu’en septembre 1970, l’armée jordanienne massacre des milliers de Palestiniens près d’Amman, la Syrie intervient militairement. Les USA demandent à Israël d’exercer une menace sur la Syrie qui, dès lors, se retire de Jordanie. Sharon désapprouve le soutien à la monarchie haschémite. Pour lui, la chute de celle-ci aurait permis la constitution d’un Etat palestinien (p.246) en Jordanie.

La Bande de Gaza

En 1971, sousson autorité sont lancés ce que le journaliste israélien Yigal Mosko (Kol Ha’ir, du 30 juin 1995) appelle « les escadrons de la mort d’Ariel Sharon ». Il s’agit d’unités du Sayeret Matkal, composées de para commandos parlant l’arabe, ne portant pas d’uniforme et autorisés à procéder à des assassinats, c’est-à-dire tuer des gens en dehors des combats. De juillet 1971 à février 1972, il  y a 104 assassinats de Palestiniens. Ces unités opèrent surtout dans la Bande de Gazaoù des milliers de maisons sont détruites dans les camps de réfugiés palestiniens (2.000 pour le seul mois d’août 1971). Des puits d’eau sont bouchés. Sharon y installe 4 colonies de peuplement. Des centaines de Palestiniens, y compris des femmes et des enfants, sont emprisonnés.

Ayant compris qu’il n’obtiendrait jamais le poste de Chef d’Etat-Major, Sharon quitte le service actif en 1973 et reçoit le commandement d’une division blindée de réserve. Il la commande pendant la guerre d’octobre et lui fait traverser le Canal de Suez vers l’Egypte, renversant ainsi le cours de la guerre sur le front égyptien. Pour beaucoup d’Israéliens, il devient le « roi Arik. »

Un guerrier en politique

Peu avant la guerre du Kippour, il avait lancé un appel à l’union des partis opposés aux Travaillistes et avait conduit, aux côtés de Menachem Begin, des négociations qui ont abouti à la création du Likoud. Fin décembre, alors qu’il commande toujours sa division sur la rive ouest du Canal de Suez, il est élu député à la Knesset sur la liste du Likoud. Un an plus tard, déçu par la vie parlementaire, il démissionne de son mandat de député (p.341-342).

Il se consacre à son exploitation agricole quand, en juin, le Premier ministre Rabin lui propose le poste de conseiller spécial pour les questions de sécurité. La guerre civile vient d’éclater au Liban. Sharon recommande d’empêcher toute présence syrienne dans ce pays (p. 423). C’est à ce moment qu’Israël commence à soutenir le Major Saad Haddad (p.424). Rabin et Peres, ministre des Affaires étrangères, nouent des liens avec les dirigeants chrétiens libanais. Dans le même temps, Sharon prépare un plan de peuplement juif de la Cisjordanie.

Ayant goûté du pouvoir, Sharon veut voler de ses propres ailes. En février 1976, alors que le gouvernement est affaibli par des scandales, il quitte Rabin et, contre l’avis de la plupart de ses amis, il crée son propre parti : le Shlomzion (Paix pour Sion). Très vite, il constate ses faibles chances aux élections (p.348-353). Il tente alors, mais trop tardivement, d’intégrer son parti dans le Likoud. Le Shlomzion ne remporte que 2 sièges aux élections de 1977. Le Likoud est le grand vainqueur du scrutin. Le 15 juillet, le premier gouvernement Begin entre en fonction. Sharon est ministre de l’Agriculture auquel, à sa demande (p. 354), on ajoute la présidence du comité ministériel de la colonisation dans les Territoires Occupés. En octobre, il fait approuver, malgré les réticences de Bégin, un plan de colonisation massive de la Cisjordanie et des abords de Jérusalem. Il réalise ainsi un projet auquel il pensait depuis dix ans (p. 361). A de multiples reprises, Sharon se fait le porte-parole du Gush Emunim (« Bloc des Croyants »), groupe d’extrémistes religieux ultra-nationalistes à propos desquels « il ressent une profonde identification avec leurs efforts pour établir une communauté juive dans la patrie juive historique » (p. 362) et auxquels il veut garantir « le droit de vivre dans l’Israël historique » (p. 368). Quatre années plus tard, 64 colonies supplémentaires auront été créées en Cisjordanie. Il intensifie aussi le peuplement juif de la Galilée sans se soucier des droits des populations palestiniennes qui y vivent.

 L’année suivante, Begin et Sadate signent, avec Jimmy Carter, les Accords de Camp David. Sharon est opposé à la partie relative à l’autonomie des Palestiniens. Il pense qu’elle pourrait avoir l’effet d’une Déclaration Balfour pour les Palestiniens et conduire à un second Etat palestinien, après la Jordanie, ce qui est totalement inacceptable à ses yeux. « La Judée, la Samarie et Gaza sont parties intégrantes de Eretz Israël » et l’autonomie accordée ne peut l’être qu’aux personnes, sans leur concéder la moindre souveraineté territoriale (p. 402-406).

A partir d’avril 1980, le ministre de l’Agriculture et des colonies de peuplement va s’employer, avec Begin, de convaincre le gouvernement de la nécessité de détruire le réacteur nucléaire irakien d’Osirak. Quatorze mois plus tard, c’est chose faite.

La législature s’achève et, en juin 1981, pendant la campagne électorale, Sharon organise, pour 300.000 personnes, les « Sharon Tours » : visites des montagnes dans les Territoires occupés afin de convaincre les électeurs de leur importance stratégique et de la nécessité d’annexer la Cisjordanie. Après les élections, il devient ministre de la Défense dans le 2e gouvernement Begin, malgré l’opposition de nombreux membres du Likoud qui le trouvent dangereux.

 Avant même d’occuper ses nouvelles fonctions, il s’oppose au cessez-le feu négocié par Philip Habib, diplomate américain, pour mettre fin aux attaques de l’OLP dans le Liban Sud (contrôlé par Haddad) et en Galilée et aux représailles israéliennes. Avant que l’Egypte retrouve sa souveraineté sur le Sinaï, suite aux Accords de Camp David, il fait détruire complètement la ville juive de Yamit, construite dix ans plus tôt, afin qu’elle ne devienne pas une ville égyptienne. En octobre, il demande à l’Etat-Major des FDI de préparer les plans d’une invasion du Liban. Ceux-ci sont arrêtés à la mi-décembre (p. 436-437).  Il encourage la coopération militaire avec certains pays africains tels le Soudan de Nimeiry, le Congo de Mobutu, l’Afrique du Sud de l’apartheid, mais également avec les juntes militaires du Guatemala et d’El Salvador. En décembre, il signe le premier accord de coopération stratégique avec les USA.

L’année 1982 est entièrement consacrée à l’invasion du Liban qui conduit aux massacres de Sabra et Chatila et à la création d’une commission d’enquête sous la pression de près de 400.000 manifestants. Le 8 février 1983, la Commission Kahan publie son rapport. Sharon considère qu’il s’agit de la « marque de Caïn contre le peuple juif » (p.520) et d’une « trahison » (p.523). Le Conseil des Ministres approuve le Rapport Kahan par 16 voix contre 1, celle de Sharon. Le 14 février, sa démission comme ministre de la Défense est entérinée, mais il refuse de quitter le gouvernement où il reste comme ministre sans portefeuille. Six jours plus tard, il est réintégré dans les comités ministériels de la défense et des négociations relatives au Liban. Le 21 février, l’hebdomadaire américain Time Magazine publie un article dans lequel il rapporte que, lors de l’entrevue du 15 septembre 1982 entre Pierre et Amin Gemayel et Sharon, ce dernier aurait « discuté de la nécessité pour les Phalangistes de venger l’assassinat de Bechir Gemayel». Sharon poursuit Time en justice pour diffamation et demande 50 millions de US $ de dommages et intérêts devant un tribunal de New York. Il affirme que le Rapport Kahan a déterminé une responsabilité indirecte de sa part dans les massacres. Une incitation à la vengeance signifierait une responsabilité directe. Il nie avoir tenu de tels propos. Six mois plus tard, lors de la démission de Begin, il se présente au sein du Likoud contre Shamir et obtient 42,5 des voix. Il devient un des leaders influents du Likoud.

2. Le Grand Israël, à n’importe quel prix

L’histoire militaire retient des noms éminents et respectables, même pour ceux que ne fascine pas « l’art de la guerre ». On ne les a jamais confondus avec ces tueurs revêtus d’un uniforme qui émergent dans les situations de crise. On ne peut résumer l’itinéraire de Sharon à celui de ces militaires brillants qui ont laissé leur nom dans l’histoire. Ce fut, certes, à l’occasion, un stratège audacieux capable de coups de génie, un peu à la manière d’un Patton. On ne peut pourtant se contenter de l’image de baroudeur sympathique que se complaisent à offrir de lui la plupart des média occidentaux. Ces portraits ne suffisent pas pour décrire le personnage. Il faut y ajouter des traits beaucoup moins flatteurs qui font penser à ces généraux apparus dans les divers camps qui se sont affrontés lors de l’éclatement de la Yougoslavie et dont les rêves nationalistes ne pouvaient s’accomplir que par l’élimination physique de ceux qui se trouvaient sur leur chemin.

Le rêve de Sharon, il ne s’en est jamais caché et son autobiographie le confirme, c’est le sionisme accompli, c’est Eretz Israël, le grand Israël, de la Méditerranée au Jourdain, incorporant la Cisjordanie (toujours dénommée par les noms bibliques de Judée et Samarie) et Gaza (p. 402). Certes, il n’est pas le seul dans son pays à penser de la sorte. L’extrémiste de droite Sharon n’est pas différent du social-démocrate Shimon Peres qui, au moment où le plan Sharon de colonisation des Territoires occupés devenait réalité, déclarait, comme leader de l’opposition,: « Il n’y a pas de discussion en Israël à propos de nos droits historiques sur la terre d’Israël. Le passé est immuable et la Bible est le document décisif qui détermine le destin de notre terre » (The New York Times, 6 août 1978).

Mais, ce qui distingue Sharon, c’est sa propension à traduire en actes sanglants une conviction qui nie l’existence du peuple palestinien et qui entend, par tous les moyens, détruire le nationalisme palestinien sous toutes ses formes. L’obstacle au sionisme de Sharon, ce sont les populations qui habitent ces territoires depuis des siècles. Quand il évoque les civils, il ne les appelle jamais des « Palestiniens », mais toujours des « Arabes » Et leur place, selon lui, se trouve en Jordanie. Quand il parle des combattants palestiniens, niant tout droit à la résistance, il les qualifie systématiquement de « terroristes » au point d’en faire une sorte de synonyme de Palestiniens. Les camps de réfugiés sont, même lorsque nulle présence militaire n’est observée, nécessairement à ses yeux des « camps terroristes. »

On ne s’étonnera donc pas de la leçon que Sharon tire des massacres qu’il a perpétrés à Qibya. Alors que le monde entier s’émeut des victimes innocentes, Sharon considère que «le raid de Qibya fut un tournant (…) les FDI étaient de nouveau capables de trouver et de frapper des objectifs loin derrière les lignes ennemies (…) avec Qibya, un nouveau sens de confiance en soi prenait racine »(page 90).

Ce qui domine la biographie de Sharon, comme celles de Ben Gourion, de Golda Meir, de Menachem Begin et d’Yitzhak Shamir, ces premiers ministres sous lesquels il a servi et auxquels il se réfère, c’est le mépris du Palestinien poussé jusqu’à sa plus extrême limite : sa négation qui autorise son élimination et qui fonde une logique du massacre d’Etat. Son autobiographie en fait foi, il partage sans réserve les mots d’un Ben Gourion, le fondateur de l’Etat d’Israël, qui, à propos des réactions à toute forme de résistance à la politique d’Israël notait dans son journal : «Faire sauter une maison ne suffit pas. Ce qu’il faut, ce sont des réactions cruelles et fortes. (…) Nous devons frapper sans pitié, y compris les femmes et les enfants. Autrement, les réactions ne sont pas efficaces. A l’heure de la réaction, il n’y a pas de place pour distinguer entre le coupable et l’innocent». (1 janvier 1948) ou de Golda Meir, premier ministre, qui déclarait au Sunday Times (15 juin 1969) : « Il n’y a pas de peuple palestinien.(…) Ils n’existent pas». ou encore de Menachem Begin, qui n’hésitait pas à déclarer à la tribune du parlement israélien le 8 juin 1982 : « Les Palestiniens sont des animaux à deux pattes. »

Mais même de tels propos ne suffisent pas à Sharon. Il ne croit pas aux contraintes juridiques. Il ne croit pas qu’Israël puisse confier sa sécurité à des accords et garanties internationaux. Au « sionisme politique » de Begin, il préfère le « sionisme pragmatique » que lui a enseigné son père et  qui s’appuie sur la conviction que rien ne peut s’accomplir par des accords de droit, si on ne s’est pas assuré en même temps des garanties sur le terrain (p. 392). Comme Ben Gourion, Sharon est le partisan du fait accompli – imposé par la force des armes – que viennent, seulement ensuite, et le cas échéant, consolider les dispositions politiques et juridiques. L’homme qui n’hésite pas à déclarer « Nos ancêtres ne sont pas venus ici pour construire une démocratie, mais pour construire un Etat juif » (Forward, 21 mai 1993) ne s’embarrasse guère des règles de droit qui civilisent les sociétés humaines. Evoquant la nécessité de prendre les terres et de créer les faits dans le réel, il écrit dans son autobiographie qu’il adhère à cette formule répétée dans le cercle familial : « ne parle pas de cela, fais en sorte que cela soit » (p.279).

A peine devenu Ministre de la Défense, Sharon a fait préparer des plans pour l’invasion du Liban. Son objectif était triple : ainsi qu’il l’a déclaré lui-même, il s’agissait de détruire l’OLP. Mais un deuxième objectif explique mieux la barbarie organisée par les FDI. En effet, la campagne « La Jordanie, c’est la Palestine » est venue confirmer les affirmations selon lesquelles un des objectifs d’Israël dans la guerre du Liban était l’expulsion de tous ses réfugiés palestiniens vers la Jordanie pour provoquer la chute du roi Hussein et y établir l’Etat palestinien. Enfin, Sharon reprenait à son compte un projet déjà formulé par Ben Gourion, le fondateur d’Israël. En mai 1948, à l’occasion d’une discussion sur les stratégies à mettre en œuvre une fois la guerre engagée avec les pays arabes, Ben Gourion déclarait à l’Etat-Major de la Haganah : « …nous devrions nous préparer à passer à l’offensive…le point faible est le Liban.(…). Un Etat chrétien devrait être établi, avec pour frontière Sud le Litani. Nous ferons alliance avec lui… » L’invasion du Liban en 1982 poursuivait aussi le rêve de mettre en place un protectorat libanais contrôlé par la famille Gemayel. Sharon n’a atteint aucun de ses objectifs. Mais, par contre, des dizaines de milliers de personnes en sont mortes dans des souffrance innommables.

Amos Perlmuytter, spécialiste israélo-américain d’histoire militaire et analyste des questions stratégiques, écrivait dans Foreign Affairs (automne 1982) :  « Begin et Sharon partagent le même rêve : Sharon est l’homme de main de ce rêve. Ce rêve est d’anéantir l’OLP, d’éteindre le moindre vestige du nationalisme palestinien, d’écraser les alliés et les partisans de l’OLP en Cisjordanie et, à la fin, de chasser les Palestiniens qui y sont vers la Jordanie et de paralyser, sinon de mettre fin au mouvement nationaliste palestinien. Tel était pour Sharon et Begin, l’objectif ultime de la guerre du Liban. »

Plus fondamentalement, on conviendra, avec Annette Levy-Willard, que « Sharon est le meilleur représentant de cette génération d’Israéliens pour qui – comme Begin – les mots de Juifs, d’Israël et de sécurité justifient toutes les raisons d’Etat et tous les immoralismes…qu’importent les moyens pourvu qu’on ait la fin » (Libération, 11 février 1983).

Philip Habib, qui fut une sorte d’anti-Kissinger de la diplomatie américaine, déclarait après les massacres : « Sharon est un assassin, animé par la haine contre les Palestiniens. J’ai donné à Arafat des garanties que les Palestiniens ne seraient pas touchés, mais Sharon ne les a pas honorées. Une promesse de cet homme ne vaut rien. (…) C’est le plus grand menteur, de ce côté-ci de la Méditerranée ».

Toute la carrière d’Ariel Sharon indique que cet homme a partagé avec certains dirigeants et une partie de la population de son pays la conviction que la sécurité d’Israël nécessitait une extension de son territoire jusqu’aux limites bibliques de la Palestine, l’homogénéité démographique la plus grande et la transformation du Liban en un protectorat dirigé par une dictature phalangiste. L’histoire d’Israël, dès 1947 jusqu’à nos jours, de même que la biographie d’Ariel Sharon fournissent des informations incontestables sur certaines méthodes auxquelles une partie de la classe politique et de l’establishment militaire n’ont eu aucun scrupule à recourir pour réaliser ces objectifs : la conquête militaire de territoires nouveaux, le nettoyage ethnique par la terreur, l’invasion et l’occupation du Liban après plusieurs années d’ingérences directes et de raids militaires, l’assimilation des populations civiles à l’ennemi.

C’est le constat que fait la Commission MacBride : « En d’autres mots, l’actuel leadership de l’Etat d’Israël a été directement impliqué dans des politiques terroristes à l’égard des populations civiles palestiniennes. La Commission tire la conclusion que les massacres de Sabra et Chatila constituent seulement un exemple culminant de ce type d’implication, renforçant avec l’intensité historique notre appréciation que l’Etat d’Israël, ses dirigeants civils et militaires, comme responsables officiels, portent en droit la responsabilité de ces évènements et de la terrible tragédie qu’ils ont provoquée. »

Dès le début de sa carrière, Sharon est de ceux qui ont fait le choix de tels objectifs et de telles méthodes. Maître dans l’art d’imposer ses vues par la force, après avoir dissimulé ou menti, il a très souvent placé sa hiérarchie militaire, son premier ministre, ses collègues du gouvernement et les alliés les plus inconditionnels de son pays devant des faits accomplis. Il s’est presque toujours efforcé d’imposer des solutions militaires aux problèmes politiques.

Ainsi remises en perspective, l’histoire d’Israël et la vie de Sharon font apparaître les crimes perpétrés à Sabra et Chatila, non pas comme un accident, non pas comme une exception malheureuse dans une continuité qui serait par ailleurs conforme à la morale et au droit, mais bien comme une étape dans une longue suite d’actions militaires extrêmement coûteuses en vies humaines et amplement destructrices combinées à des opérations répétées de massacres destinés à terroriser et à faire fuir des populations niées dans leur droit à l’existence, bafouées dans leurs droits fondamentaux et dans leur dignité au point d’être traitées comme des « untermenschen» dont on justifie l’élimination en les appelant systématiquement des « terroristes ». Comme l’écrit Thomas Friedman, « les soldats israéliens n’ont pas vu des civils innocents en train d’être massacrés et ils n’ont pas entendu les hurlements des enfants innocents conduits à leur tombe. Ce qu’ils ont vu, c’est « l’infestation terroriste » qui est « nettoyée » et des « infirmiers terroristes » qui s’enfuient et des « teenagers terroristes » qui essaient de se défendre et ce qu’ils ont entendu sont les hurlements de « femmes terroristes ».

Robert Fisk rappelle que, dans son journal, Anne Frank a décrit comment Utrecht allait être « nettoyée » des Juifs par les Allemands. Comme si les Juifs étaient des « cafards » ! s’indignait-elle. « Nettoyer », le verbe utilisé par Sharon et Eytan à propos des Palestiniens. « Cafards », le mot employé par Eytan, devant la Knesset en avril 1983, pour nommer les Palestiniens des Territoires occupés…

Menahem Begin avait écrit dans ses Mémoires que le massacre de Deir Yassine était une « victoire». Sharon, peu avant Sabra et Chatila, avait rappelé aux Palestiniens de se souvenir de Deir Yassine. Sur ordre de Sharon, par l’action coordonnée des Forces de Défense d’Israël et des milices chrétiennes libanaises, Sabra et Chatila ont été transformés en camps d’extermination.

De telles pratiques n’ont pas leur place dans un monde où doivent prévaloir et s’imposer les valeurs qui fondent l’humanité. Ces pratiques sont prohibées. Elles ne peuvent l’être selon les opportunités politiciennes du moment, selon que les bourreaux sont ou ne sont pas les amis de l’un ou l’autre pays. Elles doivent être sanctionnées, sous toutes les latitudes et quels que soient les bourreaux. Les hommes qui en assument la responsabilité portent atteinte à l’humanité tout entière et doivent être jugés et punis « afin de défendre l’honneur ou l’autorité de celui qui a été lésé, afin que l’absence de châtiment n’entraîne pas la dégradation de la victime», comme y invitait Grotius, le père du droit international, cité lors du procès de Jérusalem contre Eichmann. 

Pour l’honneur d’Israël et du peuple juif, il s’est trouvé 400.000 personnes, un soir à Tel Aviv, pour refuser l’inacceptable. Il s’est trouvé un Yeshayahu Leibovitz, professeur à l’Université Hébraïque et éditeur de l’Encyclopedia Hebraica, pour assumer, en déclarant : « le massacre fut accompli par nous. Les Phalangistes sont nos mercenaires exactement comme les Ukrainiens, les Croates et les Slovaques furent les mercenaires d’Hitler, qui les a organisés en soldats pour faire le travail pour lui. De la même manière, nous avons organisé les assassins au Liban en vue de tuer les Palestiniens. »

Il reste à trouver des magistrats courageux. Peu importe où, pourvu qu’ils jugent au nom de l’humanité meurtrie par Sharon. Car « les assassins modernes, serviteurs de l’Etat, auteurs de meurtres en série, doivent être poursuivis parce qu’ils ont violé l’ordre de l’humanité » insistait Hanah Arendt au terme de sa réflexion sur le procès Eichmann. 

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Le texte qui précède date de 2002 ;  il ne s’est pas trouvé de magistrats courageux pour juger celui qui a violé l’ordre de l’humanité…

Raoul Marc JENNAR

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12 janvier 2014 7 12 /01 /janvier /2014 21:48

Que danser

Dimanche, 12 janvier 2014Ainsi-parlait-Zarathoustra-2013.jpg

 

A Dieudonné et à tous ceux qui ont un jour été enfermés par

un état dans ses geôles de silence et de mort

 

je ne sais faire que danser

malgré mes deuils mes amitiés

incinérées il va le vent

soufflant au vol les cendriers

les crématoires les bûchers

mat mat mat traque et je m’enfuis devant

la peur la haine le courroux

montés par les fils de Camarde

viva la muerte mors aux dents

les chevaux captifs me regardent

baladin défier les gourous

des hommes blancs des hommes blacks

c’est un jeu mais ils ne jouent pas

je fuis devant et ils me traquent

je suis le fou diagonale banale

j’ai perdu ma montre à gousset

au fond de la grotte où je me suspends

je crois que je vais finir en civet

quand les chauves-souris m’offrent leur sang

goutte à goutte pour me sauver

 

je ne sais faire que danser

vers moi descendent cannibales

des cavaliers d’argent je fuis devant

mais héroïques se détraquent

les pendules mes amitiés

mat mat mat traque qui se font la malle

bien avant le lever du jour

me laissent seul flairer le vent

les cavaliers s’acharnent de leurs tours

en rappel qu’ai-je donc perdu

sur les glissières sans retour

l’échapper belle coupable toujours

dans leur récit leur jugement rendu

te taille un costard pour ta vie d’avant

et puis soudain j’en ai ma claque

des poinçonneurs du temps qui ment

on m’appelle du côté de la rue

des vieux abonnés devenus absents

rattraperai‑je le lapin d’Alice

je fuis devant et ils me traquent

 

je ne sais faire que danser

perchés sur les toits les voyeurs obscènes

salivent le compte à rebours

des héros artistes a commencé

ils vont me lyncher avec la rosée

mat mat mat traque j’ai pas de gants blancs

c’est bien ma veine je les ai posés

devant l’échiquier j’ai fait demi‑tour

la reine les a pris mes mains sont noires

bouffons triés metteurs en scène

de la tragédie des peuples châtrésle-maitre--du-monde-2013.jpg

état sans grâce tu laissais partir

enfants vieillards pions blancs pions noirs

estampillés par tes cornacs

ils sont d’accord ton bouc je suis

dans un bocal très insouciant

surnage mon corps lapin blanc

Négro quelle drôle d’arnaque !

à vue d’heure je rétrécis

devant je fuis et ils me traquent

 

je ne sais faire que danser

les cavaliers joueront gagnant

sur nos carcasses trépassées

de clowns qui s’en vont refusant

parmi les chevaux échappés

mat mat mat traque saison morte

d’endosser la cape de sang

des abattoirs trop étroite est la porte

par la lucarne des greniers

de mon corps de fou je m’enfuis

je m’agenouillerai devant la pluie

la chair des animaux meurtrie

une couleuvre aux beaux yeux verts

m’a redonné goût à la vie

carrés noirs carrés blancs mais ça suffit !

me voici nain échec me dit la reine

je perds la tête c’est la mise à sac

je ne ferai rien à moitié

lapin blanc est là hors d’haleine

je fuis devant et ils me traquent

 

je ne sais faire que danser

j’ai mis tous les pions au panier

toi viens ici ! s’écrie le roi

sûrement pas répond le vent

mes ancêtres gravent avec bonté

mat mat mat traque leur histoire 

leurs révoltes et leurs combats

aux états coloniaux esclaves noirs

si on veut causer sérieux y’a de quoi

les marchandeurs de repentance

alors moi je préfère en rire

et vous faire entrer dans la danse

leur vieux sac à malice est plein de mort

j’aime mieux aux enfants de Palestine

avoir mille lapins blancs à offrir

échec et mat soit j’accepte mon sort

ils me traquent je fuis poussière fine

nargue leurs matraques je suis vivant

libre de votre décor je me tire

je ne sais faire que danser.

le-coup-des-lapins

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11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 21:57

   Il y aurait dû y avoir un autre texte en place de celui-ci concernant la liberté d'expression bien sûr et puis voilà... cette mémoire-là aujourd'hui Ouais surtout aujourd'hui avec ce qu'on sait de l'interdit qui nous remet aux tripes des rages qu'on croyait pouvoir remiser on va bien vite la nier n'est-ce pas ?

   Sabra et Chatila qu'est-ce que c'est Hein ?

   Y a un paquet de gaziers ici chez nous enfin non pas chez moi en tout cas car ce pays-ci n'est pas chez moi qui ont intérêt à ce qu'on oublie ce qui s'est passé là-bas ailleurs au Liban justement... ce Liban où un certain président d'un certain pays va offrir via L'Arabie Saoudite des armes toutes fraîches de fabrication maison pour que la belle guerre civile syrienne puisse s'y étaler grassement Hein ?

    En mémoire des Palestiniens et des Libanais massacrés par l'armée israélienne d'Ariel Sharon et ses potes des Phallanges Chrétiennes il n'y aura aucune image sur ce texte...

    BLANC MUET EFFACE MORT ABSENCE SILENCE OUBLI RIEN


Sabra et Chatila (1) Le 16 Septembre 1982 ...
Al Faraby

En date du 6 juin 1982, l’armée israélienne a envahi le Liban. L’opération israélienne, préparée de longue date, est baptisée "paix en Galilée".

Initialement, le gouvernement israélien avait annoncé son intention de pénétrer sur 40 km dans le territoire libanais. Le commandement militaire, sous la direction du ministre de la défense, le général Ariel SHARON, a cependant décidé d’exécuter un projet plus ambitieux que Sharon avait préparé depuis plusieurs mois. Après avoir occupé le sud du pays, et y avoir détruit la résistance palestinienne et libanaise, tout en commettant déjà une série d’exactions contre la population civile , les troupes israéliennes ont effectué une percée jusqu’à Beyrouth, encerclant à partir du 18 juin 1982 les forces armées de l’Organisation pour la Libération de la Palestine, retranchées dans la partie ouest de la ville.

L’offensive israélienne, et notamment les bombardements intensifs sur Beyrouth, auraient occasionné, selon des statistiques libanaises, 18.000 morts et 30.000 blessés, en très grande majorité des civils.

Après deux mois de combat, un cessez-le-feu a été négocié par l’intermédiaire de l’émissaire des Etats-Unis, Philippe HABIB. Il a été convenu que l’O.L.P. évacuerait Beyrouth, sous la supervision d’une force multinationale qui se déploierait dans la partie évacuée de la ville. Les Accords Habib envisageaient que Beyrouth-Ouest soit éventuellement investi par l’armée libanaise, et des garanties américaines étaient données au leadership palestinien pour la sécurité des civils dans les camps après leur départ.

L’évacuation de l’O.L.P. s’est terminée le 1er septembre 1982.

Le 10 septembre 1982, les forces multinationales ont quitté Beyrouth. Le lendemain, Ariel SHARON annonçait que "deux mille terroristes" restaient encore dans les camps de réfugiés palestiniens autour de Beyrouth. Le mercredi 15 septembre, après l’assassinat la veille du président-élu Bachir GEMAYEL, l’armée israélienne occupait Beyrouth-ouest, "encerclant et bouclant" les camps de Sabra et de Chatila, habités uniquement par une population civile palestinienne et libanaise, l’entièreté des résistants armés (plus de 14.000 personnes) ayant évacué Beyrouth et sa banlieue.

Historiens et journalistes s’accordent pour admettre que c’est probablement lors d’une rencontre entre A. SHARON et B. GEMAYEL à Bikfaya le 12 septembre, qu’un accord a été conclu pour autoriser les « Forces libanaises » à « nettoyer » ces camps palestiniens. L’intention d’envoyer les forces phalangistes dans Beyrouth-ouest avait déjà été annoncée par SHARON le 9 juillet 1982 et dans sa biographie, il confirme avoir négocié l’opération lors de la rencontre de Bikfaya.

Selon les déclarations d’Ariel SHARON au Knesset (parlement israélien) en date du 22 septembre 1982, l’entrée des Phalangistes dans les camps de réfugiés de Beyrouth fut décidée le mercredi 15 septembre 1982 à 15h30. Toujours selon le général SHARON, le commandant israélien avait reçu comme instruction : "Il est interdit aux forces de Tsahal d’entrer dans les camps de réfugiés. Le ratissage et le nettoyage des camps seront effectués par les Phalanges ou l’armée libanaise".

Dès l’aube du 15 septembre 1982, des chasseurs bombardiers israéliens ont commencé à survoler Beyrouth-ouest à basse altitude et les troupes israéliennes ont entamé leur entrée dans Beyrouth-ouest. A partir de 9h du matin, le général SHARON a été lui-même sur place pour diriger personnellement la poursuite de la percée israélienne, et s’est installé au quartier général de l’armée au carrefour de l’ambassade du Koweit, situé à la limite de Chatila. Du toit de cet immeuble de 6 étages, on pouvait parfaitement observer la ville et les camps de Sabra et Chatila.

Dès midi, les camps de Sabra et Chatila, qui forment en réalité une seule zone de camps de réfugiés au sud de Beyrouth-ouest, sont encerclés par des chars et par des soldats israéliens, qui installent tout autour des camps des points de contrôle permettant de surveiller les entrées et les sorties. Durant la fin de l’après-midi et la soirée, les camps sont bombardés au tir d’obus.

Le jeudi 16 septembre 1982, l’armée israélienne contrôle l’ensemble de Beyrouth-ouest. Dans un communiqué, le porte-parole militaire déclare "Tsahal contrôle tous les points stratégiques de Beyrouth. Les camps de réfugiés, incluant les concentrations de terroristes, sont encerclés et fermés".

Au matin du 16 septembre, l’ordre 6 est donné par le haut commandement de l’armée : "Searching and mopping up of the camps will be done by the Phalangists/ Lebanese Army"

Pendant la matinée, des obus sont tirés vers les camps depuis les hauteurs environnantes et des tireurs d’élite israéliens postés autour, tirent sur des personnes se trouvant dans les rues. Vers midi, le commandement militaire israélien donne aux milices phalangistes le feu vert pour l’entrée dans les camps de réfugiés. Peu après 17h, une unité d’environ 150 Phalangistes entre par le sud et le sud-ouest dans le camp de Chatila.

Lorsque le général Drori appelle par téléphone Ariel Sharon et lui annonce : "Nos amis avancent dans les camps. Nous avons coordonné leur entrée." Ce dernier répond "Félicitations !, l’opération de nos amis est approuvée."

Pendant 40 heures, dans les camps « encerclées et bouclés », les miliciens phalangistes vont violer, tuer, blesser un grand nombre de civils non armés, en majorité des enfants, des femmes et des vieillards. Ces actions sont accompagnées ou suivies de rafles systématiques, avalisées ou renforcées par l’armée israélienne, résultant dans des dizaines de disparitions.

Jusqu’au matin du samedi 18 septembre 1982, l’armée israélienne, qui savait parfaitement ce qui se passait dans les camps, et dont les dirigeants étaient en contact permanent avec les dirigeants des milices qui perpétraient le massacre, s’est non seulement abstenue de toute intervention, mais a fourni une aide directe en empêchant des civils de fuir les camps et en organisant un éclairage constant des camps durant la nuit, moyennant des fusées éclairantes, lancées par des hélicoptères et des mortiers.

Les chiffres des victimes varieront entre 700 (chiffre officiel israélien) et 3.500 (notamment l’enquête précitée du journaliste israélien KAPELIOUK). Le chiffre exact ne pourra jamais être déterminé parce que, outre environ 1.000 personnes qui ont été enterrées dans des fosses communes par le C.I.C.R. ou enterrées dans des cimetières de Beyrouth par des membres de leur famille, un grand nombre de cadavres ont été enterrés par les miliciens eux-mêmes, qui les ont ensevelis sous des immeubles qu’ils ont détruits avec des bulldozers.

Par ailleurs, surtout les 17 et 18 septembre, des centaines de personnes avaient été emmenées vivantes dans des camions vers des destinations inconnues et ont disparu.

Depuis le massacre, les victimes et survivants des massacres n’ont bénéficié d’aucune instruction judiciaire, ni au Liban, ni en Israël, ni ailleurs. Sous la pression d’une manifestation de 400.000 participants, le parlement israélien (Knesset) a nommé une commission d’enquête sous la présidence de Monsieur Yitzhak KAHAN en septembre 1982. Malgré les limitations résultant tant du mandat de la Commission (un mandat politique et non judiciaire) que de son ignorance totale des voix et demandes des victimes, la Commission a conclu que "Le Ministre de la Défense était personnellement responsable" des massacres.

Sur l’insistance de la Commission, et des manifestations qui ont suivi son rapport, SHARON démissionnait de son poste de Ministre de la Défense, tout en gardant un poste au gouvernement comme ministre sans portefeuille. Il est à noter que la manifestation du mouvement "Paix Maintenant", qui a immédiatement précédé sa "démission", avait donné lieu à une attaque à la grenade de ses partisans contre les manifestants, résultant dans la mort d’un jeune manifestant.

Par ailleurs, plusieurs enquêtes non officielles et rapports basés sur des témoignages surtout occidentaux, dont celle de MacBride et de la Nordic Commission, ainsi que des rapports journalistiques et historiques fouillés, ont réuni des informations précieuses. Ces textes, en tout ou en partie, sont joints au dossier en annexe.

Malgré l’évidence du "massacre criminel", qualification du Conseil de Sécurité, et la triste place des massacres de Sabra et Chatila dans la mémoire collective de l’humanité au rang des grands crimes du XXème siècle, le "responsable personnel" de ces massacres, ses acolytes, et les exécutants, n’ont jamais été poursuivis en justice ou punis. Les journalistes israéliens Schiff et Yaari avaient conclu, en 1984, leur chapitre sur le massacre par cette réflexion : "If there is a moral to the painful episode of Sabra and Shatila, it has yet to be acknowledged."

Cette réalité de l’impunité est tout aussi vraie aujourd’hui.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a condamné le massacre par la résolution 521 (1982) du 19 septembre 1982. Cette condamnation a été suivie par une résolution de l’Assemblée Générale du 16 décembre 1982 qui a qualifié le massacre comme "acte de génocide".

http://bellaciao.org/fr/article.php...

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