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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 19:04

Damnés de la terreMasq

 

5 décembre 2013 mort de Nelson Mandela à 95 ans à Johannesburg.

6 décembre 1961 mort de Frantz Fanon à 36 ans à Washington d’une leucémie.

20 juillet 1925 Frantz Fanon naît à Fort-de-France. 1943 il entame des études de médecine à Lyon en même temps que des études de philosophie et de psychiatrie. Il centre son travail sur la psychologie en milieu colonial.

1952 il publie Peau noire, masques blancs sa thèse de doctorat en psychiatrie aux Ed. du Seuil.

De 1953 jusqu'à 1956 il est médecin‑chef à l'hôpital psychiatrique de Blida‑Joinville et y introduit des méthodes de sociothérapie qu'il adapte à la culture des patients musulmans algériens.

1954 c’est le début de la Guerre d’Algérie et Fanon entre en contact avec des officiers de l’ALN et des responsables du FLN.

Novembre 1956 il démissionne de son poste et est expulsé d'Algérie en 1957 par les autorités françaises. Il rejoint le GPRA à Tunis puis devient membre de rédaction d'El Moudjahid.

1959 Fanon fait partie de la délégation algérienne au Congrès pan-africain d'Accra.  L'An V de la révolution algérienne est publié par François Maspéro.

Mars 1960 il est nommé ambassadeur de l'Algérie au Ghana.

1961publie Les Damnés de la terre préfacé par Sartre aux Ed. Maspéro.

 

“ Les peuples africains se sont récemment découverts et ont décidé, au nom du continent, de peser de manière radicale sur le régime colonial. Or les bourgeoisies nationales, qui se dépêchent, région après région, de constituer leur propre magot et de mettre en place un système national d’exploitation, multiplient les obstacles à la réalisation de cette ‘ utopie’. Les bourgeoisies nationales parfaitement éclairées sur leurs objectifs sont décidées à barrer la route à cette unité, à cet effort coordonné de deux cent cinquante millions d’hommes pour triompher à la fois de la bêtise, de la faim et de l’inhumanité. C’est pourquoi il nous faut savoir que l’unité africaine ne peut se faire que sous la poussée et sous la direction des peuples, c’est-à-dire au mépris des intérêts de la bourgeoisie. ( … )

Economiquement impuissante, ne pouvant mettre à jour des relations sociales cohérentes, fondées sur le principe de sa domination en tant que classe, la bourgeoisie choisit la solution qui lui semble la plus facile, celle du parti unique. Elle ne possède pas encore cette bonne conscience et cette tranquillité que seules la puissance économique et la prise en main du système étatique pourraient lui conférer. ( … ) Le parti unique est la forme moderne de la dictature bourgeoise sans masque, sans fard, sans scrupule, cynique. ( … )

Comme elle ne partage par ses bénéfices avec le peuple et ne lui permet aucunement de profiter des prébendes que lui versent les grandes compagnies étrangères, elle va découvrir la nécessité d’un leader populaire auquel reviendra le double rôle de stabiliser le régime et de perpétuer la domination de la bourgeoisie. La dictature bourgeoise des pays sous-développés tire sa solidité de l’existence d’un leader. Dans les pays développés, on le sait, la dictature bourgeoise est le produit de la puissance économique de la bourgeoisie. Par contre dans les pays sous-développés le leader représente la puissance morale à l’abri de laquelle la bourgeoisie, maigre et démunie, de la jeune nation décide de s’enrichir.

Le peuple qui, des années durant, l’a vu ou entendu parler, qui de loin, dans une sorte de rêve a suivi les démêlés du leader avec la puissance coloniale, spontanément fait confiance à ce patriote. Avant l’indépendance, le leader incarnait en général les aspirations du peuple indépendance, libertés politiques, dignité nationale. Mais, au lendemain de l’indépendance, loin d’incarner concrètement les besoins du peuple, loin de se faire le promoteur de la dignité réelle du peuple, celle qui passe par le pain, la terre et la remise du pays entre les mains sacrées du peuple, le leader va révéler sa fonction intime : être le président général de la société de profiteurs impatients de jouir que constitue la bourgeoisie nationale.

En dépit de sa fréquente honnêteté et malgré ses déclarations sincères, le leader est objectivement le défenseur acharné des intérêts aujourd’hui conjugués de la bourgeoisie nationale et des ex-compagnies coloniales. ( … ) Le leader apaise le peuple. Des années après l’indépendance, incapable d’inviter le peuple à une œuvre concrète, incapable d’ouvrir réellement l’avenir au peuple, de lancer le peuple dans la voie de la construction de la nation, donc de sa propre construction, on voit le leader ressasser l’histoire de l’indépendance, rappeler l’union sacrée de la lutte de libération. Le leader, parce qu’il refuse de briser la bourgeoisie nationale, demande au peuple de refluer vers le passé et de s’enivrer de l’épopée qui a conduit à l’indépendance. Le leader - objectivement - stoppe le peuple et s’acharne soit à l’expulser de l’histoire, soit à l’empêcher d’y prendre pied. ( … )

La nation ne doit pas être une affaire dirigée par un manitou. Aussi comprend-t-on cette panique qui s’empare des sphères dirigeantes chaque fois qu’un de ces leaders tombe malade. C’est que la question qui les obsède est celle de la succession. Que deviendra le pays si le leader disparaît ? Les sphères dirigeantes qui ont abdiqué devant le leader, irresponsables, inconscientes, préoccupées essentiellement de la bonne vie qu’elles mènent, des cocktails organisés, des voyages payés et de la rentabilité des combines découvrent de temps à autre le vide spirituel au cœur de la nation. ( … )

Le gouvernement national s’il veut être national doit gouverner par le peuple et pour le peuple, pour les déshérités et par les déshérités. Aucun leader quelle que soit sa valeur ne peut se substituer à la volonté populaire et le gouvernement national doit, avant de se préoccuper de prestige international, redonner dignité à chaque citoyen, meubler les cerveaux, emplir les yeux de choses humaines, développer un panorama humain parce qu’habité par des hommes conscients et souverains. ”

 

“ Mésaventure de la conscience nationale ” in Les damnés de la terre

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Carnet de Route Lundi, 17 décembre 2013 RER E Le Perreux

 

Au Perreux la chambre toute petite où je croyais ne jamais pouvoir écrire et je ne voyais pas mais Yurugu l’ami qui ne se sépare pas de son boulier de sable le savait que c’était parmi toutes mes gares de transhumance une de celles qui me rapproche de la vie. La vie comme elle est dans sa coquille vitrail d’inconnu avec ses grands arbres sa mousse épaisse que les chats dévorent de leurs pieds velours sa chouette hulotte et les mille quinquets météores de ses yeux étoiles fugitives de ma night son troupeau de fleurs toujours filant les saisons de leur quenouille de couleurs et de parfums passagers. La vie que je n’ai pas eue ici jamais dans la citadelle de Babylone‑Zero une gare une vraie de celle où on attend de prendre les rails juste pour cette éclaboussure d’azur qu’on a toujours sue et pas à côté cette cible qu’on n’atteindra pas parce que la nature intime des rails et leur brûlure de métal sur la peau des pieds dessous où la rosée du matin et de la nuit rassure de ne pas finir.

Il n’y a pas de piste de braise qui s’achève et aucun désert qui touche à sa fin pour la caravane il n’y a pas de puits qui étanche ma soif et qui me désaltère du désir d’enfance vigoureux et neuf de croiser dans une gare aux volets de bois bleu lavande et sa farandole de mosaïques fleuries verte bleue blanche au fronton l’autre le voyageur l’errant le hobo mon frère d’autres trains de nuit qui comme moi ont lié leur histoire à la route de la bonne poésie.marionnette.jpg

Petites pépites d’or pathétiques de quelques jours les feuilles du bouleau en face de la fenêtre ne pèsent rien entre mes doigts et je les sèmerai demain cendres luisantes sur la terre pour les fruits que j’attends dans tous nos jardins celui‑ci et son verger qui m’a gardée tout l’été dans sa bonté a été vendu comme nous le sommes tous un jour à de fiévreux fabricants de murailles qui sont nos tombes déjà debout et la petite gare rejoindra bientôt les gravats gris bleu de mon enfance ferroviaire au goût d’amande et de prunelles.

Tuit tuit tuit j’entends l’appel audacieux et messager des froids des mésanges sur les branches au frisson soyeux des tamaris que le givre n’a pas déshabillés elles ne prennent pas elles la suite de la longue caravane d’Afrique des oiseaux migrateurs elles demeurent petites paysannes de l’écorce et du sel boules de soleil et de ciel turquoise écarquillées dans les creux d’ombre aux coupantes épées d’indigo.

Ma maison d’étrangère est ici dans les 14m2 où les livres de mes frères de sang poètes à misère sont mes boucliers de solitude je relis la vie de Camille Claudel Une Femme d’Anne Delbée qui court saute vole m’arrive par toutes les portes ouvertes à la volée de mon enfance mon grand‑père cheminot les premières gares les premiers trains la terre mouillée aggravée d’herbes savane haute bonnes protectrices les vieux pommiers tordus frondeurs creuseurs d’étoiles roses les sapins gardiens mes doigts poisseux de résine les cerisiers rouge sang et les papiers du notaire un jour d’été dans les mains de ma mère.

“ Entourée de héros, elle a décidé de montrer dans les groupes qu’elle choisit comment les petits triomphent des grands. L’idée lui en est venue l’autre matin. Une des pierres du Géyn, minuscule clown… ” Tous puissants et fomenteurs de mort de notre monde à Prétoria et à Qunu arrachant un petit morceau de chair chacun du corps emprisonné dedans de leur cachot monstrueux aux barreaux de mots indignes de l’acier bleu forgé à mains nues et fidèles de Mandela.

6 décembre 1961 Frantz Fanon meurt à Washington d’une leucémie. Les Damnés de la terre c’est nous n’est‑ce pas mon frère… mon frère le scorpion à qui je dois à qui nous devons d’être arrachés sans cesse à la terre qui est nôtre nous les enfants de terre‑béton qui la connaissons pourtant de tout notre corps en route. Fanon black comme Césaire anarcho‑communiste comme Sénac qui nomment tous les trois la Négritude de notre misère sociale et humaine.la-fin-dec-2013.jpg

Fanon qui écrit à partir de l’Afrique il y a 50 ans : “ La bourgeoisie occidentale a aménagé suffisamment de barrières et de garde‑fous pour ne pas craindre réellement la compétition de ceux qu’elle exploite et qu’elle méprise. Le racisme bourgeois occidental à l’égard du nègre et du “ bicot ” est un racisme de mépris ; c’est un racisme qui minimise. Mais l’idéologie bourgeoise qui est proclamation d’une égalité d’essence entre les hommes se débrouille pour rester logique avec elle‑même en invitant les sous‑hommes à s’humaniser à travers le type d’humanité occidental qu’elle incarne. ”

La petite bourgeoisie qui est parvenue à nous séparer de nos origines paysannes nomades en nous fossilisant dans l’usine tombeau d’où on peut imaginer en vain sortir et rentrer à volonté et dans le linceul de la Babylone‑Zero a réussi à nous couper de notre corps vivant.

Novembre 1969 treize ans au pensionnat et mon grand‑père le cheminot des arbres monte à bord de sa dernière loco je suis nulle part je ne la verrai pas s’éloigner je deviens un train de nuit dix ans plus tard ma mère vend la petite maison le jardin et son jardinier je suis déjà On the road je ne sais rien je n’aurai plus jamais de racines mais j’ai la conscience lucide et poétique du vol qui m’a été fait de mon histoire.   

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1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 21:36

Né quelque part ? affiche-27e-salon-du-livre-et-de-la-bd-de-creil.jpg

“ Né quelque part… ” est‑ce que c’est parce que mes premiers souvenirs visuels à peine flous sont ceux d’un sixième étage à Aubervilliers que ces mots me font sourire…

Tous les immigrés qui ont dû quitter l’Algérie dans les années 50‑60 pour venir servir de main‑d’œuvre prolétaire souvent analphabète et traitée en esclaves se reconnaîtront dans la phrase de Tchekov : “ Nous travaillons pour les autres jusqu'à notre vieillesse et quand notre heure viendra, nous mourrons sans murmure et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons pleuré, que nous avons vécu de longues années d’amertume, et Dieu aura pitié de nous. ”

 

Je ne sais pas pourquoi mais je suis sûre que le pays natal pour celui qui écrit c’est sa langue d’écriture ou ses langues s’il se déplace entre plusieurs cultures. Il n’en existe pas d’autre car sinon l’écriture la création ne seraient pas ces besoins frénétiques obsessionnels qui accompagnent chacun des gratteurs de papier jusqu’à sa mort. Et au‑delà aussi parfois.

Celui qui est né sur une terre ou aux rebords d’un désert qu’il peut toucher de ses pieds faire couler entre ses doigts comme la boue ocre noire du fleuve Niger et façonner comme un monde au creux de ses paumes nues n’écrit pas. Il écrira si la terre vient à lui manquer. Il la remplacera par une terre de papier faute de quoi il deviendra fou peut‑être. Absent en tout cas. Absent à lui et à la lumière du monde à l’azur entr’ouvert à l’horizon éperdu.

“ Va‑t’en pour toi… ” jolie citation et une belle image littéraire sortie d’un livre et comme nous sommes des écrivains nous avons tendance à nous inspirer des livres pour parler de la vie. De la vie de gens qui n’ont parfois jamais lu de livres.

A ce livre donc fait écho un autre livre qui appartient à l’histoire des immigrés maghrébins la plupart Kabyles d’Algérie ou du Maroc avec lesquels j’ai partagé nos enfances dans ces lieux qu’on a appelé des banlieues. Ces lieux‑là certains comme moi y sont nés et d’autres comme eux y ont débarqué dans les années 50‑60 sans imaginer ni moi ni eux ce qui nous attendait. Ces hommes ces femmes et les enfants avec lesquels j’ai grandi je les nomme mes frères de sang.

Le livre dont il s’agit c’est Le fils du pauvre de Mouloud Feraoun publié en 1950. L’histoire que raconte Mouloud Feraoun c’est la sienne et celle des siens de sa famille et du petit village de Haute‑Kabylie Tizi Hibel où la misère décrite par Camus dans Alger Républicain en 1939 dans l’article intitulé Misère de la Kabylie est ce qui pousse le père pauvre et illettré à partir en France d’où il reviendra handicapé à la suite d’un accident de travail à l’usine.

Cet article de Camus sera repris par la suite et publié dans le recueil Chroniques Algériennes 1939‑1958, Actuelles III/Misère de la Kabylie aux Ed. Gallimard en 1958. Ce petit extrait pour illustrer la suggestion du Va‑t’en pour toi :

“ Les gens qui meurent de faim n'ont généralement qu'un moyen d'en sortir et c'est le travail. C'est là une vérité première que je m'excuse de répéter. Mais la situation actuelle de la Kabylie prouve que cette vérité n'est pas aussi universelle qu'elle le paraît. J'ai dit, précédemment, que la moitié de la population kabyle est en chômage et que les trois quarts sont sous-alimentés. Cette disproportion n'est pas le résultat d'une exagération arithmétique. Elle prouve seulement que le travail de ceux qui ne chôment pas ne les nourrit pas.

On m'avait prévenu que les salaires étaient insuffisants. Je ne savais pas qu'ils étaient insultants. On m'avait dit que la journée de travail excédait la durée légale. J'ignorais qu'elle n'était pas loin de la doubler. Je ne voudrais pas hausser le ton. Mais je suis forcé de dire ici que le régime du travail en Kabylie est un régime d'esclavage. Car je ne vois pas de quel autre nom appeler un régime où l'ouvrier travaille de 10 à 12 heures pour un salaire moyen de 6 à 10 francs. ”dr-ancienne-maison-kabyle_1401415_465x348.jpg

 Et le récit de la nuit vécue par l’enfant précédant le départ du père dans Le fils du pauvre :

 Le soir qui précéda le départ, aucun de ses enfants ne s'en doutait. Mais le hasard voulut que Fouroulou se réveillât pendant la nuit. Son père ne dormait pas. Il priait dans l'obscurité. Il priait à haute voix, demandant à la Providence d'avoir pitié de lui, de venir à son aide, d'écarter les obstacles de sa route, de ne pas l'abandonner. Puis, dans un élan désespéré, il l'implorait de veiller sur ses enfants. Dans le silence de la nuit, le ton était grave et profond. Chaque demande était suivie d'une confession émouvante. Ramdane dépeignait son embarras, sa misère.

Il sembla à Fouroulou qu'une présence surnaturelle planait au-dessus d'eux et entendait tout. Il était perplexe. Il lui suffisait d'étendre son bras pour toucher son père, car il dormait toujours à côté de lui. Pourtant, il retint sa respiration et ne bougea pas. Il se demandait ce qui arrivait. La douleur de son père lui serrait la gorge et des larmes se mirent à couler silencieusement sur ses joues.

Tant que dura la prière, il ne put fermer l'oeil. Il essaya de découvrir le nouveau tourment de la famille. Ne trouvant rien, il se dit que peut-être tous les pères prient ainsi en secret, lorsque leur famille a beaucoup d'ennuis ‑ ce qui était le cas des Menrad, il le savait très bien. Alors, il joignit de tout son coeur sa prière à celle de son père et s'endormit sans savoir comment.

Le lendemain matin se levant le dernier, comme d'habitude, il trouva sa mère et ses soeurs tout en pleurs. Le père était parti à l'aube, et, pour ne pas accroître son chagrin, il avait préféré partir à l'insu de tous sans embrasser personne. Il venait de renvoyer à un ami sa gandoura et son burnous. Il partait dans la veste et le pantalon français que lui avait donnés un cousin et qu'on l'avait vu rapiécer avec application la semaine précédente. ( … )

Vingt-deux jours après, la première lettre arriva. Elle avait été remise par l'amin. Personne n'osa l'ouvrir avant quatre heures, en l'absence de Fouroulou qui était en classe. Il prit le message des mains de Baya et embrassa l'enveloppe. Tous l'entouraient. Son petit frère Dadar le tirait par sa gandoura et lui disait : ‘ Vite, montre-moi mon père. ’ Il hésitait. Il était au cours moyen, mais une lettre, c'est difficile, il faut expliquer. Pour plus de sûreté, il décida d'appeler un ancien qui avait quitté l'école avec le certificat. Le savant ne se fit pas prier. Il vint, ouvrit la lettre d'une main sûre et se mit à traduire.

Au fur et à mesure qu'il lisait et traduisait, Fouroulou se rendait compte qu'il pouvait en faire autant. Ses yeux brillaient de joie. Il n'y avait qu'une expression qui pouvait l'embarrasser : ‘ il ne faut pas vous faire de mauvais sang ’.

Le père est ‘ en bonne santé ’, il ‘ espère ’ que ses enfants se trouveront ‘ de même ’. Il

travaille, il ne tardera pas à envoyer un peu d'argent. Il demande à ses enfants d'être sages, d'obéir à leur mère. Il ne faut pas mener la chèvre dans le champ d'oliviers où il y a de jeunes greffes ; il ne faut pas négliger de suspendre au bon moment des dokkars aux figuiers. La lettre est pleine de recommandations. Il donne ses ordres exactement comme s'il était là. ”

Mouloud Feraoun devenu instituteur qui n’a contrairement à son ami Camus jamais quitté l’Algérie sera assassiné le 15 mars 1962 par l’OAS. Son premier roman Le Fils du pauvre commencé en 1939 est publié en 1950 à compte d'auteur. Le Seuil s’empare du texte en 1954 qu’il édite expurgé des soixante-dix pages relatives à l'école normale de Bouzaréah.1-Mouloud-Feraoun.jpg

 

“ Va‑t’en pour toi ” ? Ceux qui ont quitté leur terre natale à laquelle ils étaient intimement et profondément attachés ne l’ont pas fait pour eux. Ils l’ont fait pour les intérêts de l’industrialisation et du développement de la métropole puissance économique en plein essor après la guerre dans les années 50 et en pleine reconstruction. “ L’ancienne ” puissance coloniale qui l’était encore à cette époque concernant l’Algérie a continué à puiser dans sa réserve d’une population misérable qui n’avait aucun choix que celui de mourir de faim ou de partir.

On appelait avec tout ce que ces mots ont de poésie ceux qui arrivaient ainsi de la main‑d’œuvre. Où comment se débrouillent ceux qui n’ont jamais eu de mains et jamais commis d’œuvre pour saloper de la sorte la beauté et le sens de ce qui demeure pour nous la plus lumineuse des associations poétiques de nos printemps laborieux.

Pourquoi je peux dire que ces gens étaient attachés à leur terre même si c’était celle de montagnes où on récoltait surtout les olives de plantations d’oliviers qui gardent la généalogie des anciens sur leurs parchemins d’écorce et des figues comme le raconte Nabile Farès c’est parce qu’ils étaient des paysans et des bergers et que leur rapport à cette terre est le même que celui que je devine et dont je peux parler de mes ancêtres paysans journaliers et ouvriers.

Il faut se souvenir à ce propos que ceux qui sont venus massivement au début du 20ème Siècle et surtout après la première guerre mondiale servir de main d’œuvre ouvrière dans les faubourgs qu’on n’appelait pas banlieues des villes en expansion étaient les paysans pauvres des provinces que les patrons de l’industrie naissante manipulaient selon leurs besoins. Ils ont quitté peu à peu les terres où ils vivaient dans la pauvreté mais qui les reliaient à leur histoire leur culture et leur héritage paysan même sils ne les possédaient pas.

“ Le pays natal est celui que l’on quitte. ” ( RPD ) Oui il a été pour les paysans ouvriers des années 30 en France celui que l’on quitte parce qu’on y meurt de faim tout comme c’était la situation des paysans kabyles et de tout une partie de la population masculine algérienne. Cette misère matrice de l’exil n’a pas cessé d’être fabriquée et utilisée par les Etats coloniaux et leurs bouffons des classes sociales dominantes servies par le discours politique faisant miroiter au bout du déplacement et de l’exil un futur estimable et neuf.Fabrique-d-allumettes-Auber.jpg

Le pays natal n’était pas une construction imaginaire comme il l’est effectivement pour nous au moment où les immigrés arrivent dans les banlieues mais bien une réalité dans laquelle s’était élaborée de génération en génération une culture populaire riche et fondatrice de leur histoire dont témoignent encore en Algérie aujourd’hui les conteurs et les conteuses une culture de l’oralité. Et leur rupture avec cette terre et cette histoire a été pour eux comme pour les paysans ouvriers d’une violence incroyable. Voir le récit du Pain noir de Geroges Emmanuel Clancier et concernant l’Algérie la trilogie cinématographique Mémoire d’immigrés de Yamina Benguigui.

Aubervilliers… là où moi et bien d’autres enfants sommes nés à la fin des années 50 il n’y avait alors qu’un immense chantier sans fin. Auber ces années‑là c’est le film documentaire d’Eli Lotar réalisé en 1945 avec le commentaire qui l’accompagne dit et rédigé par Prévert qui provoque le retrait des salles les week‑end afin de ne pas perturber le moral des familles. On le comprend quand on lit les premières paroles du commentaire où le rythme suit celui de la chanson de Prévert “ Les enfants d’Aubervilliers ” :

“ ( … ) Aubervilliers, petit village, les temps ont change; ouvriers, ruines, taudis, anciennes ruines, ruines banales, ruines de la misère ouvrière, capitale, petits secrets, beauté cachée, chats crevés, jeunesse, Dieu vous protège, privilégiés, monde hostile et sans pitié, triste monde, misère, Gentils enfants d’aubervilliers, Gentils enfants des prolétaires, Gentils enfants de la misère, Gentils enfants du monde entier, joie de vivre exclue, lutte pour la vie, travail, charbon, quais, fabriques, entrepôts, labeur de l’homme, le ciel, fumée, irrémédiablement, les usines brûlent, manufactures, usines, acide sulfurique, ammoniaque, engrais, produits décapants, dégraissants, soude caustique, sueur, mains de l’oMains-d-ouvriers-St-Gobain-1945.pnguvrier, décapées… ”

Auber… là où je suis née et où j’ai grandi Auber aux confins de deux cultures populaires qui n’existent pas. Auber au croisement entre la culture orale des ouvriers immigrés algériens et celle du prolétariat français de la banlieue rouge composé d’anciens paysans ouvriers dont aucune langue populaire ne nous est audible.

Auber cité maudite ma ville où l’usine St Gobain dévore les mains et les poumons des braves gars qui n’iront sans doute pas vieillir croupir dans les taudis joyeux des anciens prolos d’avant guerre et leurs cabanes en tôles au bord du canal où le bidonville du Chemin du Hallage va bientôt leur tenir compagnie.

Je ne peux toujours pas regarder les images du film sans pleurer. Ces hommes ces femmes ouvriers de l’automobile des machines outils et des usines chimiques manœuvres des chantiers ouvrières du textile qui ont pour la plupart participé à la grande boucherie 14‑18 et ce qu’on nommait l’effort de guerre dans les industries d’armement ces vieux ouvriers pauvres survivant isolés démunis avec leurs quelques trésors de chiffons et de papiers les souvenirs et objets qui leur restent dans des cabanes bancales sinistres banales sont les miens ceux que je n’ai jamais connus.

Entassés là privés de ce qui avait fait l’existence modeste mais digne des générations précédentes sur leurs terres privés de la communauté à laquelle ils appartenaient leurs lambeaux de paroles sans rancœur où la bonté humaine a survécu à tout me serrent la gorge où s’étouffe mon cri de rage. Ils sont ceux dont on ne parle pas ceux dont on ne raconte pas. Ils n’ont pas d’histoire et leur absence d’histoire leur récit spolié muet est celui de tout un peuple auquel j’appartiens : le peuple de la périphérie laborieuse grave dévoué au labeur simple et fier. Le peuple des ouvriers d’Aubervilliers le peuple des ouvriers du monde entier.

A suivre...1-auber.png

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17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 20:51

ce sont amis que vent emporte et Free Man s’en fout3276364-les-jeunes-algeriens-sont-a-la-recherche-d-une-iden.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

“ Free Man fume. Il me lance dans la bouche sa fumée.
   Des HLM éclatent.
L’enfant noir rit. Ses beaux cheveux crépus aucune moisissure ne les lisse.
Planètes. Planètes.
Nous ne sommes pas blanc-noir Je suis beau parce que
   je suis noir Je suis beau parce que je suis blanc Nous sommes beaux ”

 

Free Man dans notre rue là tout en bas s’il venait à passer rien d’étonnant ici tout en bas on crèche tous dans des caves‑vigies à peu près… nous sommes de cette espèce‑là libres de notre peau de notre corps en vrac. à force d’être hors du jeu nous formons la grande tribu des peuples aux paroles de bitume de Babylone Zero. nous sommes les griots nés à l’intérieur de cette immense termitière de roses de sable ocre rouge et nous attendons que Free Man sorte de sous notre carapace fossile.

Free Man le voici il est là de plus en plus là… des centaines des milliers de Free Man habillés dépouillés de soleils en haillons et de bardeaux de gel qui leur font la peau sèche et les doigts de pieds à étoiles figées de créneaux sang. des milliers de personnages d’un récit raté et glorieux porteurs tragiques d’un masque de singe pâle cérusé au blanc de plomb. des milliers de Free Man avec leur costume de comédie au cœur jaune gueux comblés de fausse poudrerie argentée qui ne savent pas lire et qui écoutent les griots leur dire Free Man ! Free Man encore ! 

ces poètes des caniveaux livides des trottoirs à pisse et à vomissures à sang frais giclé au ras de la 5ème avenue ces brosseurs d’asphalte cuite qui pue à 4 heures la sueur limonade qui goutte du recoin violet et le jaja gras eux qui se sont habitués attachés à crever gentiment en bonne compagnie des petits rats au cul rose et des chiffonniers ce sont nos frères Free Man et on ne va pas se les laisser piller hein ! Ouaouf ! eux qui ont frotté leur queue de chiens paumés à la sortie des rades de nuit contre les pantalons coupés pile et hasardé le lin la soie et le tergal quêtant la rauque amitié et la laine pure des yeux détournés ce sont nos frères Free Man et ils les ont chassés à coups de pompes.

alors c’était pas bon de brandir des flambeaux ratcailles fluos d’azur vu que le rêve ils l’ont vendu au meilleur prix contre trois lampées de liqueur noire les compères machinistes maîtres des forages et que la catapulte leur renvoyait les bouts de cuivre tranchants dans les babines Ouaouf ! c’était pas bon ça non d’avoir tracé à la bombe d’aéro solitude sur les murailles de Babylone Zero le tag qui nous nommait Citoyens de beauté et poètes nous autres peuple du crachat hein ! il y avait réunies là toutes les raisons historiques politiques et organiques pour qu’on reste avec les rats.tombe-de-Senac.jpg

“ Qu’espérait‑il donc ce vagabond d’azur cherchant une trouvure ? La grande fraternité du soleil ? La liberté reconstruisant les rues ? L’intelligence pourchassant la bêtise ? Le socialisme et la beauté écrivant le monde ? Fadaises, rêves insensés, monstrueuse erreur historique ! Quelle Algérie mythique, et lui appartenant en propre, avait‑il construit en son cœur pour constater comme un enfant que son rêve volait en éclats médiocres ? ” Jamel‑Eddine Bencheikh 1999  

je ne sais pas pourquoi mais à chaque fois qu’il me tombe dessous la paluche un bouquin en mémoire de… en hommage à… un texte ou une explication a postérieuri qui envoie son jus d’émotion jailli comme sperme sec après coup et surtout si les porteurs de couronnes sont amis et qu’ils ont soutenu ce qui leur paraissait poétiquement à la hauteur de leurs tabourets de bar dans l’hérésie du voleur de vents j’ai envie de me mettre en colère et d’aboyer Ouaouf ! ces feuillets par centaines avec ils ont essayé combien de fois d’allumer un feu quand le givre griffait et rien ne leur semblait bon comme le douce chaleur des mots crépitant dans leur bouche.

eh ! dites donc les allumeurs de rêves beaux comme des comités de gestion mais ça ne va pas hein ? écrire au peuple la conscience toute nouvelle de ce qu’il a commencé à mettre en route et que les pilleurs de jeunesse et de folie vont lui arranger assaisonner bétonner d’une plaie lente qui purule à jamais par en dessous c’est aussi dangereux que de croire venu le temps des Partageux Ouaouf ! viens Free Man viens… t’occupe pas ils n’ont jamais mangé la douceur des pâquerettes quand l’orange remonte entre nos doigts gelés au petit jour des usines mauves.

Le sang a la couleur des roses de Jéricho,
Du rêve de l’émigré sur l’abjecte paillasse
(Négriers, patrons vous paierez !), la couleur
De l’aube sur les plages du Chenoua, de Californie,
Le sang lorsqu’il fleurit la peau non lorsqu’il gicle sous vos triques
(Vous paierez !), le bonheur des roses de Jéricho.

Free Man parle. Entre ses mains une géographie fabuleuse s’érige.
Caresses.
La sirène des porcs s’engouffre dans les os. Mais
Free Man parle. Ses poumons bloquent la pollution de l’Amérique.
Noirs et blancs on respire. On essaye de respirer. On ose, on commence,
Appel d’air. Free Man parle.02-83-jean-senac.jpg

viens Free Man viens… parle‑nous encore avec ta voix de bonté qui nous a nourris des pétales de roses de Damas que tu faisais pousser au pied de pisse des réverbères quand les poètes de comédie écrivaient leurs complaintes dans la troisième langue officielle et que nous partagions nous autres celle des cafards analphabètes… plus grands que ton rêve Free Man tu nous as nommés et nous voilà avec notre écume d’or aux portes de la cité maudite nous ton peuple matinal. il y a des milliers de kilomètres entre notre réalité et la leur. ici les cochons fouillent les ordures de nos cabanes célestes et Babylone Zero la colossale construite par les amis de ceux qui refusent aux poètes le droit d’ériger leurs rêves en une réalité quotidienne et de dénoncer la manœuvre des fabricants d’esclaves veille sur nos nouveaux bidonvilles.

ailleurs ils sont Free Man cet ailleurs d’où Messieurs loyals ils surveillent ceux qui pourraient faire lever comme le pain généreux la grande tribu laissée tassée menée à l’ignorance et au labeur. la grande tribu qui ne se risque pas à parler d’elle et à invoquer ses désirs si tellement ils l’ont persuadée de sa condition manuellement inférieure et de son incohérence à réclamer la lune. ailleurs tout en haut de leurs trônes de plumes et de paillettes tandis que sur des bûchers d’horizon ils regardent cramer les utopies que nous étions des centaines des milliers à faire mijoter dans nos gamelles de nouilles débordant d’océan. Ouaouf ! 

oui Free Man parle… parle‑nous encore même si c’est pour nous traiter d’infâmes “ Maudit mon peuple qui refuse son rêve. ” car sinon toi qui a marché au cœur de notre déchéance et de notre pensée de jeunesse léchant ses larmes après avoir cru une fois toujours aux rhétoriques empoisonneuses d’ivresse des maîtres d’histoires qui peut maçonner d’herbe fraîche une langue qui nous ressemble ? qui t’as nourri quand tu avais faim de pain de chaleur d’amitié d’une présence fraternelle simplement rue Elysée Reclus à Alger parmi ces rabatteurs de mémoire installés déjà loin de la réalité historique qu’ils se renvoient l’un l’autre au temps où il ne fait pas bon être un gaouri et n’avoir pas d’ atout dans son jeu si ce n’est un peuple éperdu Free Man ?

Free Man fixe. Entre sa lance et son fusil. Sur ce rotin qui est l’Afrique, Free Man

Fixe. Ses cuisses nous étreignent. Free Man

Bande. Pour la liberté pour le pain

Libre de tous. Free Man26-Nov-62-copie-1.jpg

les poètes ils ne nous quittent pas contrairement aux amis qui se font les pattes à l’aube à l’heure de la vertueuse exécution quand il n’y a plus de café et qu’on attend la suite tranquilles comme des chiens qui ont refusé la muselière.

et toi plus encore en raison de ta nature innocente celle des enfants tu te prêtes au revers de main en plein museau. ceux qui t’appelaient Jean ne s’en sont pas privés. Un de ceux‑là comme tu l’écris dans une note désespérée du Journal d’Alger Janvier‑Juillet 1954 après des paroles mauvaises jetées avec le mépris qu’on décerne aux proies te gifle et tu demandes en pleurant “ Mais qu’est‑ce que je t’ai fait ?… ”  

libre de tous Free Man toi qui n’as pas lâché ta première lueur bue à notre coupe de pauvreté furieuse. toi qui notes dans ton “ Journal de 1947 ” “ J’essaie d’écrire à la mesure de l’homme avec une innocence d’enfant. Et j’écris surtout pour les humbles car ma mère est ouvrière. Tous mes meilleurs amis sont des gars du peuple… ” tu fréquentes à l’infini la crasse et la honte des gaziers qui hantent Babylone Zero n’importe quelle ville de n’importe quel pays de notre Babel d’Afrique qui n’est pas une question de frontières ou de langue matrice et tu le sais tu le cries tu l’exploses et ils te tuent ! oui Free Man le mauvais garçon rebelle bâtard et homo pote d’Allen Ginsberg qui publie Howl et toi Le Mythe du sperme‑Méditerranée ils t’ont réglé ton compte toi l’ultra vivant eux momies fossiles avec leur lance langue bifide un côté frères de lait et un côté poison sur‑sucré à dégueuler : toi tu n’es qu’un gaouri !

libre de tous et de leur mort en faction devant ta porte tu ne cherches pas à te défendre encore moins à attaquer ou à prendre les armes à faire face à répondre à l’insulte avec le sabre de comédie des acteurs et le soleil projecteur pour allié royal et maître du feu et des grands bûchers de fleurs sauvages. non tu ne cherches rien ni avec eux ni contre eux et pas même à esquiver ni à t’enfuir ailleurs que parmi les rats de ta cave‑vigie. tu es là Free Man juste là où il y a lieu d’être et tu crois en notre capacité à grandir le monde en jetant bas les murailles d’acier rouge de Babylone Zero armure d’ogresse ardente que nous avons fondue nous‑mêmes ouvriers du lourd et ardent labeur et notre prison. Ouaouf !

Fixe le noir, la femme, l’homosexuel, le drogué, le blanc, le vert, le bleu, Free Man
Fixe dans l’iris le destin de l’homme,
Le conduit aux crêtes de feu. Sous
Les pavés la plage. Camarades merci ! Free Man1857
Fume. Et Hô et Mao et Che et la Palestine
Et Crazy Horse
Et Novembre et Mai le zodiaque
De l’autogestion et E = mc2 la
Bonté d’Einstein et Char et Fanon
Et Artaud et
Angela qui tient le fil du Minotaure
Et Genet sur toutes les poitrines et toutes les toisons de toutes les libertés
Et Ginsberg et Voznessenski et Ted Joans et Retamar et Guillen et Hikmet et Patrick Mac’Avoy et Sonia Sanchez et Depestre et Blas de Otero et Darwich et Khaïr-Eddine et Adonis et Cernuda et Whitman et
Le tam-tam électronique le chant la percussion tout
Le chant de la Raison et du Poème et
La Folie aux douces lèvres de tartine beurrée sur le cœur des enfants d’Archie Shepp
Dans la braise entre ses trois doigts
Témoignent et
Chacun de nous dans ce témoignage
Reconnaît sa dignité, son plaisir,
L’horreur de l’homme hors-les-crocs. Free Man
Que je nomme pour tous. Qui se nomme pour tous.
    Tous,
Les gosses, les gommés, les loques, les militants, tout
Le peuple anonyme.

oui Free Man c’est ça… tu es tous tu es nous le peuple anonyme et sa charrue de malheur à labourer encore profond plus profond le sillon de notre espérance d’épines. toi le poète du boucan fabuleux tu as accompagné notre défaite de ton rêve jusqu’à la dernière goutte d’amertumeSoleil posée à fondre écarlate dans la neige qui nous efface. heureux celui qui balance un monde esclave du côté de la flamme à bleuir et à incendier l’ennui celui qui invente un grand sous‑bois d’ocre rose vif embarqué à bord du radeau guidé par de petits singes à la parure jaune citron qui restera debout un monde de chiens hirsutes qui savent lire un monde de gueux jubilant devant les ruines audacieuses de Babylone Zero demain et de saltimbanques jongleurs de lucarnes ouvertes à nos mains malicieuses ! Free Man dans notre rue là tout en bas s’il venait à passer hein ? Ouaouf !… 

Free Man fume. Dans la bouche il me lance
Son avenir. Les bidonvilles éclatent.
Et le grand radeau vert de l’Amérique en larmes secoue ses singes de titane.
Free Man fume. Son poing montre le quai.
Et le grand radeau de l’Amérique en larmes à la dérive dans la nuit orientale fasciné furibond se cabre se disloque. Free Man
Chante. Sur ses cuisses lyriques
Le poème n’est plus un sanglot.

Alger, 22 novembre 1970/22 février 1972

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9 novembre 2013 6 09 /11 /novembre /2013 21:11

     pas-de-trains-cet-ete.jpg Un jour bientôt j'arrêterai ce blog... Pas parce que j'en aurai assez et que ça fera bientôt dix ans que ça dure... Tout simplement parce que j'en ai marre de me faire piller mes textes mes titres mes histoires et de les retrouver ensuite publiés sous d'autres formes par des gens qui ont les moyens de commercialiser leurs produits et qui sont des imbéciles.

      Ecrire créer c'est un labeur comme fabriquer une cathédrale usiner une pile de pont ou découvrir une nouvelle étoile dans le ciel... C'est quelque chose qui a du sens et qui demande à ceux qui s'y collent d'être des êtres de conscience et de justesse... La plupart de ceux qui font du fric avec les bouquins qu'ils pondent ne le sont pas ou plus et les moyens de communication et de diffusion actuels de l'écriture sont viciés.

      Face à ça deux possibilités : perdre son temps et son énergie créatrice à travailler dans un contexte pourri et toute peine perdue face à de tous côtés soit des infifférents soit des nuisibles ou bien esquiver prendre la route s'en aller et continuer autrement ailleurs avec des moyens hors du champ visuel... C'est la seconde voie que j'ai choisi... voilà... à suivre...


Ligne de mireChemin-de-fer-a-Djibouti.jpg

Le Perreux, mardi, 5 novembre 2013

 

Ouaouf ! Ouaouf ! Nous voici de retour la chienne Bonnie et moi avec l’écriture approximative et ses aboiements… Trains de ligne et ligne de mire… voilà comment je peux résumer le rapport de mon écriture au monde. S’il y a un jeu de mots mais il n’y a que ça et si ça n’était pas je n’y serais pas non plus que diable ! Et pas question pour nous autres la chienne Bonnie et moi de nous laisser mettre en sac par la clique des bouffons pilleurs ressortis une fois de plus comme c’est coutume à la saison qu’on est des châtaignes cramées dessus les bidons à trous remplis de charbon de bois qui pue l’incendie de nos forêts à griots et de nos demeures d’arbres tranchés à pleine écorce vive pour alimenter en rouleaux de parchemins ces maudits orpailleurs tamisant nos marigots à éléphants !

Il y a ce trait qui se tire avec une motrice fonceuse dessus qui avance avance jusqu’à ce qui comme un regard traverse infini l’horizon. Et c’est là qu’on se tient la chienne Bonnie et moi Ouaouf ! ni conducteur ni passager mais bien le train lui‑même avec ses wagons ses rails ses aiguillages ses passages à niveau ses gares ses voyageurs et ses ouvriers du rail maîtres illusionnistes mesurant le temps à l’aide de ce triangle mirage fiché dans la cible mouvante inaccessible.

Ligne de mire ligne de mirages… Ouaouf ! Ce triangle dont les deux côtés sont les aiguilles de l’horloge immobiles rails miraculeux pointant un point de fuite inconnu et le troisième c’est ce train de nuit de préférence qu’on ne voit jamais ainsi son dernier wagon miaulant raclant les rebords de l’obscurité râlant encore longtemps après que tout se soit arrêté qu’on en ait fini de ces jours interminables à marcher le long de cette scène lunaire qu’un seul projecteur suffit à éblouir à tuer.

Et comment peut‑on écrire autrement qu’en étant lancé à toute vitesse à travers la nuit jusLoco-vapeur-ardeche.jpgqu’au choc final qui remettra les pendules à l’heure celle qui ne cerne pas les poètes ?

“ Au bout de la nuit ” dit Céline qui tire locomotive frénétique le charroi désespéré du vrombissant charnier humain à sa suite. C’est là qu’il le porte le hisse le conduit afin de le faire basculer par‑dessus bord et s’écarquiller en un tombereau d’éclats de verre multicolores et que nous puissions vivre enfin dedans cette vitraillerie d’arcs‑en‑ciels à perpette… Mais non ! ils sont revenus tous avec leurs fagots leurs sorcières leur mitraille leurs crânes aux yeux pâquerettes et nous n’en avons pas fini accrochés à pognes pleines au dernier wagon celui qui tient les feux et qu’on distingue un peu encore là‑bas au point où la mire s’émiette en copeaux bleutés.

A chaque nouveau départ le triangle s’écarte s’éparpille devant le regard scribe solitaire du savoir d’errance grave malicieux de celui qui balance la loupiote gardien de phare des gares et son œil cinématographe qui l’accompagne. La nuit il n’y a que les êtres fuyants parés à l’esquive à la pureté du fracas qu’on trouve à pied d’œuvre les talons salés fendus de givre par la traversée des plateaux verdis de purée d’astres les doigts tachés sur leurs buvards d’aube.

Les voyageurs rares hiboux rivés aux roues aux boggies aux freins au sifflet et aux signaux lumineux fugaces aussi vastes que les roues de la loco sont ce train qui boit avale cul sec la dernière porte grande ouverte pour la route que personne n’a le pouvoir de refermer. Ouaouf ! Somnambules armés de sarbacanes aux petites flèches de papier d’or tous arrimés à la carlingue de métal ils crèvent la lenteur brûlante de l’attente et du désir initial à chaque trait qui siffle dans l’orange pâleur des quais déserts.

Il n’y a jamais eu personne pour monter ou pour descendre à ces gares‑là seule la nuit et sa gandourah d’odeurs de feux de bois de café noir de sang mêlé à l’eau des caniveaux de sperme séchant au mitant des lits et ses petites silhouettes de boue rouge prenant d’assaut notre colère s’alimentant à l’acier qu’elle engloutit déclenchent enfin le signal du sommeil. Et nous assistons enfin repus vautrés dans la paille d’une moisson prochaine au passage de hérissons au museau frais humant une brume d’églantines au‑dessus du bi voies et frissonnant d’aise de toute leur armure jamais en repos. Ouaouf ! Ouaouf !

C’est une voie de garage au cœur de la petite campagne qu’une bergère et son chien frippé d’herbe humide menant une marmaille de brebis et leurs agneaux ont investie aussitôt où on ne risque pas de déranger le monde avant de reprendre la route quand la rosée aurLigne-Brive-Rodez.jpga séché à nos poignets. Qui pourrait venir nous chercher là pendant que la lessive des prés tiédit et qu’on se remet vaille que vaille de la quête inaboutie… oui qui ? Bonnie et moi et la tribu des trains de ligne nous attendons sur la voie unique le train croiseur et ses wagons bourrés de crépuscule qui a priorité à cette heure… Ouaouf ! Ouaouf !

Bientôt il faudra repartir patinés de ce brouillon lunaire qui nous va et qu’aucun de ces pilleurs de paroles qui guettent avant d’embarquer à bord de wagons grand luxe capitonnés rembourrés insonorisés où il n’y a pas grand risque qu’ils surprennent monter jusqu’à eux les appels des locos vapeur entraînant derrière elles des trains de nuit revenant de loin ne trouvera abandonné sur un siège de 2ème classe de l’Inter‑Cité Gap‑Paris Austerlitz tombé entre les mains macquées de caoutchouc rose d’un balayeur black à six heures du matin. Ouaouf ! Ouaouf !

 

Ligne de mire… ouvrez grand vos mirettes les voilà ils arrivent ils sont arrivés… arrivés avec leur écriture lavée délavée vidée essorée blanche blanchie jusquTrain-comment-peut-on-retrouver-la-ligne_reference.jpg’à la carcasse sèche jusqu’à la poussière… Ouaouf ! au secours ma Bonnie ! C’est ça… ils en sont arrivés avec leurs pieds de mouches qui ne touchent pas la terre qui ne se salissent jamais et ne se mettent pas à la merci de la boue des grands fleuves à nettoyer dépiauter désincarner les mots de tout l’argile généreux du jardin à en retirer l’âme lucide de la pluie qui grignote la propreté sèche et ensemence.

Ouais… ils y sont arrivés chargés de leur énorme laverie automatique prétendants burlesques à l’approbation machinale des croupiers matant la mise au milieu d’une piste dont on ne voit pas le bout éclairée elle aussi plein feu de la froideur blafarde d’une lumière de miradors qui rase égalise anéantit. Ouaouf ! Ouaouf ! ma Bonnie au secours ! les voilà les Ubu repus de rien qui est leur royaume avec leur mécanique à ôter de l’écriture le sens l’indécence et à mettre au clou ses petits diamants semés ci et là par des Poucet aux poches trouées d’impertinence. Ils y sont arrivés les bouffons confits de connaissances sublimes à fossiliser sous un glacis d’yeux privés des regards inquiets avides ravis assoiffés de rêves convoités à leur refiler de la création sans objectif des signes sans piste du jus de plume nettoyé de la vie.

Des mots sans ligne de mire qu’on imagine !… Ouaouf ! Des mots sans mirettes qui les matent sans langue qui les lèche sans paumes qui les pétrissent qui les chahutent les défroquent et les lancent là juste là au cœur impossible de la dune et ses milliers d’instants à musique qui n’arrêtent pas de bouger avec eux… Là… là… encore se carapatent se glissent sautent se jettent bondissent ! Courir après ! Ouaouf ! Ouaouf ! Les attraper jamais. Les sentir une seconde ronds doux coupants chauds amers toujours plus loin sur la piste là‑bas au bout ailleurs.Celine04

Et voilà ils sont arrivés. Il n’y a plus rien à dire. Ils disent tout ils lavent tout ils écartent tout de la piste irradiée magma figé oracle accompli vernis parfait des apparences contre lequel pas un cri indocile d’hibou et son radar nocturne ne peut rebondir. Desséchée la carcasse jetée abandonnée de la langue là la langue vive épaisse déguenillée obscène impatiente lyrique forgée joyeuse canaille souffrante la langue des gueux que nous taillons chaque jour dans la pierre comblée de folie déchirée intacte bleue de nos petits matins. Ouaouf !

Où sont passés les rois du royaume des gueux les voyageurs les baladins les griots les malandrins porteurs de manteaux et de combures aux tatanes grasses et aux mains sales les Céline les Sénac les Bukowski les Genêt les Artaud et leur pestilente baraque à hurlements ? La forfaiture suprême de la machine à laver la liqueur des pauvres de ses grumeaux de salive la voilà bien jusnettoyage-des-trains.jpgtement dans toute sa puissance conquérante qui retire aux hommes leurs enchantements et au désert sa soif Ouaouf !

La machine à dépouiller implacable informatique incontournable imbécile est venue à bout de sa mission civilisatrice et décadente. Après avoir vidé les poètes incertains des rues de leurs orgues barbares après nous avoir persuadés que nous étions sans cultures sans âmes sans histoires et sans royaumes ils ont revêtu les costumes des saltimbanques et nos défroques d’Indiens et ils ont vitrifié nos demeures de vent de la puanteur de leur néant. Ouaouf ! Ouaouf !

 

Ligne de mire… 

Ouaouf ! Les trains ne font pas marche arrière avancer courir démesurer la route poètes ferroviaires notre passé creuse devant la piste d’un futur auquel nous sommes attablés depuis le premier festin de sable lu. Notre histoire rebelle a commencé à advenir au moment où nous ne distinguions de la perspective des rails que la dureté de la flèche au métal gris bleu dans le jour pointant qui nous ramenait au réel des autres et nous terrifiait. A cette heure frappée sur l’enclume du forgeron qui n’arrête pas de ressouder les glissières de fer rouillé où filent les petites boules de marbre des bouliers il n’y a jamais moyen de retenir l’élan qui déjà alors nous rugissait au ventre et nous le réclamions muets de tout notre poids d’oiseaux incrustés de désarroi. Il n’y a pas eu moyen  de retirer de nos nuits comblées d’incendies le sifflet des locos galopant et leur écriture de suie en suspend.Train-de-l-Ardeche.jpg

A cette heure l’appel lointain des trains de ligne que notre jeunesse en souffrance dans une consigne dont on a depuis longtemps perdu les clefs porte gravé sur la bande son d’une mémoire de luttes communes fait écho à la solitude lancinante et bienheureuse des caravanes rivées à un même pas où la silhouette de la chamelle blanche de tête et celle du vieillard fermant la marche se fondent.

Ouaouf ! Ouaouf ! je l’entends il vient il remonte depuis la chair usée de mes pieds qui saigne et que j’enveloppe d’un bogolan ocre et noir jusqu’à la peau picorée par les chauve‑souris d’Afrique mes copines de mes oreilles. Il me prend et de toute la maladresse feinte de mon corps d’oiseau nocturne je me lance à l’intérieur du fouillis de son cri immense en avalant de petites boulettes de fumée au goût de réglisse que je régurgite en grognant. Ceux qui les recueillent au bas des talus hirsutes brandissant leurs crinières qu’il faut encore démêler ne savent pas qu’il s’agit des reliefs d’une fête où les gueux étaient les rois d’un temps de folie et de joie sauvage qu’on ne nous a pas pardonné d’avoir bu jusqu’à en finir avec la soif  des jours ordinaires. C’est que nous étions nous autres les hôtes d’une soif bien différente et ceux qui s’en sont doutés ont tout mis en œuvre pour que la rouille recouvre les rails des voies enfouies sous les fougères et les mousses de son chemin d’oubli.

Pourtant ça ne nous a pas arrêtés ni detroit32-copie-1.jpgça ni du reste le bêlement de meule des prophètes aux coupecoupes planqués dessous les haillons de drap rugueux qui les distinguent du peuple en bleu de chauffe parce qu’aucune de leurs prédictions de mauvais sort de leurs rhétoriques de pierre tombale de leurs compassions prônant la peine de commande et la justice des machines à sous ne peut se caler entre nous et notre désir tenace de la route. L’ivresse et la torpeur mêlées de nos corps liés au halètement de la loco Diesel libérant nos voix qui se ruent à la rencontre du tapage que font au dernier passage à niveau avant que l’obscur nous sépare les bergers les chiens d’herbes fraîches et leurs troupeaux enfants nous entraînent en direction de la Babylone Zéro parés de cette morsure nouvelle à la gorge.

Ligne de mire… Nous y serons bientôt et au bout du quai gavé de la quantité innombrable de cairns destinés à reconstruire les murailles de la cité et son rire déployé volé en éclats momifiée par les lambeaux d’affiches de pubs automobiles et de prix littéraires nous mangerons le soleil et nous boirons la lune prêtant nos flancs fatigués aux balais brosse des ouvriers de l’aube avant de repartir.

Alors il ne faudra pas s’étonner si quelque part dans une gare de montagne inconnue allongée lascive au milieu de la bande d’éléphants au front neigeux le chef de gare porteur du masque du lièvre Nyommo aux grandes oreilles les yeux roses écaillés de blanc offre aux voyageurs persuadés d’avoir rêvé une calebasse remplie de bière de mil afin de célébrer le rite de la plus haute saison du temps en marche et les invite à s’asseoir au pied du vieil acacia bleu portant sur lui les marques du feu céleste déposées là justement par Amma le dessinateur de l’univers. Non il ne faudra pas s’étonner… Ouaouf ! Ouaouf ! Mali---Danse-des-masques-en-pays-dogon.jpg 

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2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 22:45

ligne de cieltag-enfant-fleurs-2-petit.jpg

Epinay, vendredi, 1er novembre 2013

 

mais que sommes‑nous venus faire

enfants d’en face enfants d’enfer

du sang des guerres nés sans bruit

buveurs de lumière et de cris

écumeurs d’or et de fureur

dans nos yeux dort une lueur

étoile agile des rivières

enfants d’argile sans paupières

aux arbres nous avons tout pris

tracée jusqu’à l’azur surpris

ligne indigo trouant nos paumes

notre voie levait des royaumes

Avec-les-ch-vres-70.jpg

 

qui étions‑nous enfants de fer

enfants de paille sur nos erres

où les maisons se font bataille

où les chemins se font limaille

voyageurs de givre et de bure

nos mains cherchant douce combure

ont récolté copeaux ardents

enfants de feu la mort aux dents

nous n’avons pas voulu que lave

dévore nos rêves d’agave

sous la fonte sa fleur lunaire

rare notre jeunesse éclaire

 

qui étions‑nous enfants de sable

gardiens las de plaies impansables

gais fossoyeurs de tôles nues

poudrant vos vies sans retenue

enfants de brumeux testaments

rouge banlieue radieux serments

enfants perdus où est la terre

vendues les drailles solitaires

aux échangeurs va la canaille

changer son dû contre ripaille

mais que sommes‑nous venus faire

Jeune-fille-lisant-70.jpg

enfants de plume en cet enfer

 

qui étions‑nous enfants moissons

semés sans fièvre ni passion

sur les parkings bitume amer

où nous poussions outre l’hiver

juste printemps fervent regain

genêts d’argent cuiront le pain

enfants pollen nous étions mûrs

rêve d’épis le désir dure

contre les marchands d’âmes mortes

nous demeurerons et qu’importe   

ce qu’on dira de nous demain

noces d’été n’ont pas de fin

 

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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 20:32

Venice Orient Express suite...

 

Ecoute… écoute…Orient-Express_-Affiche2-.jpg

Venise ça puait si fort le jour quand ça commence et ses ordures qui suintent en tas aux angles des marches au moment où l’eau les étripe. Les croûtons de pain moisi les peaux d’oranges paillettes noires les moutons éventrés la laine en paquets mous qui bout et les cendres des bûchers de livres qui crament haut devant les portes du ghetto hein ? Des ghettos si on en a fréquentés Jessica et moi oh là là ! Ouaouf ! Ouaouf !

 

Ecoute… 

Et le ghetto de l’écriture où ils veulent les claquemurer les autres ceux qui ont passé les costumes de scène à étoiles tombées des fers à souder que les paluches des ouvriers métallos agitent dans les coulisses d’or là où leur petite histoire à elles bien ordinaire ne met jamais les pieds… Ouais eux ce sont les maîtres de la comédie majestueuse et leur ghetto d’écriture il vaut son pesant… je vous raconterai Ouaouf ! Les revues qui faisaient leur menu du jour avec les créateurs d’Algérie ceux qui avaient survécu à l’égorgement à l’incendie à l’embarquement au débarquement aux paplars en tourbillons de demande du droit d’asile et où ils étaient quelques‑uns prolétaires nocturnes à la pige à marner ne payaient pas c’était normal.

‑ Déjà qu’on vous publie et que vos papiers gribouillés comme ils sont y a tout à relire Hein ? 

C’était comme ça. Les naufragés les survivants de la formidable boucherie eux ils racontaient la peur sans regard les camarades assassinés les traquenards dans les cages d’escaliers le soleil tranché en deux. Et le fracas de leursCamus-Yacine-Alloula.jpg mots sur l’asphalte indigo qui pétillait le soir autour des tables des bistrots dans ces quartiers de la Babylone éclatante lavés au champagne et au gin balançait au nez des passants incrédules toutes les folies qu’elle avalait à pleins ciboires au Stalag Notre‑Dame des Anges déjà hein Jessica ? C’était des témoins enragés dérangeants leur masque de tragédie déposés à peine ils voulaient sitôt repartir à l’assaut de la forteresse d’épouvante qu’ils avaient abandonnée et dont ils portaient le linceul partout comme une gandourah écarlate.

Aux staffs des revues on avait l’habitude si elle se souvient alors… il leur en débarquait deux ou trois par soirée qui jetaient leurs paquets de feuillets incendiaires au milieu des chroniques quotidiennes et il ne leur  restait entre les paluches au bout de la nuit quand ils s’endormaient d’ivresse verte et de vomissures douceâtres qui écumaient rose leurs lèvres à mégots roussies que des cendres. Et au milieu de ce pataquès il arrivait aussi quelques bouffons aux mains blanches et aux visages scintillants d’innocence elle faisait partie du lot.

 Tiens mais d’où elle sort celle‑là ? avec Jessica elles ne sont pourtant pas des habituées de l’étonnement hein vous savez ? Si elles en ont croisé sur leurs chemins d’égarement des créatures frivoles inconscientes solaires et froides comme un tison de gel mais celle‑là avait quelque chose de ces êtres qui mettent en alerte les passants qui les frôlent.

‑ Tiens… elle a dit Jessica perchée comme elle fait à chaque fois qu’elles se retrouvent coincées prisonnées des heures dans le local tunnel une sorte de boyau avec la porte vitrée à l’extrémité lapant le ciel de la revue Jessica petite ouistiti en haut d’un tabouret du bistrot qui leur sert d’intendance où elle carbure à grands bols de cafés pour tenir la night… tiens…

Le bistrot qui faisait le coin avait peint sur sa Dinet.jpgdevanture en lettres noires sur fond rouge “ Au lapin sau… ” de sorte qu’on pouvait imaginer ce qu’on voulait à la place des trois points et justement une bande de rigolos en goguette avait barbouillé à la bombe aéro blanc fluo par‑dessus le fond rouge le mot “ SAUVAGE ” majuscule. Le patron de ce boui‑boui vaseux qui ramait à contre sens du temps convenu en abritant des revenants d’un pays bouffé par toutes les sortes d’Inquisitions prétendant au trône était un Pied‑noir de la Mitidja dont les ancêtres communards s’étaient trouvés bien dans ce pays de démesure et qui portait le nom de Mr Le Lièvre.

La première fois qu’elle est entrée dans son rade Jessica sur les talons à moitié cachée par le corps volumineux de Francès la directrice de la revue entortillé dans une gandourah noire aux revers tatoués d’arabesques vert pomme et orange il les a repérées aussitôt et elles ont eu droit au coup qu’il fait à tous les nouveaux venus pour les mettre d’équerre sur ce qui les attend ici.

‑ Bien’enue au bistrot des éstrangers ! nous autres on est pas d’ici hein ! et oilà ! et la mort de leurs z’osses à ceux qu’ça plaît pas bessif ! il a envoyé avec la voix d’un corsaire malouin recyclée dans le pur parler pataouète de Bab‑el‑Oued.

Et vu qu’elles restaient silence mais juste Jessica se frottait énergique le bout du nez par signe de questionnement muet il a continué : moi c’est Le Lièv mon p’tit nom et à sa’oir qu’un lièv c’est un lapin sau’age hein ! et nous autr’ à la course on est les meilleurs bessif ! Jessica et moi on se l’est tenu pour dit… SAUVAGE vous comprenez ?

Donc au Lapin SHomk-Salim.jpgauvage ou plutôt chez Balthazar car le patron se prénommait Balthazar que tout le monde surnommait Baltha le roi des Arabes c’était un repère d’Algériens revenus du bled avant d’y terminer transpercés ou rôtis par les barbus que Balta pourchassait sans la moindre hésitation le lance‑pierres autour du cou qui ne le quittait jamais. Tout ça donnait au lieu l’allure hystérique d’une des scènes de Homk Selim d’Alloula ou du Roi de l’Ouest de Yacine au TNA à Alger dans les années 70.

Ce dont Balta ne causait pas c’est qu’il était le meilleur au lance‑pierres avec un des gars de Plogoff qui comme tous ses potos passait régulier au Lapin échanger des nouvelles d’Afrique. C’est au bled qu’il avait appris à les fabriquer en bois de grenadier vu que dans tous les pays sans armes les peuples ramassent des pierres pour se défendre. Mais celui qu’il avait au cou ce samedi‑là c’était une sculpture où on voyait une tête et un torse de femme sans aucune courbe juste des triangles comme on en trouve au Burkina-Faso et le bois était noir aux reflets d’ocre sanguine une sorte d’ébène d’Ethiopie… mais où il était allé la chercher ? Ouaouf ! 

Au‑dedans de ce rade des fous c’est vrai que celle qui leur déboulait là avait l’allure d’une créature lointaine prêtresse de l’Egypte ancienne couverte de bijoux d’argent empierrés de lapis‑lazulis de Sar-e-Sang tandis que ses vêtements semblaient sortis des meilleurs boutiques de fringues de la rive gauche du fleuve. Elle avançait entre les tables grimées de mousse ocre jaune hésitante à l’intérieur de la fumée qu’elle écartait de la main et de l’autre elle tenait son cartable en cuir serré contre elle. Dans le bistrot il y eu soudain un silence remarquable.

‑ Tiens… elle va nous changer des autres effarés qui se ruent nous hurler la mort à l’heure des petits pains au lait… elle va nous lécher notre peau écorchée d’un coup de langue sucrée tant mieux ça nous fera du bien… elle a dit Jessica en se frottant le nez encore et elle a poussé un petit grognement repu d’allégresse comme elle fait des fois… Jessica…

‑ C’est drôle… elle a continué Jessica qui la matait en douce… on dirait qu’elle vient direct d’une peinture de Dinet avec le costume les couleurs pastel les bijoux et tout ! Et pour ce qui est de la barbouille Jessica elle en connaît un bout on peut lui faire confiance. L’intuition elle l’avait eue une fois de plus ma petite ouistiti et c’était si tellement juste que cette beauté‑là était une image. Ouais c’est ça une image de livre bien sûr…

 

Adossée au bar Francès qui savait de suite repérer les bonnes affaires avertie ric‑rac de ce qui débarque d’Algérie par le réseau installé partout où on retrouve les encartés pour peu qu’on musarde le museau au vent du côté des terriers dressant pavillon de ça ou de ci ne la perdait pas d’un œil depuis le départ. De l’autre elle surveillait l’assistance pour savoir si quelqu’un était déjà au parfum qu’il fallait alors prendre de vitesse fissa… Ouaouf !

Pendant que Jessica qui persiste à se frotter le nez sa figure de jeune ouistiti agitée de mimiques et de grimaces qu’elle est la seule à remarquer elle se dit qu’y a intérêt à tenir bon si elle ne veut pas pouffer de rire… Oh et puis ça y est c’est râpé les chroniques de la semaine vont passer à la trappe… Zut et re zut ! N’y a qu’à voir le regard fasciné de Francès sur la nouvelle princesse du Lapin pour savoir que ça va durer la nuit et encore la journée de demain et le reste… 

Ce qu’elle en a marre ! ce qu’elle en a marre alors de ces soirées où elle sert autant de fille de courses à aller chercher les taxis quand il pleut à verse parce que ses pompes de marche ne craignent pas les flaques à porter les valises algériennes qui pèsent normal le triple des autres valoches de toute la terre et à… tout ce qu’on veut qu’à noter sur des bouts de papier déchirés le téléphone d’un peintre qui a fréquenté Sénac et Galiéro et qui n’arrive pas à obtenir son permis de séjour et de l’autre main à récupérer le rouleau de parchemin pelure papyrus du fax à moitié effacé avec dessus la bio d’une poète kabyle inconnue qui écrit  de la part de Nabile… 

‑ Nabile ?… Oui Nabile Farès quoi ! Vous connaissez hein ?… Nabile… bien sûr elle le connaît et même un peu plus… Ce qu’elle en a marre alors ! Mais dehors là‑bas au loin de l’autre côté de ce décor carton pâte quand elle traverse la scène et que la représentation est finie pour s’en retourner sur la route celle qu’on marquée avant 02-59192-abdelkader-alloula.jpgles lascars de son espèce d’une trace qu’on ne peut pas perdre il y a Bonnie la chienne furieuse qui fait le guet et Jessica… le rire fou de Jessica… Gare d’Austerlitz… le Venice Orient Express… elle veut savoir elle saura il faut tenir bon ! Ouaouf… Ouaouf !

Faut dire qu’à ce moment tout le monde en Algérie se cherchait une planque ou bien un moyen d’esquiver convenable le temps du grand sacrifice et ceux qui ne l’on pas fait sont les témoins cabrés et redressés de tort fières et pures momies à mémoire dans leur linceul de gel. Y avait donc bien du courage et un joyeux parti‑pris pour la vie à se mêler du micmac gluant des états major et de leurs communiqués morses par‑dessus l’étendue d’eau salée qui ne les a jamais séparés… Ta tac tac tac tac !… 

Ceux qui avaient traversé farouches oiseaux lunaires leur manteau emplumé qui dégoulinait un peu où s’était déposée la bave rose la même que celle d’ici sur les bords du fleuve et plus à l’Est encore aux écluses du canal marchent comme des vivants mais ils sont des fantômes chahutés par le souffle brûlant du désert de Libye et son gardien Anubis avec Thot le scribe es morts à ses côtés. On les reconnaissait à ça que la luisante forme noire les avait revomis parmi nous autres tout effarés et on les saluait bas… Ouaouf ! Ouaouf ! Mais pas elle.

Ça y est… Francès qui racontait volontiers comment elle s’était fait mettre une lame un soir à Alger sur le palier du petit logement qui abritait de plus en plus souvent des journalistes ou des mangeurs de papier traqués par l’éclair métallique des petits couteaux et que son hurlement de terreur ce chien du désespoir avait fait fuir la clique surprise sans doute a agité la main dans sa direction comme elle fait d’habitude pour une commission urgente ou pas et Jessica toujours perchée l’observe furieuse fourrer ses poings au fond des poches de son cuir et Zouh !Pergamonmuseum_Ishtartor_07.jpg

‑ Bon d’accord elle y va… ça n’est pas ça qu’elle veut faire Jessica non pas ça du tout ! Mais quand est‑ce qu’elle va lui dire d’aller se faire bouffer par les crocodiles apprivoisés de la mare de Gossi  là‑bas au Mali ou dans n’importe quel marigot les petits mômes blacks les nourrissent et les femmes avec des quartiers de buffle frais elle et toute le staff de sa revue… Ouais quand elle ne sait pas… est‑ce qu’elle aura la force de jeter au loin cette muselière qu’ils lui passent tous à leur tour et pourtant elle est une louve hein Jessica ! Jessica !… Aboyer c’est ça… elle ne fait que ça… Ouaouf ! Ouaouf ! mais les planter là se tirer pour de bon… Jessica ! Je voudrais que tu m’appelles Neij… Jessica !

‑ S’il te plaît tu vas à la boutique et tu prends la monnaie dans le tiroir du fond à gauche tu sais ? Tu descends chez l’épicier marocain acheter de quoi prendre l’apéro ce soir avant qu’on aille dîner chez le Turc… du gin deux bouteilles de vin rouge celui que j’achète d’habitude… du jus d’orange avec des pistaches et des chips aux oignons enfin tu vois…

Elle glisse faufile légère entre les tables pendant que la voyageuse qui ne la remarque pas s’approche du bar au moment où Balta qui rompt le silence flamboyant des autres questionne en forçant sur l’accent pataouète :Murs-de-Babylone.JPG

‑ Et la dame d’où c’est qu’elle nous tombe comme ça hein ?

Pour la première fois depuis qu’elle est entrée dans le bistrot elle semble réaliser où elle est et elle répond en se tournant du côté de Francès qui est la seule femme du gourbi dans sa ligne de mire :

‑ D’Oran… je suis venue d’Oran et… 

Quasi arrivée à la porte qu’elle a rejoint en deux bonds de ouistiti elle s’arrête net pour le coup… eh non alors elle ne va pas laisser passer ça… vous vous doutez un peu… 

‑ Oran… la ville de Jean Sénac… Yahya el Ouarani… c’est là qu’il est né vous savez ?

La voyageuse ne s’est pas retournée pour lui répondre. C’est normal vu que quand on prononce le nom de Sénac quelque part y a une moitié des lascars qui ne savent pas et l’autre moitié qui ne veulent pas savoir… elle se dit en ouvrant la porte du bistrot qu’elle aurait dû la fermer… une bonne occasion ouais… heureusement que Jessica est là en haut de son tabouret qui n’en perd pas une… elle lui racontera… Ouaouf !

La nuit dehors scintille d’iris phares écarquillés et des comètes citron des vitrines il ne fait pas encore froid et l’odeur sucrée d’amande amère des macarons devant la boutique de la pâtisserie chocolaterie lui chatouille les narines. Elle court saute d’un pied sur l’autre et Plaouf ! à pieds joints dans l’eau claire et frissonnante du caniveau qui remplit ses grôles des petits glaçons de menthe verte se ruent entre ses doigts de pieds c’est bon !Porte-d-Ishtar.jpg

Venise… La première fois… dans ce train de nuit Jessica… Jess… on allait se rejoindre là et ils ne pourront pas nous séparer… Non ! ni les autres ni elle malgré les allures de panthère qu’elle va prendre bientôt quand elle aura pigé par quels moyens les fasciner les éblouir les flatter les séduire avec de l’Orient plein ses gestes languissants piqués aux odalisques de Delacroix et sa culture passée au glacis d’Occident au cœur de notre Babylone Zéro… Ni elle ni les autres les sorcières et toute la tribu avides de nous ravir la trace ne déferont ce qui nous relie à notre Nommo le génie des eaux qui nous a ouvert la porte du grand baobab où veille la parole sacrée des jeli… Ouaouf !         

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 21:23

Voilà... pour celles et ceux qui ont lu La hurle blanche vous apprécierez le retour de Jessica... et si vous ne l'avez pas lu ça n'est pas grave car vous trouverez là des présences familières : la chienne Bonnie Antonin le conducteur de locomotives et Neij bien sûr... et y aura une suite prochainement et Hop ! en voiture !

Plus en prime un dessin original récent de Louis ! le bonheur total !


“ et la vieille a refermé la porte sur le pauvre diable, et je l’ai suivie dans l’allée qui remontait vers la grille et quelle allée, putain de moine ! que de la boue fendillée par le verglas. Mon sens de l’orientation ayant toujours été quasiment nul, je n’avais jusqu’alors pas fait attention à cette cahute qui paraissait avoir été fabriquée en carton‑pâte. La vieille dame en poussa la porte, laquelle ne tenait que par miracle. ( … )

Comme de bien entendu

pas la plus petite ampoule, juste un fil électrique qui flottait dans le vide. ( … ) soudain, j’ai aperçu une lampe à pétrole ! le coup de bol ! la chance inouïe ! le don de dieu ! comme j’avais encore une allumette, je l’ai aussitôt craquée. ET LA LUMIÈRE FUT ! ”

 

Charles Bukowski  Journal d’un vieux dégueulasse in Journal, souvenirs et poèmes, Ed. Grasset, 2007  

 

 

Venice Orient ExpressSketches.jpg

 

Faut que je vous dise… Faut que je vous dise…

 

Neij… Jessica… Neij… C’est son rire… le rire fou de Jessica qui m’a retirée des pattes de la grande exciseuse sa robe d’écarlate pareille aux reines dans les contes et son couteau au manche court de bois niungo et recourbé. La femelle pesante elle a beaucoup mangé et sa tribu d’exciseuses et de servantes et le clan des hommes ses fils ses pères ses frères… 

Tous ! à sa suite… Bondissant ! Eructant ! Vociférant !

De la douleur et de l’effarement que j’en ai eu de notre family life vous imaginez pas ! Et après n’allez pas croire que ça s’est arrêté… Ah non ! Ça a bien continué… Il faut que je vous dise… c’était des années terribles qu’on en était pas sortis de si tôt… L’autorité fichée là des temps et des temps que ça durait… le sceau de sang des familles des matrones des guerriers. Pan ! une giclée de cire vermeille au bas du parchemin. Ah ouiche ! la violence des tribus des clans et leurs cérémonies rituelles aux déesses tatouées d’écailles d’or de la naissance et de la mort qu’on s’en gavait plein nos écuelles ! à ras bord… mais le rire le rire fou de Jessica !

La cruauté des Etats ses armées en ordre à la porte des géants abattoirs du monde… Rataplan ! plan ! plan ! ses cellules d’enfermement capitonnées double tour où nos corps dénudés se dépouillaient de leur dernière fourrure de comètes et dessous la crasse à nos talons à nos chevelures emmêlées de paille. La puanteur de nos sexes sanguine et nos crevasses ouvertes au bout de nos doigts brûlés de sel je les vivais au centre de mon volcan d’entrailles il y a tant d’années de siècles de générations que ça ne se compte pas… mais le rire le rire fou de Jessica !   

Elle me donnait la légèreté des eaux vertes des brumes d’onyx qui épluchaient le dos du canal et le reflet des masques de soie violette la buée grise des loups de tulle aux figures du carnaval qui tournaient ! qui dansaient ! Fallait voir les flambeaux leurs gerbes de flammèches hérissées et les chevaux que nous montions comme des sultanes dans les ruelles étroites et moussues où les fers de leurs sabots carillonnaient grelots d’argent. Jessica… elle me donnait tout son indécence et sa vertu sa lourde toison d’ébène cachée sous sa toque de velours rouge et ses yeux ivres d’absinthe. Ses vêtements d’homme l’odeur grasse des écuries de la pisse et des bottes fumantes et ses cuissardes noires et son parfum citron et cannelle… Jessica… Jess…

 

Ecoute…bonnienclyde.jpg

 

Depuis que je suis sortie de ma prison mon bunker béton… Hop ! extirpée mon armure que je croyais autour de mon corps et ses barreaux d’acier qui me clouaient traversaient la glaise de mes mains mes pieds… Ma prison et sa rigole au milieu où riboulent les eaux d’usure mes ruisseaux Hein ? mon cresson y poussait là-dedans et les renoncules et les iris ça pétait des couleurs que notre Vincent nous a balancées par‑dessus ses murailles à lui si si…

Depuis que je suis sortie hein ? j’ai pas arrêté de me poser la question des aboiements qui ont pris la place des mots quand ça commence et qu’ils essaient de me mordre ouais c’est ça de me mordre les gens… Longtemps ils m’ont fait peur leurs dents rasoirs leurs ongles taillés pointus leurs sexes à l’affût enfin vous savez moi je ne les devinais pas c’est forcé hein ? au début j’avais bien ma méfiance qui m’est venue dans l’école des bonnes sœurs la première leurs longues ailes de corbacs autour de moi qui volaient Flaouf ! Flaouf ! Mais déjà son rire à elle était là au petit jour de mes jours pour me sauver.

C’est que je ne l’ai pas su tout de suite dans les débuts où on grignotait ensemble Jessica et moi au milieu des cours de récréation plus loin qu’on pouvait des portes des cabinets en passant nos langues roses sur nos lèvres chocolat pareil que le chat de gouttière de la bignole la vieille ses jambes toutes varicées serpentins bleus croquant glouton délicat sa souris non je ne l’ai pas su tout de suite qu’on était deux ma petite sœur ma jumelle d’or et que toujours quand on est deux à l’intérieur d’un corps de fille alors hein ?… 

Un corps de fille dans le ghetto de la banlieue les années 60 par là vous voyez ? Avec la family autour qui veille aux entourloupes et que déjà dehors du côté des cabanes criblées des trous rouges des coquelicots il y en a qui appellent hululent nous empoignent terrible… mais croyez pas hein ? c’était pas un asile d’aliénés hein ? comme ils disent ceux qui croient qu’ils sont dehors… ouais je sais les créatures incendiées genre feux follets dans mon style qui reviennent tout le temps celles qui mènent la danse… Hop la la ! Hop la la ! quand vous croyez que la femelle mort et son troupeau derrière qui lui tient sa queue de lune rouge a remporté la mise… les créatures hein ? qu’est-ce qu’on en fait ?

Non croyez pas hein ! Des asiles d’aliénés y en a de toutes sortes d’ailleurs et ceux de la première noce avec les femmes qu’on vit quand on sort de l’œuf du monde en grattant de ses petites pattes de chien‑rat où les griffes de fer on pas encore poussé Crouï ! Crouï ! ce sont les pires Hein ? Mais qu’est‑ce que vous dites ? Que je vous raconte les tunnels par où je me suis bannie en rampant mon ventre qui s’arrache sa peau de naissance pas plus épaisse que les roses du jardin et mon sang au bout des doigts qui perle… Mais vous me croirez pas ! Hein ?orient-express.jpg

Qu’est‑ce que vous dites ? Que j’ai pas la carrure pour vous écrire sans enfoncer mes paluches dans la grosse touffe de viande rouge où tout les impotents pinochent pour faire leur manuscrit à la commande Raouf ! Raouf ! Leur papier sang caillé et les bouts d’esquilles d’os dessus points d’exclamation direct des abattoirs avec leur couteau qui fouille taille entaille les petites cavales au museau mouillé de bonté qui peuplent les rues rares de leurs galops sortilège d’évasion. Comment qu’ils suent alors vous voyez et comment que je les enfourchais à même leur cuir ma Jessica et qu’on ne faisait plus qu’un leur corps étrillé de frissons caramel et de gouttes à leurs crinières fondantes elles et moi… 

Ah ! oui je vois… comme toujours vous mettez la méchanceté des démones macquées par leurs mâles les guerriers d’argent en avant de vous et leurs boucliers aussi larges que les coquilles des tortues de mer qui font partie de la liste interminable des êtres qui vous échappent vous vous planquez juste derrière. Mais vous aussi vous êtes armés jusqu’aux dents et prêts à nous descendre avec vos Famas cirés luisants de fameux outils qu’on vous a fichés aux pognes comme les calibres à silencieux qui ont liquidé Gudrun Esslin et Ulrike Meinhof dans la prison de Stuttgart‑Stammhein.

Quoi encore… Les asiles d’aliénés ! Les asiles d’aliénés… L’histoire je vous l’ai racontée déjà du temps qu’on y était Jessica et moi au Stalag Notre‑Dame des Anges avec les folles gardiennes les goules et ce qu’il a fallu pour que ma Jessica dessous mon linceul parchemin que les autres les femelles déchiraient enflammaient autodafaient se tire de là ma petite chauve-souris drapée de soie gris comète cette couleur loin au-dessus de l’océan qui mousse l’hiver. Oui Venise c’est ça… c’est bien ça qui nous a sauvées de la lampe obscure de la folie qu’elles agitaient à chacun de nos passages dans leurs chambres froides bourrées de givre silence leur confessionnal et le préposé à la question la même rituelle toujours où il fallait qu’on avoue qu’on était des… mais on n’avouait pas rien de rien !carnaval-venise-masques-et-costumes-109.jpg

 Alors c’était les prairies de neige et mes chaussures si petites des mocassins l’hiver sur le bord de la piste juste avant la forêt et les sapins miaulant de froidure où les génies des arbres me parlaient déjà je les posais un instant pour me frotter les pieds pendant que le troupeau avançait. A cet endroit‑là juste au croisement des deux chemins il y avait le campement qui fumait doux au creux de la brume lichen rose du soir qui arrivait vite deux roulottes les chiens jappant joyeux à l’approche les poules piquant du bec dedans la poudrerie glacée et c’est de là que tu me venais. A chacun de nos passages ma Jessica ta fourrure de renarde rousse autour du cou tu prenais au‑dedans de tes paumes brûlantes mes talons de glace et de sel fendus un et puis l’autre et l’incendie de tes yeux jaunes m’allumait des cairns de braises braseros de velours pour ma chair et pour mon cœur égarés.

Les asiles d’aliénés Hein ? à Venise elles avaient décidé de nous expédier par le train de nuit celui qui traversait les sommets avec toute la lenteur qu’il faut et à la frontière on changeait les wagons de ce dur et les rails qui n’allaient pas le mécanicien s’accroupissait dessous les boggies tout le monde dormait dedans et moi je guettais j’en perdais pas une de tout ce pataquès ! D’un coup on redémarrait et la caravane reprenait sa route au bout de ce temps noir de peine de l’enfance qui en finit pas… Rouh… Rouh… Rouh… tout le monde les filles ahuries sorties pour l’occasion l’unique du cul des villages embarbouillés de boue et de lisier les pionnes malfaisantes qui fouillaient nos box aux dortoirs et raflaient le chocolat et les bonbons Kréma Régal'ad ou Mint'Ho et les profs largués complices roupillaient pendant que moi j’auscultais la nuit qui nous bavait sa traîne luciole argentée dessus un instant aux passages à niveaux aux gares gommées d’ombre où le falot rouge des loupiotes finissait de se consumer.

A Venise ouais… A Venise ! c’est ça ! fallait que le pensionnat des Anges le Stalag ordinaire où les communes tortures étaient la haine le mépris l’indifférence le mensonge la trahison la dénonciation quotidienne la bêtise vorace et l’absence absolue de bonté destinés à faire de nous les gueuses paumées jetés là comme au fond d’un puits asséché des femelles dociles bourrées de honte et de peur ait l’air de tout sauf d’un asile d’aliénées justement. Sauf d’un camp de redressement ni vu ni connu sauf de ce qu’il était pour de bon un ravisseur de vie un empoisonneur d’âmes un dépeceur de rêves avide de la joie souveraine de nos corps adolescents. A Venise alors on allait y aller vite fait c’était entendu et y avait intérêt à ce que ça se sache hein !9538734-innsbruck-austria-may-2011-the-venice-simplon-orien.jpg       

Venise ça tombait bien… le ghetto vous vous souvenez pas ? ça nous changeait un peu faut le dire… Les filles les autres toutes impossible de les larguer une fois débarquées aux rebords de la lagune luisante dans le matin picoré d’améthyste ouais impossible comme d’habitude. Pourtant il le fallait c’était convenu nous avions notre rendez‑vous Jessica… ma Jessica la Place du Marché aux Moutons ça allait être simple pour la trouver sans doute… c’était là c’était obligé ! Si je l’avais lu et relu le livre que Virginia le prof d’anglais m’avait refilé un soir à la salle d’étude que j’avais posé ma tête d’effraie effarée entre mes mains à plat sur le pupitre de bois encore un peu vivant et que l’eau lui faisait des rigoles salées.

‑ Tiens… elle a glissé le bouquin entre mes griffes serrées à mort… si si il faut que tu lises ça tu verras… sa main légère une mésange charbonnière sur mon épaule… il y a quelqu’un comme toi là‑dedans… tu ne seras plus seule…

Virginia n’avait jamais cherché à m’apprendre quelque chose et plus d’une fois elle m’avait surprise dans le jardin aux pommiers avant qu’elles ne les coupent et qu’elles ne jettent leurs corps encore habités par les génies des arbres au milieu du grand incendie au cours d’une de nos palabres incroyables. C’est qu’elle venait elle aussi je le savais je l’avais épiée suivie à l’intérieur du lieu sacré et interdit dire à voix haute des poèmes irlandais toujours les mêmes qu’elle lisait dans un petit recueil qui n’avait plus de couverture à force depuis le temps qu’elle dormait avec lui contre sa joue.    

Venise ouais tu parles… c’est que je n’avais pas besoin d’y aller moi au ras des eaux louches de la lagune qui bouillonnait de bulles s’échappant des corps perdus oubliés là basculés par­dessus les lianes en fer forgé des balustres quand les vitraux des fenêtres aux carreaux losanges vert émeraude et vert turquoise s’entrouvraient on n’entendait rien d’autre que le Flaoup ! et voilà c’était joué… non je n’avais pas besoin vu que ça faisait une pincée d’années de ça qu’on s’était rencontrées Jessica et moi ou plutôt que je marchais dans l’ombre fardée de rouge d’un être double dont je ne savais pas le nom.

Jusqu’à ce que Virginia me donne le livre et que j’embarque à bord de ce dur que grand‑père Antonin ne conduirait pas nos corps qui se défendaient à coups de hurlements hérissés de silence de la cruauté des prêtresses du ghetto et leurs serviteurs leurs bouffons leurs naines leurs ogresses ne faisaient qu’un et seuls nos cœurs sauvages se parlaient. C’est ça nous étions Jess et moi tapies à l’intérieur de la créature d’un hérisson sanguine effaré pris en chasse par la lumière et pourtant c’était lui le maître des lieux qu’aucun nain n’aurait pu imiter. Je venais à peine de monter dans ce train qui entamait sa chevauchée hideuse en direction de la citadelle aux portes badigeonnées du sang des êtres sans figures que je sentais nos corps en train de se séparer.Cafe_Florian_Venise_05.jpg

Venise… Venice… je n’y étais pas et j’y étais… au‑dedans de ce wagon où je me recroquevillais éveillée la nuit entière au creux de la lueur bleue de la veilleuse je savais que j’allais pouvoir te nommer enfin ma Jessica ma petite chauve‑souris ma légère ton masque de carnaval velours gris autour de tes yeux vers luisants et le tulle frimas en résille collant tes lèvres de roses écrabouillées… Jessica ça ne vous rappelle rien alors ? C’était la première fois et tu allais sortir de moi ou peut‑être… non je ne sais pas… nous serions deux j’en avais le désir insensé et ici dans ce train de nuit qui fonçait avec toute la lenteur du hérisson sanguine que la lanterne pourchasse au centre du Katapok ! Katapok ! des roues sur les rails c’était le secret des mots des griots à l’intérieur des grands baobabs que j’entendais…

La première fois… dans ce train de nuit Jessica… Jess… tu ne m’appelais pas encore Neij mais c’était en route ça venait ça cavalait depuis le ventre laiteux de la lune avec cette liqueur verte de tes lèvres aux miennes notre ivresse nos retrouvailles… La première fois dans la chaleur qui faisait remonter des corps des filles endormies les odeurs de chaussettes de grolles graissées au suif et de manteaux mouillés et en poussant sans bruit la porte du compartiment pour appuyer mes paumes contre la vitre givrée de petits ruisseaux d’argent ni toi ni moi ne posions la question de qui avait lâché l’autre au gré de la géante clameur du monde.img_3361-sirene.jpg

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9 octobre 2013 3 09 /10 /octobre /2013 00:55

      Cet article a été publié sur le site du Grand Soir et je ne pourrais guère écrire mieux sauf à développer la façon dont Mouamar El-Ghadafi a travaillé de son vivant afin de sortir l'Afrique de l'exploitation qu'elle subit de la part de ses roitelets et des maîtres occidentaux qui les manoeuvrent afin de la piller et de réduire ses peuples en un perpétuel esclavage.

      Ceci à lire dans le cadre de l'écriture que je poursuis depuis l'écartèlement de la Libye et l'assassinat de Mouamar El-Ghadafi et si ça n'était pas si obscène ce qui se passe aujourd'hui serait drôle... bientôt en effet ils ne pourront plus empêcher cette " immigration massive " qui les terrifie et la mise en scène actuelle ne leur sera d'aucun secours...

gaddafi

La tragédie de Lampedusa : Ce dont l’Italie doit vraiment avoir honte
Mardi 8 octobre 2013

Manlio DINUCCI

“ Honte et horreur ” : ce sont les termes utilisés par le président de la république Napolitano à propos de la tragédie de Lampedusa. Ils devraient plus exactement être utilisés pour définir la politique de l’Italie à l’égard de l’Afrique, en particulier de la Libye d’où provenait le bateau de la mort. Les gouvernants qui aujourd’hui battent leur coulpe sont les mêmes qui ont contribué à cette tragédie, et à d’autres, des migrants.

D’abord, le gouvernement Prodi, le 29 décembre 2007, souscrit l’Accord avec la Libye de Khadafi pour “ faire obstacle aux flux migratoires illégaux ”. Puis, le 4 février 2009, le gouvernement Berlusconi le perfectionne avec un protocole d’application. L’accord prévoit des patrouilles maritimes conjointes devant les côtes libyennes et la fourniture à la Libye, de concert avec l’Union européenne, d’un système de contrôle militaire des frontières terrestres et maritimes. On constitue à cet effet un Commandement opérationnel inter-forces italo‑libyen. La Libye de Khadafi devient ainsi la frontière avancée de l’Italie et de l’UE pour bloquer les flux migratoires d’Afrique. Des milliers de migrants venant d’Afrique sub‑saharienne, bloqués en Libye par l’accord Rome-Tripoli, sont contraints de retourner dans le désert, condamnés à une mort certaine. Sans que personne à Rome n’exprime honte et horreur.

On passe ensuite à une page plus honteuse encore : celle de la guerre contre la Libye. Pour démanteler un État national qui, malgré d’amples garanties et ouvertures à l’Occident, ne peut plus totalement être contrôlé par les États-Unis et par les puissances européennes, garde le contrôle de ses propres réserves énergétiques en concédant aux compagnies étrangères des marges de profit restreintes, investit à l’étranger des fonds souverains pour plus de 150 mMouamar et Hugoilliards de dollars, finance l’Union africaine pour qu’elle crée ses organismes économiques indépendants : la Banque africaine d’investissement, la Banque centrale africaine et le Fond monétaire africain. Grâce à un actif commercial de 27 milliards de dollars annuels et un revenu par habitant de 13mille dollars, la Libye est, avant la guerre, le pays africain où le niveau de vie est les plus élevé, malgré les disparités, et se trouve félicitée par la Banque mondiale pour “ l’utilisation optimale de la dépense publique, y compris en faveur des couches sociales pauvres ”. Dans cette Libye, environ un million et demi d’immigrés africains trouvent du travail.

Quand en mars 2011 commence la guerre États-Unis/OTAN contre la Libye ( avec 10 mille missions d’attaque aérienne et de forces infiltrées ), le président Napolitano assure que “ nous ne sommes pas entrés en guerre ” et Enrico Letta, vice-secrétaire du Pd ( Partito democratico ), déclare que “ les va-t-en-guerre sont ceux qui sont contre l’intervention internationale en Libye, et certainement pas nous qui sommes des bâtisseurs de paix  ”. “ Paix ” dont les premières victimes sont les immigrés africains en Libye, qui, persécutés, sont contraints de s’enfuir. Rien qu’au Niger 200-250 mille migrants reviennent dès les premiers mois, en perdant la source de revenus qui entretenait des millions de personnes. Nombre d’entre eux, poussés par le désespoir, tentent la traversée de la Méditerranée vers l’Europe. Ceux qui y perdent la vie sont eux aussi des victimes de la AFRICA432guerre voulue par les chefs de l‘Occident.

Ces mêmes gouvernants qui aujourd’hui alimentent la guerre en Syrie, qui a déjà provoqué plus de 2 millions de réfugiés. Parmi lesquels certains tentent déjà la traversée de la Méditerranée. Si leur embarcation aussi coule, il se trouve toujours un Letta prêt à proclamer le deuil national.

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 17:40

Ce texte vous en reconnaîtrez peut-être des fragments... je l'ai écrit ou plutôt je les ai écrits car ils sont deux ici emmêlés et je les ai publiés séparément sur notre blog il y a... un certain temps. Alors je ne savais pas réellement ce que je voulais ou plutôt et comme toujours ils étaient un morceau du sens de l'histoire en puzzle et il fallait remettre de l'ordre...

Maintenant je sais qu'ils entrent dans mes récits d'Afrique ma soif d'Afrique qui faute de bourlingue possible est devenue des mots... Du coup j'ai réécrit certains passages et voilà... Vous participez en direct une fois de plus au travail d'écriture...


Yurugu la quête suite...008-desert-blanc-egypte-fennec

Une demeure d’eau et de rêves cloués aux bracelets de nos chevilles c’est ce qu’il nous restera bientôt à nous autres les ouvriers du labeur une fois qu’on nous aura chassés comme tant d’autres avant nous des puits des fours des laminoirs une fois récupéré nos nippes de pendus au croc et remontés de la caverne de pluies noires tout en bas hérissonnés d’échardes aux épaules et au flanc. Nous autres et nos doigts lucioles esclaves des trouées de charbons amères des fosses des forges abreuvées du gin bleu des criques à douleur nous remontés sur la piste du camus et de la dernière maison nous n’aurons plus qu’à reprendre la piste des hommes du Sud et leur corps flottant comme celui des rats noyés dans les eaux de la Petite Syrte nous montreront le chemin. 

Rien qu’une cabane en banco sur les rives du lac Débo dans le delta intérieur du fleuve Niger Ô N’ger Joliba fils de sang que les hommes de Djenné ou de Mopti qui se succèdent à la bouche lancinante des fours à plâtre racontent dans la solitude des êtres qui se contentent de la terre et des eaux. Qui se contentent de la grandeur des bontés de la première déesse d’Afrique à tête de lionne Tefnout la protectrice aux dreadlocks devenue quelques siècles plus tard la reine Nyabinghi la solaire la guerrière Reine-Prêtresse d'Ethiopie et d'Egypte qui après avoir chassé les hommes et leurs armées prédatrices est devenue la gardienne de la paix de la justice et du partage sur la terre mère.deesse-Sekhmet.jpg  

Ici pas de demeure qui ressemble à la Toguna du peuple Dogon la maison commune des palabres ni de case à apluvium de Casamance et son bassin pour recueillir les pluies sacrées où on accueille l’étranger ni de temple du Genius Terrae Africae le symbole de la grandeur des peuples d’Afrika et sa dépouille d’éléphant l’entourant. Rien qui permette de renouer le lien avec la terre bienveillante et bienfaisante et de sentir la force de Sekhet et les vents brûlants du désert sortant de sa bouche afin d’échapper à la barbarie des chasseurs venus du Nord par l’esquive et la transhumance. Non ici on ne peut plus désormais fabriquer avec nos mains nues des briques de terre rouge et de paille on ne peut plus monter une cabane avec des croûtes de pin pour murs et de la toile goudronnée pour toiture comme l’ont fait les anciens à flanc de plateau jadis.

Ici on ne peut plus rien faire d’ailleurs on ne peut plus rien qu’attendre que les eaux lointaines de nos pleurs de notre sueur de nos corps roulés aux pressoirs récoltant la bonne liqueur de notre force humaine nous reviennent et nous désaltèrent de cette soif qui ne cesse pas. Notre fontaine précieuse aux eaux bonnes comme le lait crevant les cicatrices de l’oubli de paroles fertiles a fait de nous des peuples fiers et généreux mais nous avons tout juste oublié de remercier la déesse Sekhet et sa sœur jumelle Tefnout qui depuis l’aube du grand Nil et le temple de Sobek le Seigneur du lac du Fayoum avait rejoint l’oasis de Siwa au cœur du désert libyque. Nous repartirons une fois encore nous mettre à la merci de celle qui ne nous a jamais trahis la déesse lointaine fille de l’œil du soleil la sœur aînée de Nyabinghi sera à nos côtés.

 

Quand j’ai vu qu’ils avaient commencé à exhiber les images de ce tas de ferrailles fumantes je me suis dit que c’était trop tard

Ici le printemps a poussé la porte de l’hiver et c’est la première fois que je m’en fiche

La joie légère presque innocente des arbres blancs a enfilé un string de plastique noir et je n’y peux rien

Je dirais que le printemps ne me concerne pas s’il ne s’en prend au mal qui ronge les racines de l’arbre

Pour la première fois je sais que ça a commencé et que le crédit d’éternité que fait la mort aux poètes s’arrête là ( a pris fin )

Le puits d’où je remonte le seau rempli d’histoires n’est pas vide mais l’eau a cessé de chanter je n’ai plus assez confiance en elle je préfère garder ma soif et boire l’eau du bocal à poissons rouges

Quand ils ont commencé à montrer les images de leur monstrueuse cérémonie et à danser autour je l’ai entendu me parler comme d’ordinaire et sa voix n’était plus celle d’une enfant rebelle du désert née dans l’oasis de FarafraFrafra.jpg

Où nous nous sommes rencontrées longtemps avant “ Ce jour‑là ” longtemps avant que leur cataclysme de ferrailles éventrées et de magma solaire ne soit l’autel de notre nouveau sacrifice ( nous sommes tous volontaires pour les liquider )

Et qu’ils n’emballent les premiers cadavres dans les sacs plastiques remplis de billets de mille dollars ( nous n’avons jamais manié les armes mais nous allons apprendre )

Elle lavait son corps roux nu dans l’eau de la source chaude et les bulles de vapeur éclataient en gouttes grenat sur sa peau elle avait dix ans à peine et je l’ai découverte à l’aube au moment du bain les chamelles dormaient encore

L’air frais de la nuit sucré par la brume qui montait des tas de dattes dressait ses petites nattes café brûlé sur son crâne luisant cachée derrière le plus grand des palmiers bleus je l’ai regardée comme j’avais vue épuisée après plusieurs jours de marche

Sur ces saletés de cailloux incendiés du désert noir j’avais mal calculé les distances comme une toubab ahurie

En haut de la dune aux reflets bitume qui planquait l’oasis des dizaines de cases multicolores entourées de manguiers et des chèvres broutant les petits arbustes à ras du sol et tous les éléphants de Gossi étaient là on aurait dit qu’ils m’attendaient ( ça m’aurait bien arrangée )

Mais en fait comme toujours il n’y avait personne et pourtant ça m’a quand même poussée jusqu’en haut de ce maudit tas de sable et Hop ! de l’autre côté l’oasis somnolente avec ses remous mouillés et les voiles vert turquoise de ses palmiers m’observait en rigolant

Elle avait dix ans à peine et l’eau qui bouillonnait faisait miroiter sur son corps de terre rouge des flaques aussi sombres que des bijoux d’ébène

C’était longtemps avant “ Ce jour‑là ” elle chantait en jouant avec les bouts de fumée qui sortaient de sa peau et le rythme de ses paroles inconnues est entré en moi et j’ai senti dans mon cœur qui brûlait d’insouciance et de clarté obscure

Que j’avais trouvé le royaume écrit sur les tables de sable par un vieux Touareg du Gourma qui avait prédit aussi que le monde des dieux blancs était fini et qu’il fallait qu’on s’apprête à le payer cher

 

La déesse Tefnout la singulière chasseresse de la vaste savane d’Afrique et de tous les déserts la traversière qui sait les pistes de l’eau cachée avec au‑dessus de sa tête de lionne et sa crinière mêlée à sa chevelure le disque solaire au cobra dressé uraéus protège les champs abondants d’insectes à musique et leurs richesses. Si elle les connaît Sekhet la voyageuse les mangeoires de terre rouge et noire où se tordent les épis oiseaux pesant leur grain aux outres de Nahr‑el‑Abiad et de Nahr‑el‑Azrak et leur frère jumeau N’ger le messager de la maison des femmes Oasis-Farafra.jpgles nourricières d’âmes lunes les pétrisseuses des rêves du vent ! Si elle les connaît Sekhet la voyageuse les trois plus grands Maîtres d’eaux d’Afrika elle devenue Tefnout la lionne au museau de rosée la déesse de l’humide et des pluies qui baignent Ain-al-Schams la fontaine du soleil dans l’oasis de Siwa et ses carreaux de mosaïque turquoise où tout le ciel vient boire.

 

 Vous les avez vu exhiber les images de ce tas de ferrailles ravagé et ses lambeaux de câbles électriques rongés par les scarabées du sel tout ce qui reste de leur puissance de pharaons eunuques à la nuisance d’or dur et ses festins d’amphétamines

D’habitude ils planquent dessous les bâches vert de gris les déchets contaminés de leurs règnes dynastiques hautement contagieux leurs poubelles clignotent dans l’ombre comme les yeux des fennecs qui fuient à l’approche des camions militaires

Elles ont pollué les trois‑quarts de nos champs de radis et de roses avec des équations yellow entassées dans des bidons métalliques trimbalés d’abord par les esclaves du Soudan qui ont traversé le Ténéré jusqu’à Assiout et les porte containers du Nil les balanceront dans la Mer Rouge

“ Ce jour‑là ” j’ai pigé que les cerisiers en fleurs de Fukushima ne donneront que des récoltes de fruits empoisonnés et pourris ( les enfants de Tchernobyl n’ont déjà plus d’oreilles et leurs yeux sont des perles de sang )

Le monde généreux et fragile qui enchantait les mains pleines des ouvriers de cerises qu’on partageait avant d’aller changer nos fringues au vestiaire se décompose à l’intérieur des pages du petit livre écrit à l’intention des révoltés absents et des amis qui ne passeront plus la porte

“ Ce jour‑là ” l’image du mineur silicosé a commencé à traverser sa plaque de verre à toute vitesse en arrière ( ils l’avaient déjà tué )et je n’y pouvais rien

Derrière le visage gratté par nos ongles sur les cartes sépia des vieux ouvriers il n’y a que du vide et des vies jetées dans les charniers de givre des guerres de la consommation ordinaire et leurs grands yeux voilés par le halo des lampes acétylène

Ne nous renvoient plus le reflet lunaire de notre histoire humaine de notre misère commune masquée de carnaval de nos casse‑croûtes rassis et de nos mégots de gris fumés à la pause de nos baisers laissés en hâte avant de quitter les draps rudes du sommeil rapace

“ Ce jour‑là ” de l’autre côté de la vitre salie de poussier du camus le regard sans regard du mineur silicosé enferme la tristesse du monde dans l’avenir et sa demeure éventrée et je n’y peux rien

Ce qui nous sépare ça n’est pas sa mort et la terre jaune de ses lèvres rongées ( ils l’ont déjà tué ) c’est l’histoire et le chagrin des hommes qu’ils nous ont confiés ce sont nos utopies et nos révoltes emmêlées nos marguerites matinales

Rognées à l’acide des peurs jusqu’à ce qu’il ne reste gravé sur la plaque de cuivre que leur ombre Gardiennes du néant

Quand j’ai vu qu’ils avaient commencé à exhiber sans honte et sans inquiétudes les images du tas de ferrailles où leurs âmes sont parquées sous des combinaisons de plomb je me suis dit qu’il était trop tard

Et “ Ce jour‑là ” je ne pouvais plus rien pour ce mondesiwa_cleopatra02.jpg

                                                            

Et voici que Yurugu le voleur de la parole du père la parole interdite celle qui ne coule pas de source dans les veines et qu’il faut aller quêter ailleurs là‑bas loin de la terre maternelle dans la maison étrangère… c’est la parole étrangère celle de la demeure de l’étranger bienvenu qui nous revient. Tefnout a été ramenée en Egypte après son périple dans le désert de Nubie sous la forme d’une lionne par Thot le dieu de la lune et le scribe divin. Thot qui tout pareil à Amma le maître des mondes du peuple Dogon créant l’univers en le nommant et en nommant chaque créature est le seigneur du temps. Et voici que Yurugu le renard pâle l’âme solitaire de l’échec et du refus est des nôtres enfin. Nous les fils du labeur et de la crainte d’une muselière de faim nous avons vendu notre soif et nous n’en avons rien su. Et voici que Yurugu nous apporte les mots à la table du festin de sable pour écrire l’histoire.

Le fils légitime le jumeau c’est Nommo à la fois mâle et femelle enfanté par Amma et par sa femme la terre. Nommo le génie de l’eau initié par le père au verbe créateur donne à boire et chaque lieu d’eau chaque fontaine généreuse chaque puits rare fécond improbable possède son Nommo qui l’enchante de sa nyama sa présence sa force vitale. Et Yurugu le devin celui qui sait lire l’histoire des hommes s’est mis en route parce qu’il possède la parole qui sème le désordre et la poésie et que comme tous les êtres rebelles il a été chassé de sa demeure la termitière géante de terre rouge… Ah Yurugu ! voici que tu nous revient toi le gardien de notre soif.

 

Lorsqu’un peuple qui n’a que des seaux pour éteindre un incendie menaçant les milliers de mètres cubes de papier monnaie où il est emprisonné attend que les fabricants d’allumettes lui donnent le feu vert au lieu de s’enfuir à toutes jambes ( les fennecs du désert savent où sont tous les puits )

Je ne sais pas si c’est une preuve de la sagesse et de l’invincibilité annoncée par l’Oracle de Farafra car je ne me suis jamais trouvée dans cette situation j’ai seulement failli mourir de soif à une barcane de l’oasis

Mais je sais que le mineur silicosé ne cessait pas de fumer de fumer de fumer

“ Ne vous inquiétez pas pour nous… ” a été le dernier message de ceux qui ramassaient les tonnes de poissons fluorescents sur la plage de Fukushima pour la somme de 760 livres par jour et Dina la vieille Biélorusse qui n’a plus de dents depuis longtemps

Offre aux enfants du village qui n’arrivent pas à grandir le lait de ses chèvres et les fables que lui racontait sa grand‑mère avant “ Ce jour‑là ”

Quand ils ont commencé à exhiber les images de leurs tas de ferrailles fumantes je me suis dit il est temps

Je n’ai plus rien à faire ici moi plus rien à écrire ici

Ce monde d’où je viens est fini un monde où les hommes s’endormaient légers et leurs rêves sautaient par‑dessus les barbelés et leurs rêves enflammaient la conscience des peuples et leurs rêves partageaient les moissons de la terre et leurs rêves savaient

Qu’au‑delà du mirage en haut de la dernière dune sommeille l’oasis aux fontaines chaudes et aux scarabées de selfarafra_gardens01.jpg

Il suffit peut‑être d’un pas ( les fennecs du désert connaissent tous les puits )

“ Ce jour‑là ” ils ont réussi à faire peur aussi au soleil et l’océan n’était plus qu’un grand bocal à poissons rouges morts et la forêt amazonienne n’était plus qu’une grande cage à aras blancs morts

Et le Sahara n’était plus qu’un grand forgeur de vents où ruissellent les dunes sur les traces des fennecs encore vivants

Alors je me suis dit qu’il était temps de faire demi‑tour le plus vite possible si je voulais retrouver la piste qui mène à l’oasis ( ils ont les moyens de la faire sauter ) avant qu’elle n’ait fondu et que la camisole de lave bitume noire les deux cordons attachés derrière le dos des palmiers maintenus à genoux

Pour lécher le sable et sa sueur comme les ilotes attachés à la terre mémoire dépouillée de son épopée me ligote du même coup ( qui me défendra )

Et sitôt poussé la porte du désert j’ai reconnu l’odeur épaisse et moite des fruits séchant et j’ai senti sur ma bouche la cavalcade des scarabées de sel et l’humide de la buée ocre des fontaines chaudes a roulé dans ma gorge comme un sanglot

Qui lavait doucement la tristesse du monde installée là pour tout les temps à venir et quand je l’ai retrouvée à l’aube au moment du bain et qu’elle s’est mise à chanter j’ai oublié les images de leurs tas de ferrailles éventrés et fumants

Et j’ai commencé à dessiner sur le ventre moelleux de la dune devant les yeux étonnés des enfants de l’oasis aux paupières nacrées la table de divination que le vieux Touareg du Gourma m’a apprise peu avant que la poussière des astres morts le recouvre

Pendant que l’oasis de Farafra se réveille  seule au monde sapée de sa lumière rose “ Ce jour‑là ”

Et ils n’y pourront jamais plus rien.Farafra.jpg

 

Etrangère à leur terre de goudron et à leurs marres miroirs au pied des forages noirs où ils ont capturé le soleil pour se voir luire dieux parés de colliers de balles incendiaires je chasse les faucons lunaires venus d’al-yiumna les rives de l’Arabie Heureuse jusqu’au lac Tana pour remonter Nahr‑el‑Azrak en direction de Kôm Ombô la demeure de Sobek le seigneur des eaux. Bahr el Nil le lac Tana la mer intérieure de l’Ethiopie où les pêcheurs à bord de leurs tankawa pirogues de papyrus dessous leur couverture de pélicans blancs refusent le combat contre les hippopotames chevaliers des estuaires rougis de limon. 

Les pinasses longues au cou cambré de caïlcédrat tatouées de fleurs de baobabs sont aussi vastes que le radeau d’Aguirre et sa colère divine d’homme égaré peut tout entière crécher dedans. Notre colère sacrée à nous autres les anciens ouvriers du labeur de n’être plus des hommes libres à la destinée aventureuse ni ces bergers transhumants dont les troupeaux de chamelles blanches de chèvres de moutons et de petits ânes vont et viennent sur le sable aux coloquintes de l’Azawad de n’être plus des guetteurs d’eau qui remontent les fleuves en racontant la mémoire des peuples aux rythmes des tambours calebasses et leur mille grelots vibrant s’ouvre sur le temps du retour à le première nation.

Nous avons fini d’être les lutteurs du feu et nos mains nues à lancinantes poignées de sculpter les déesses d’acier rouge et de les polir du glacis d’or solaire remontant à la surface du laitier bleuté et emplissant les cuves crépuscule que nous étions les seuls à voir. Ah Yurugu ! nous les enfants des peuples du Nord esclaves de la civilisation des Babylone de métal ruinées nous les enfants des peuples du Sud exilés de nos royaumes nomades asservis par les maîtres toubabs et nos rois bouffons nous voici prêts à embarquer sur le radeau de la bonne traversée. Ah Yurugu ! nous voici avec les outils précieux que nous avons forgés pour une aube de terre fragile et d’eau nous revenus de loin armés de la fureur de nos rêves trahis et de la mémoire de l’enfance du monde.Moula-moula-et-accacia.jpg   

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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 20:29

Mes frères de sangJean

 

Il y a dix ans le 24 septembre que mon ami Jean Pélégri a décidé de tailler la route sans moi sans nous en laissant là ceux qu'il faisait rêver rire et s'enchanter à la petite lueur toujours malicieuse de ses yeux bleus lavande...

Dix ans de navigation à vue sans rien savoir du vent ni de la vie pour moi qui m'appuyais si volontiers sur son épaule et notre amitié si neuve et si ancienne pourtant avait trouvé son rythme et sa route...

Désormais en grosse mer seule avec mon raffiot d'écriture mal ficelé et prenant de plein bord des monceaux mouillés de déconvenues et d'autres peines bien pires je continue à tailler de vieux crayons sans mine et à ne pas savoir où je vais d'autres le savent sans doute...

Jean mon frère mon ami qui sait combien j'aimerais juste un instant retrouver son rire jeune et joyeux à mes côtés et ses colères incroyables par les deux et par le coeur il était bien un AlgérieCahier Jean page 5n.

Jean je ferai de la pierre où tu sommeilles comme un chat à la chaleur de la St Jean d'été un cairn pour les retrouvailles des amis qui t'ont aimé et qui comme Fatima n'ont pas cessé depuis ton départ de questionner : " M'sieur Jean M'sieur Jean alors c'est vrai tu vas nous laisser tout seuls... "


Mes frères de sang… ces mots alors je les écrivais pour parler des ouvriers immigrés africains la plupart pas tous que je rencontrais à l’aube quand sa blancheur d’écume nous effaçait les uns aux autres leur face égratignée du manque de sommeil les yeux bouffis de lassitude et leurs sourires rares hésitants les seuls qu’on m’ait donnés à cette heure de mes lanternes matinales. Leurs visages dont aucune encre de papier journal n’a eu à se retirer puisqu’elle n’y est jamais venu voir je les croisais à ce moment pour moi qui est celui juste avant d’aller dormir quand avec la chienne Bonnie l’hirsute aux chemins de braise après une nuit de veille et de cavale dans des traverses d’écriture je descendais sentir la rue et ses odeurs qui chargent nos corps lucioles noyées dans la pâleur carbonique de cet instant‑là de sa bonté ouvrière. Ses pains chauds à la bouche du premier soupirail sa fraîcheur d’eau moussante et saute‑moutons entre deux serpillières des caniveaux bleus ses amertumes à fleur de café et ses premiers rideaux de ferraille rouillée qu’on remonte dans la lenteur des gitanes maïs refroidies.

Jean visage 7Mes frères de sang… ainsi que je les appelais en mémoire de certaines aubes urgentes où réveillés d’un somme rare par les paroles d’Exodus et la joie dans ces mots qui balancent l’enfant porté au dos au rythme des manguiers doux et du reggae de Bob Marley emmêlant leurs tignasses nous quittions la maison de banlieue et ses nuits hirsutes. Nous allions à cette heure sans heure dans des entrepôts géants entasser sur des charriots pousser aux monte‑charges hisser jusqu’aux remorques des camions fendus arracher des carreaux de plâtre à la gorge des fours laver les vitres embuées de givre des marchands de fourrures et de parfums plonger les poings au creux des eaux grasses jeter au fond des containers énormes les nourritures inachevées nettoyer l’encre des rouleaux d’imprimerie essuyer doucement le pus des derniers escarres.

Mes frères de sang… poètes ouvriers saltimbanques paysans compagnons du labeur griots bergers cheminots joueurs d’orgue de barbarie mes transhumants mes infidèles mes oiseleurs combien de temps j’ai mis à venir m’asseoir à votre table où je ne serai jamais sûr d’avoir ma place au festin de feu. C’est de vous que j’ai appris les cairns solitaires indiquant la bonne route à l’étranger et la lampe allumée la nuit à la dernière maison du dernier hameau pour rassurer le voyageur égaré parmi les drailles de plateaux sourds et son ruisseau de lumière coulant léger dans l’ombre filant la trace des hermines aux pelisses hérissées roses d’aiguilles de mélèzes.Jean 2    

  Frères de sang dans notre marche nocturne interminable nous les hoboes sautant en marche nous agrippant au dernier wagon d’un train bourré de cette poésie du réel qui ne s’arrête nulle part et qui fonce vers des horizons d’arbres flamboyant à la lueur orangé de nos utopies crépusculaires avec la conscience d’un héritage jamais nommé et à peine entrevu. Nous qui poursuivons l’histoire d’une culture populaire accumulant les fragments de nos bouts d’existence partagés mis à néant aux machines aux fosses aux cuves aux rayons aux échafaudages nous frères de sueur et de lait noir nous cueillons au brasier de notre drôle de mécanique à rêves sous les pas des peuples esclaves les rubis intacts de notre solitude.

La solitude celle‑là sans la plus petite présence à portée de pattes pas un chien réclamant son dû d’amitié fragile et m’apprenant à aboyer pas un chat greffier féroce et familier maître en sauvagerie et en départs lunaires sur la piste effrontée me déboulant compagnon obstiné lassé de chasse et de combats juste pour jouer à l’éclaircie à peine matinale quêtant ma main d’écriture un instant à l’aune du sommeil pas une bestiole perdue cognant contre ma porte lointaine quand le brou de l’ombre se fige avant que ça se fende à l’Est et que la lave rouge commence à bouillonner pas un oiseau de nuit et son chuintement complice revenant dormir à mes côtés par la déchirure du bois bleu moulu au portail de la grange oui celle‑là et pas une autre je ne l’ai connue qu’à une certaine heure de ma vie mais avec la rouille du désespoir et de la haine vernissant mon corps adolescent d’une mémoire implacable.26-Nov-62.jpg

La solitude celle‑ci je la réclame aussi intense aussi brute avec la sensation partout dans mon corps à l’intérieur de mes yeux leurs puits d’émeraude au désert de Libye grands ouverts d’appartenir à l’air chaud du Fezzan de me dissoudre entre les grains du fesh‑fesh que le ghibli avide et son museau de fennec pousse de me couler de me défaire de m’enfoncer à l’intérieur de l’antre mouvant et ses frissons turquoise d’Um al‑Mâ de courir mes talons aux crevasses charbonnières en‑dessous frôlant le chant des toboalg Jean Senacls et tous leurs appels. La solitude sans tristesse et sans désarroi. Par la terrasse où j’écris je suis à la hauteur des oiseaux avec les premières chauve‑souris qui se poursuivent entre les arbres dont l’immobilité pâturant l’herbe du soir me rassure et les pages du Journal d’Alger de Jean Sénac que mon ami Jean a préfacées éloignent comme une fumée qu’on chasse de la main l’absence des êtres chers.

Sénac Alger, 9 février 54 – 19 h Ecrire, c’est finir en beauté, c’est dévier l’acte essentiel ; le statufier, le transhumer, le donner en pâture. Il faudrait avoir le courage, avec cette sensibilité tapageuse qui fait de nous des écrivains, de mener le plaisir, la douleur jusqu’au bout, jusqu’à leur extrême conséquence. L’écriture est une rupture de logique. Ici l’action hésite, n’ose plus et fonce dans le perpétuel. Ne plus écrire, ce serait accepter la banale et héroïque vérité de la vie : des actes déchirants, des prolongements médiocres, un établissement pratique ou tout bonnement le suicide. Mais nous avons la maladie de la cabriole élégante et de l’orgueil. Nous sommes les jésuites de l’Action. Nous transmettons ce que nous n’avons pas possédé.

D’un coup j’entends le galop qui jaillit de rien de la chienne Bonnie ma voyageuse mon effarée ma dévergonde et le plaisir d’aboyer pour qu’elle me réponde me saute à la gorge… Ouaouf ! Ouaouf ! Bonnie si elle est là à nouveau la camarade insolite de mes cavales furieuses à travers villes dans la moiteur luisante de macadam black et à travers ces campagnes chevauchées à la croisée des rails et des pistes par nos cent mille galopades en pleines sentes avec leurs cairns vernis de grasses coulées de lune c’est que notre course d’une gare à l’autre à l’assaut deBonie petits histoires de ceux qui vont et viennent toujours ailleurs notre traque du bruissement précieux des mots des amis enfuis notre poursuite chahuteuse notre jubilation nos galipettes nos mimiques de bouffons fidèles pour tenter de retenir la langue de toutes les formes de créatures devenue notre goualante notre éventail de pureté parant aux débris des grands promontoires d’ordures va réveiller ma soif.

Et qu’avons‑nous fait d’autre que de courir pour ne pas nous installer dans l’usure et attendre que se consume notre folie dans la flamme vertueuse et froide des bougies dressées qui n’éclairent pas ? Bonnie ma rôdeuse aux portes des maisons la nuit fermées toujours fermées déposer le coquillage silencieux de notre absence et ne rien concéder jamais qui ne soit aussi incertain que la couleur intacte d’une aile de papillon revenu à son cocon d’enfance.

Sénac Alger, 4 avril 54 – 3 h ¼ du matin Je dors le jour, circule et tPortrait Sénacravaille la nuit. Je deviens monstrueux, étranger à beaucoup. J’entre dans une vision, un rythme, une ville où je suis pratiquement seul. Mes compagnons sont les objets, la pierre et la terre qui tourne, l’air, la pluie, l’électricité. Mes témoins les mendiants, les gosses abandonnés, les boueurs, les cafetiers, les chats, les noceurs, les perdus, les travailleurs de l’aube. J’écris beaucoup sur cette heure de bascule que je connais bien, sur la nuit, mon domaine, que je cherche, que je supporte, que je provoque et que je fuis. Parfois je désire le jour, le soleil, la foule, avec une tendresse, une violence inouïes. Je m’enveloppe de courage et de crainte. Je suis un insecte de vase et j’aspire à la lumière bienfaisante. Je vis avec fureur, obsessionnellement, ma descente aux enfers.

Altérer. Ils mâchent les mots comme de la paille sèche. Je n’en aurai pas fini avec ma soif tant que leurs puits où scintillent leurs images dans une furieuse cacophonie continueront d’empoisonner la mémoire de mes frères morts poètes assassinés en plein prés de soleils giratoires d’un coup d’œuf dur dans le dos.

Altérer. C’est par la langue pendante de la chienne Bonnie revenue tout juste du cimetière d’Aïn Banian où couchée sur les pierres à chaleur de cette fin d’août elle a bu toute l’eau de la petite tasse pour les oiseaux que je quête les signes annonciateurs du passage rituel aussi insignifiant que ma présence hasardeuse à deux pas d’un autre cimetière situé à Paris celui‑là. Les mots que Jean avait tracés pour son frère de sang anges de ma soif qui ne me quittent pas dans l’allée étroite au cyprès où je reconstruis à chacune de mes visites l’escargot fossile avec des petits cailloux plein mes poches ramassé ça posés dessus le rectangle de granit pas plus grand qu’un corps de chat endormi dont les dates et le nom sont gommés de ces dix années de pluies de cendres et de sel à chacune de mes visites je les trouve là accroupis et nous veillons ensemble sur cette double demeure.Ain_Benian_02.jpg

Jean Pélégri Du même coup Jean, tu nous rappelles en ton miroir nos espérances et nos désillusions. En octobre 1962, huit ans plus tard, je t’accompagnais à Orly pour ton retour en Algérie. Jamais je n’ai vu quelqu’un d’aussi heureux. Tu irradiais de joie, de projets. Tu étais au sommet du todo et tu étais déjà en train de vivre ce que tu appelais, d’un mot inventé par toi, la matinale de ton peuple. En train de rêver à tous ces poètes à qui tu allais donner vie pour avoir cru en eux.

Ce rêve ne durera que quelques mois, quelques années, mais à l’autre bout du chemin, il y aura, dans la bouche de certains que l’on croyait grands – les injures, les sarcasmes contre le roumi, la solitude désespérée, l’ébauche du père, la débauche du fils. Il y aura la mort annoncée, et, pour finir, ce recueil “ dérisions et Vertiges ” que par désespoir tu qualifies de journal mal foutu et incorrect. Au fil des pages, des dates, des heures – et à l’image de l’Algérie ta patrie – tout se déglingue : le langage devient bégaiement, les mots qui chantent calembour, trouvure, page blanche, frénésie d’un singe tapant sur le clavier d’une machine à écrire. Les grandes espérances se font dérisoires, les plaisirs vulgaires, les amitiés suspectes, et pendant que l’on vole et que l’on humilie s’annonce l’Algérie que tu avais prévue, celle de la terreur et du sang avec son étendard baroque de déchets : 

Nationalisme avare, religion, race,senacrm.jpg

Haine du différent :

J’imagine de longs cortèges hagards vers des

crématoires vert et blanc.

C’est sans doute, Jean, ce que ne te pardonneront pas ceux qui voulaient ne rien voir quand tu annonçais et ne rien entendre pendant que tu criais.

De ce 31 août 1973 où par chacune de ces plaies est entré un soleil à ce 24 septembre 2003 où la pierre tranchée en deux a laissé s’enfuir le souffle indocile de leur rencontre toutes  “ les fortifications pour vivre ” ont fini de se coucher avec le cœur des chiens qui sont les seuls à ne pas nous abandonner. Ouaouf !

A Aïn Banian dans le linceul violet de la mer aimante de la Pointe Pescade le corps trop léger ne pèse plus du poids des mots. A l’enterrement de l’homme soleil ils n’étaient pas nombreux ce début septembre 1973 ils étaient si peu nombreux qu’ils pouvaient se compter. Il y avait là une invitée de marque la peur carnassière et ses commis haineux leurs registres planqués dessous le pardessus et les commanditaires du sang aux marches de leurs palais remplissantJean---six-ans.jpg les théières de liqueur noire et or. Altérer. Le vertige de la soif ne les a jamais touchés.

A l’enterrement de l’homme caillou ils n’étaient pas nombreux cette fin de septembre 2003 quand les larmes de Fatima l’orpheline ont mouillé les pages des Paroles de la rose et mes mains qui voulaient en vain les retenir. Ils n’étaient pas nombreux et l’invitée de cet après‑midi‑là c’était l’indifférence pendant qu’à côté de moi Fatima son corps vacillant assommé comme celui d’un chat dans les phares d’une voiture répétait : “ M’sieur Jean M’sieur Jean alors c’est vrai tu vas nous laisser seuls… ”

Frères de sang et d’eau… seules les larmes de Fatima femme de ménage amie confidente mère toujours présente dans la maison de la Porte d’Orléans entre Jean et Juliette le parfum muet de son corps qui renouvelle le corps sacré désincarné perdu de l’Algérie et son absence de paroles figée à l’intérieur du caillou ouvert puis refermé de la langue aux mille faces la langue fumante de jeune rosée la Babel éblouie des peuples mêlés exhaussée puis foudroyée… seules les larmes de Fatima le jour de la St Jean d’été tombant comme une fraîche douleur d’enfance sur la pierre où personne n’a posé la tasse d’eau pure pour les oiseaux ont pu me désaltérer. Paroles-de-la-Rose-journal.jpg  

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